Pour citer cet article : BOTHUYNE G.(2016). Expérience de confiance immanente dans l'epreuve du cancer. Réciprocités, 9,100-122,https://zenodo.org/doi/10.5281/zenodo.10671258
Résumé
Kinésithérapeute de formation, je me suis orientée vers la fasciathérapie[1] voilà dixhuit ans. Au cours de cette période de ma vie, j’ai vécu à plusieurs reprises l’épreuve du cancer, dont la phase la plus éprouvante fut un cancer du rein. C’est aussi à cette époque que la formation de somato-psychopédagogie fut mise en place (Bois, 2006 ; Berger 2006). Ce fut pour moi l’opportunité de revisiter ma pratique et mes outils professionnels et de les mettre en application dans toutes leurs orientations et amplitude. Je devenais ainsi sujet de cette expérience particulière mettant en présence cancer et éprouvé du corps sensible[2].
Mots clés : fascia, fasciathérapie, cancer, confiance immanente, expérience en première personne, pédagogie perceptive, rapport au corps, sensible
Introduction
Parallèlement, lors de ma pratique de somato-psychopédagogue, je me suis trouvée particulièrement sensible à la crise existentielle majeure que vivaient les personnes touchées par l’épreuve du cancer. Ayant vécu un parcours similaire, j’ai vivement souhaité approfondir la question dans un projet de master.
Je voulais, dans cette recherche que je vais présenter ici, prêter une attention toute particulière à l’expérience vécue en première personne pour exprimer une actualité criante qui touche une population de plus en plus importante. Ayant, pour ma part, fait appel à la somato-psychopédagogie pour traverser cette épreuve, je relate ainsi mon propre parcours de patiente où j’ai découvert un lieu de confiance incarné qui m’a aidée à surmonter la maladie.
Mon projet de recherche prend donc naissance sur mon propre itinéraire de vie et de survie dans ce contexte. La question de recherche va interroger cette confiance spécifique rencontrée dans l’expérience du Sensible et dans mon parcours. Elle se décline ainsi : « En quoi et comment la confiance qui se donne dans la relation au Sensible permet-elle de traverser l’épreuve de la maladie cancéreuse ? »
Cet article est en même temps, l’occasion d’ouvrir le débat sur l’intérêt de recourir à une approche corporelle Sensible dans la prise en charge des personnes atteintes de cancer.
Pour la personne qui est confrontée à cette pathologie, le sens de la vie est soudainement rompu, c’est alors le chaos. Mais c’est aussi parfois une opportunité de remise en question profonde de l’existence : « Une occasion de rompre avec le cours ordinaire de l’existence, de changer sa vie, de se connaître et d’en sortir grandi » (Gagnon, 2005, p. 648).
La maladie grave est toujours une expérience mais apprendre de cette expérience n’est ni simple, ni systématique. Cette expérience prend ici le statut d’existentielle quand malgré l’effondrement, le trou noir, le vide, la personne parvient à apprendre d’elle au cœur de cette difficile expérience : « L’expérience existentielle concerne le tout de la personne, elle concerne son identité profonde, la façon dont elle se vit comme être…» (Josso, 1991 p. 198).
Mon travail de recherche a tenté de mettre en valeur la dimension existentielle déployée lors de mon parcours de la maladie et du soin et ce, sous une forme narrative. J’ai choisi pour cela le récit de vie parce qu’il est tout d’abord une forme « d’expression de soi » visant une construction de sens par le mode de l’écriture, puis comme recueil de données pour accueillir mon expérience et aussi comme tentative de promouvoir la place du rapport au corps sensible dans la démarche biographique.
L’éducation à la santé proposée par la somato-psychopédagogie vise à soutenir une santé perceptive positive qui s’appuie sur le vécu corporel. Le corps n’est plus alors seulement un organisme mais surtout un espace à vivre, un espace à « se » vivre. Et là, il est question d’intériorité sensible faite de tonalités vécues, perçues, de nuances à partir desquelles s’instaure un sentiment organique de profondeur, de globalité, de présence à soi et de confiance. C’est cette nouvelle confiance rencontrée de manière totalement incarnée que j’ai voulu approcher dans cette recherche afin d’en découvrir la nature, les contours, son mode d’apparition, son rôle, ses impacts, enfin le processus qui m’a amenée à développer un tel sentiment de confiance dans ce contexte de perte totale de sens.
Au cours cette étude, j’ai poursuivi les objectifs suivants :
- Analyser mon itinéraire concernant le rôle de la confiance dans la traversée de l’épreuve du cancer.
- Identifier la spécificité de la confiance qui se donne dans l’expérience du Sensible.
- Définir l’influence de la confiance immanente sur les différents secteurs de la confiance : confiance en les autres, confiance en soi, confiance en la vie.
Avant de présenter mes résultats de recherche, je propose dans un premier temps un parcours théorique autour des différents thèmes abordés, à savoir : la gestion de la maladie du cancer à partir du regard du patient, le rôle de la confiance au sein de la maladie, les intérêts d’une prise en charge en somato-psychopédagogie dans l’accompagnement oncologique ciblée sur la préservation de la confiance, ainsi que les enjeux de l’écriture dans une démarche de quête de sens face à la maladie.
Abord théorique
La gestion de la maladie du cancer
Le cancer est une pathologie en progression malgré les différentes avancées de la science et de la médecine. Quelques chiffres : si en 2005 on comptabilisait 320 000 nouveaux cas de cancer en France, deux fois plus qu’en 1980, il était prévu 375 000 nouveaux cas en 2012 .
Le cancer est un mot qui résonne comme une sentence. Il est encore lourd de conséquences dans la pensée collective aujourd’hui. Il est ressenti comme « une psychopathologie (…) largement entérinée par la culture humaine comme fatale, symbolique et terrifiante » (Bacqué & Dolbeault, 2007, p. 20).
La survenue du cancer est donc un moment traumatisant pour la personne : « Un moment de bascule dans la vie, un moment qui ne s’oublie pratiquement jamais » (Bendrihen & Rouby, 2007, p. 45). Cette rencontre est des plus traumatisantes car elle confronte la personne à la question de sa propre finitude : « L’annonce d’un cancer met au premier plan ce que tout être humain relègue d’habitude dans les coulisses de la vie psychique : la mort, la question de sa propre finitude » (Ibid., p. 46).
Ce diagnostic qui tombe tel un couperet provoque un véritable séisme : « Choc, sidération voire effroi » (Ibid., p. 46). La personne perd ses repères car l’évènement qui s’impose vient rompre une logique, c’est un non-sens, c’est le chaos. La maladie elle-même engendre un grand bouleversement dans sa vie et va être source de peurs, d’angoisse de différents ordres au contact desquelles la personne peut éprouver un sentiment de solitude ou d’isolement.
Bien que les personnes vivent de manière très singulière leur propre cancer, celui-ci provoque un certain nombre de prises de conscience au travers de multiples questions qui viennent s’entrechoquer. L’une d’entre elles est commune à tous, c’est la question du sens. Celle-ci reste très prégnante dans l’itinéraire de la maladie et bien qu’elle soit l’opportunité d’une remise en question profonde de l’existence chez la personne, de ses propres valeurs et de sa relation à l’autre, elle n’est pas nécessairement suivie de véritables changements d’orientation : « Si, pour tout patient, la représentation du cancer et l’incertitude de sa guérison peuvent questionner sur la représentation de soi, une partie seulement d’entre eux se verra dans la nécessité ‘absolue’ de reconsidérer en quelque sorte leurs raisons de vivre et leurs relations aux autres » (Pucheu, 2007, p. 56).
La personne, qui doit faire face à l’annonce de cette maladie mais aussi aux difficultés familiales, sociales, professionnelles et financières qui en découlent, va mettre en place des stratégies qui vont lui permettre d’amortir l’effet de ce drame : « L’ensemble de ces réactions cognitives, émotionnelles et comportementales portent le nom de coping » (Bendrihen & Rouby, 2007, p. 41). Le coping est un système de réajustement indispensable pour la personne afin qu’elle s’adapte à cette nouvelle situation qui lui est imposée. Nous retrouvons ce phénomène dans le travail du deuil initialement décrit par E. Kübler-Ross : « Tous les deuils suivent schématiquement le même cours au travers quatre étapes : l’état de choc, le refus, la dépression et l’acceptation » (Reich, Ait-Kaci & Sedda, 2007, p. 63). Chaque phase de ce coping est à respecter, chaque personne ayant besoin d’un temps qui lui est propre pour « absorber » la situation.
Parallèlement à cela, l’homme cherche à comprendre ; ce besoin fondamental de l’homme de comprendre ce qui lui arrive, se manifeste dans la recherche de cause à effet qu’il met en place et ce, afin d’avoir la sensation d’une influence possible sur son devenir : « Identifier les causes (...) permet aussi de rationaliser des situations dont l’absurdité est intolérable pour nos esprits avides de compréhension. Nous pensons alors pouvoir exercer un contrôle sur les évènements de notre existence » (Janssen, 2009, p. 198-199).
Les exemples qui laissent supposer, parmi les causes possibles, une relation entre psychisme et problèmes physiques sont très nombreux (Janssen, 2009). Mais il n’est pas moins vrai qu’aucune étude scientifique n’a pu, à ce jour, confirmer ou démontrer ces faits.
Le cancer est certainement une maladie plurifactorielle, et la position de l’école de Chicago dans les années 1950 reste encore d’actualité : « Une multitude de facteurs peuvent intervenir dans la genèse des maladies ; parmi ceux-ci, les conflits psychologiques créent des conditions favorables à l’émergence de certaines pathologies ; ils représentent souvent un élément déclencheur sur un terrain déjà fragilisé par une faiblesse héréditaire, un agent toxique, un traumatisme ou une infection ; les causes psychologiques sont donc à inclure dans une théorie multifactorielle de l’origine des maladies » (Ibid., p. 105) ; tout en gardant à l’esprit « la question délicate de l’influence potentielle sur la santé de facteurs propres à chaque individu en fonction de sa personnalité et de son histoire » (Pucheu & Seigneur, 2007, p. 145).
Notre rapport à la santé, le rôle de la confiance au sein de la maladie
Mais avant l’apparition de la maladie, quel est notre rapport à la santé et comment intervient la confiance ?
Selon la définition de l’OMS : « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». Nous voyons là deux idées sous-jacentes essentielles qui en découlent : une notion de bien-être qui contient une part subjective importante en soi, (chacun ayant sa propre représentation du bien-être et ses propres attentes) mais qui implique également une part individuelle nécessairement active, en vue de l’accès possible à cet état de bien-être ainsi qu’à son maintien.
Par ailleurs, T. Janssen élargit cette perspective en proposant une autre définition : « La santé est à la fois une manifestation de la force vitale, l’expression d’un état d’âme et une capacité à entrer en relation avec le monde » (Ibid., p. 52). Ici, le sentiment de bien-être ou de mal-être est fortement lié à la relation d’harmonie que la personne entretient avec les autres, son environnement et le reste du monde.
La santé est donc représentative de notre façon de gérer ce qui nous est donné à vivre, entre soi et soi et avec le monde qui nous entoure : « La santé est une capacité de vivre une vie possible. C’est un mode de présence à soi-même et au monde, joie et performance tout autant que confrontation à la douleur et à la souffrance. » (Lecorps, 2004, p. 82)
Au sein de tout ce qui lui est donné à vivre, la personne doit trouver un certain équilibre pour garder cet état de santé. Pour la personne touchée par le cancer, l’effort sera plus considérable car l’équilibre est déjà rompu. La notion de confiance va donc y trouver pleinement sa raison d’être. Dans le processus de soin, elle va être au cœur de notre problématique.
La confiance est souvent considérée comme faisant partie des ressources internes du sujet, ressources qu’il va mettre en jeu face à l’adversité de la maladie et qui vont lui permettre de s’adapter plus ou moins bien « l’adaptation psychique dépend en partie des ressources psychologiques du patient et de la façon avec laquelle il va mettre en jeu ces ressources lorsqu’il sera confronté à la maladie » (Bendrihen & Rouby, 2007, p. 39).
La confiance dont il est question dans le secteur de la maladie, reconnue pour avoir un impact, est également celle que le patient va attribuer au personnel médical et à ses traitements : « Notre réponse à tout traitement médical est influencée par l’idée que nous nous faisons de l’efficacité de ce traitement et de la confiance que nous accordons à cette équipe médicale. » (Simonton, 1993, p. 4)
Je ne développerai pas ici les différentes définitions de la confiance, notamment dans le domaine de la psychologie, car le thème est vaste et ses contours non encore précisément délimités. Mais retenons, par exemple, parmi les idées centrales que nous pouvons rencontrer et qui ont un lien avec notre sujet, que la confiance se situe dans le rapport que la personne entretient avec sa problématique et dans le rapport à sa capacité de pouvoir agir sur elle-même. Ce qui rejoint le sentiment d’auto efficacité dont parle Bandura (2007) : « L’efficacité personnelle perçue concerne la croyance de l’individu en sa capacité d’organiser et d’exécuter la ligne de conduite requise pour produire des résultats souhaités. Les éléments sur lesquels s’exerce l’influence de l’individu sont très divers : il peut s’agir de la motivation personnelle, des processus de pensée, des états émotionnels et des actes... » (p.12). Le sentiment d’efficacité personnelle désigne en effet la croyance qu’a une personne en sa capacité à agir sur elle-même, sur son environnement social et sur les évènements de sa vie.
André et Lelord (2007) intègrent cette « confiance en soi » dans ce qu’ils définissent comme « l’estime de soi » qui serait constituée de trois piliers : amour de soi, vision de soi et confiance en soi. Selon ces auteurs, ces trois piliers dépendant principalement de causes externes.
Ce qui nous amène à une réflexion et un questionnement : comment aider la personne atteinte de cancer à trouver des ressources inhérentes à elle-même, où elle pourrait puiser une confiance qui ne dépendrait pas des éléments extérieurs ni des personnes environnantes ? Ainsi, « A une déficience de l'estime de soi, il devient possible de répondre par une consolidation en profondeur de l'amour de soi et de la confiance en soi » (Humpich & Lefloch- Humpich, 2008, p. 30-31). N’y a-t-il pas, en effet, dans l’intime de chacun de nous, dans la profondeur de notre matière une autre nature de confiance qui pourrait nous venir en aide dans une épreuve telle que le cancer ? Et de quelle façon, selon quelles modalités ? Bois l’évoque ainsi : « La confiance ? C’est très difficile à définir… Pour moi, avoir confiance n’est pas nécessairement un abri que je me suis forgé, qui me protège… Ce n’est pas un refuge qui me met à l’écart de, c’est un lieu qui me permet d’accepter le changement. (…) Ce lieu du Sensible qui porte en lui-même la confiance… » (Bois, 2008)
L’apport de la relation au corps sensible
Mais comment rencontrer une confiance à l’intérieur de soi, dans son corps, alors que c’est justement ce même corps qui est le siège manifeste de la maladie ? Quel rapport à son corps la personne peut-elle désormais entretenir ? Peut-elle se re-connaître sans faire cette reconnexion à elle-même par la voie corporelle ? Peut-elle faire l’économie d’un nouveau rapport à son corps ? Et à partir de ce constat, prendre soin de lui et donc d’ellemême ?
Pour Bois, la notion de soin comporte trois niveaux, résumés ainsi par Austry (2004) :
• Le premier : « Préserver les conditions physiologiques, physiques et biologiques de l’organisme » (Austry, 2004, p. 7)
• Le deuxième : « Prendre soin de soi et de l’autre (…) un regard sur soi qui dépasse le simple maintien en bon état du corps » (Ibid., p.7)
• Le troisième : « Se questionner sur la signification de sa vie (…) prendre soin de soi dans le sens de : « Prendre soin de sa vie. » (Ibid., p. 7-8)
On comprend que, pour Bois comme pour Honoré, la notion de santé recouvre trois significations : « Une absence de maladie, un processus dynamique qui maintient l’homme en santé, en vie ; un déploiement de cette vie portée vers son accomplissement. » (Austry, 2004, p. 8) Il est donc question de « prendre soin de soi », c’est-à-dire de « prendre soin de sa vie » et prendre soin de la vie en soi : « Dans le prendre soin, nous devons en permanence nous réassurer du maintien et du déploiement de la vie en notre existence proprement humaine. » (Honoré, 1999, p. 252) Il s’agit donc de se « prendre en main » non seulement pour se maintenir en vie, mais pour aller vers son propre accomplissement dans l’existence. Le soin nous dévoile, ici « notre projet de vivre », ce « projet de santé » qui correspond alors à un « mode d’engagement dans l’existence ». (Ibid., p. 27)
Lorsque la vie impose à la personne la traversée de cette épreuve de la maladie, dans le sens de « s’éprouver, d’éprouver sa capacité à surmonter l’épreuve » (Austry, 2004, p. 8), elle lui propose aussi cette opportunité d’apprendre de cette situation : « En quoi et comment la maladie peut me révéler des informations à moi-même ? » (Ibid., p. 9)
La maladie ne pourrait-elle pas alors être considérée comme une résistance « qui serait un appui et non un adversaire, un tremplin sur lequel se propulser et non un mur contre lequel buter » ? (Bois, 2002, p. 74-75). Elle deviendrait alors un moyen de « mobiliser nos ressources intérieures pour rebondir… » (Ibid.)
J’ai rencontré cette possibilité de mobiliser mes ressources internes par l’expérience du Sensible malgré la maladie et, là, grâce à ce nouveau rapport à mon corps, j’ai pu vivre une qualité de présence à moi et à ma propre vie.
L’expérience du Sensible propose et confronte à une compréhension nouvelle de notre vie, ainsi qu’un renouvellement possible de nos choix dans notre existence : « Finalement, le terme sensible pointe aussi vers une perspective existentielle à laquelle nous tenons, en tant qu’il renvoie au sens de la vie même. Et notre recherche nous invite à un questionnement: l’homme est-il disposé à rencontrer la part sensible de son être ? Est-il en mesure, à partir de cette rencontre, de modifier la conception du monde sur laquelle il fonde ses choix de vie ? Est-il prêt à changer la relation qu’il a avec sa vie à partir d’un renouvellement de la relation à son corps ? Tout simplement, est-il possible de vivre dans une plus grande proximité avec soi ? Derrière cet enjeu, il y a une volonté de retrouver une qualité de présence à sa propre vie. » (Bois & Austry, 2007, p. 7)
La situation dans laquelle se trouve la personne atteinte de maladie cancéreuse n’estelle pas une opportunité à reconsidérer le rapport qu’elle porte à sa vie ? A la Vie ? Et ce, passant par une nouvelle relation à elle-même ?
Intérêts d’une prise en charge en somato-psychopédagogie dans l’accompagnement oncologique ciblée sur la préservation de la confiance
Cet accompagnement a tout d’abord pour objectif de soigner l’ouverture de la personne à sa propre existence. Ceci sur un mode de compréhension d’une expérience corporelle, parce que le corps est le siège de la maladie et qu’il est aussi porteur de la vie même. La personne découvre un nouveau rapport à son corps, rapport qui s’enrichit. Elle va rencontrer la chaleur, une certaine profondeur, une globalité d’elle-même, une présence à elle-même et un sentiment d’exister qu’elle n’a sans doute encore jamais rencontrés. Cette transformation lui donne accès à des informations internes et notamment : « L’accès à des informations de nature existentielle telle, par exemple, la découverte d’un état interne de confiance » (Lefloch-Humpich, 2008, p. 28).
Nous (je me situe ici en tant que somatopsychopédagogue) nous proposons donc de devenir l’accompagnateur qui va permettre à la personne de se transformer dans un contexte de gestion de la vie et de la maladie. Nous allons lui apprendre à prendre soin d’elle, participant à son processus de soin, à redécouvrir une présence à elle-même, à se redécouvrir et à tirer du sens de son expérience de la maladie.
Il est donc nécessaire de rétablir une certaine unité, surtout dans ce contexte de maladie du cancer, afin que la personne puisse « se réconcilier » avec son corps. Nous veillerons à ce que la personne renoue le contact avec son sentiment d’existence organique et avec sa force vive : « En d’autres termes, il s’agit donc de permettre à une personne de rétablir un dialogue entre son psychisme et son corps. C’est là tout le sens de ‘l’accordage somatopsychique’, dont la pratique installe chez la personne un profond sentiment d’unification, non seulement entre les différentes parties de son corps, mais aussi et surtout entre les différentes parties de son être : intention et action, attention et intention, perception et corps, pensée et vécu… » (Bois, 2007, p. 69)
Cet accompagnement se fera tout au long des sept étapes décrites par Bois : la suspicion de la maladie, l’annonce du diagnostic, le choix des traitements, la gestion des effets secondaires du traitement, la période des bilans, la phase de rémission ou celle d’une récidive et la fin de vie, s’il y a lieu. Dans un premier temps, nous accompagnerons la personne dans sa phase de coping. Grâce à un toucher de relation, nous aurons une influence sur ses douleurs mais aussi sur son état psychique, favorisant ainsi un état d’apaisement.
Dans un deuxième temps, notre rôle sera davantage éducatif, à savoir de l’ordre de la perception « sentir, c’est se ressentir » (Bois, 2009, p. 4). Nous viserons une éducation sensorielle à partir d’expériences extra-quotidiennes de qualité où nous solliciterons une mobilisation perceptive et cognitive importante. Ceci va permettre à la personne, en renouant le contact avec son corps, de retrouver une proximité à elle-même, redécouvrant au sein de son corps, une globalité en mouvement, vivante, faisant renaître une solidité, un sentiment d’existence au plus profond d’elle-même.
C’est au sein de cette vie interne Sensible que la personne dans son épreuve de maladie cancéreuse peut rencontrer la confiance.
Nous avons donc auprès de la personne un rôle d’apprentissage mais qui ne s’arrête pas à l’éducation d’une perception, aussi fine soit-elle. La personne doit aussi, à partir de ses expériences extra-quotidiennes, apprendre à exercer une activité réflexive pour tirer du sens de son expérience : « Car ces sensations ne sont pas là juste pour nous faire du bien; elles transportent également un sens profond, véhiculent des informations que nous pouvons apprendre à décoder. (…) Elles nous offrent des réponses fortes à des problèmes parfois difficiles comme par exemple, le manque de confiance en soi… » (Berger, 2006, p. 22). Et parce que l’expérience corporelle est signifiante pour le sujet qui la vit, la personne atteinte de cancer pourra apprendre non seulement de son état physique et psychique, mais aussi du rapport évolutif qu’elle entretient avec sa maladie, avec sa vie, notamment à propos de la confiance. En effet, cette expérience corporelle donnera au sujet des informations précieuses sur sa santé perceptive.
Et, s’il est important que nous l’encouragions à préserver une confiance visà- vis des acteurs du soin qui l’entourent, il est aussi nécessaire de l’inviter à investir sa confiance dans ses propres ressources internes et dans la capacité naturelle de son corps à s’autoréguler : « Je souhaitais développer des aptitudes pour accéder de manière autonome à ce lieu de moi qui gardait bien scellée la promesse de ma croissance, de ma santé, et de mon devenir comme pour mieux y veiller » (Rugira, 2009, p. 261).
Enjeux de l’écriture dans une démarche de quête de sens face à la maladie
La question du sens s’impose dans l’itinéraire de la maladie. Or, j’ai choisi pour faire ma recherche, d’écrire un récit de vie. Quel en est l’intérêt dans une recherche de quête de sens face à la maladie ? Et quel est l’objectif de celui qui écrit son récit de vie ?
Dans un cadre non spécifique
Dans le champ des « Histoires de vie » (Delory-Momberger, De Villiers, Josso, Legrand, Pineau) le rapport à la maladie n’a pas encore été spécifiquement étudié. Il apparaît que la principale motivation des narrateurs, selon G. De Villiers, s’établit autour de la compréhension de leur vécu : « Comprendre sa propre trajectoire, comprendre son vécu singulier (…) prendre conscience du sens que révèle son passé en vue d’en inventer l’avenir, partir à la recherche du sens… » (Niewiadomski & De Villiers, 2003, p. 289)
L’enjeu principal de cette forme d’écriture est donc celui de la compréhension. Il s’agit en effet, de trouver un sens cohérent à son histoire, à partir de l’évocation d’un passé qui est le sien et de ses points de vue du présent, dans une perspective de renouveau, d’un nouveau projet de vie : « Plutôt qu’un enfermement sur une expérience passée aussi riche soit-elle, il s’agit de situer le récit dans une articulation entre passé, présent et avenir. La perspective du projet de vie et de l’action est ici fondamentale. » (Ibid., p. 106). Je n’ai pas échappé à cette règle en ce qui concerne cette première nature de motivation.
Dans l’accompagnement de la maladie
Pour la personne qui traverse l’expérience du cancer, le sens de la vie est soudainement rompu, toutes les références sont remises en question. La crise existentielle majeure le pousse à vouloir comprendre ; trouver un sens devient une nécessité absolue : « Le temps de la maladie est une période de doutes et d’incertitude, un état véritablement chaotique. Celui qui souffre a donc besoin de trouver de nouveaux repères afin de réorganiser sa représentation de lui-même et du monde. » (Janssen, 2009, p. 23). Cette quête de sens est alors souvent reliée à la « quête de soi » (Josso, 1991) car tout est questionné jusqu’au « Qui suis-je ? » en tant que moi vivant cette épreuve et en tant qu’être humain. C’est l’opportunité d’une remise en question profonde de l’existence, de notre place au sein de cette existence en essayant de tirer un sens de cette épreuve (Gagnon, 2005).
Dans ces circonstances, et au sein de son récit, la personne va aller à la rencontre d’elle-même, vers une quête de soi et une quête de connaissance. La personne se resitue comme sujet de sa vie et peut envisager de nouveaux choix, réinventer son avenir.
Dans le cadre de la maladie, quels seraient les enjeux plus spécifiques d’une écriture (journal de bord ou récit de vie) dans cette recherche de sens ? Si, comme nous venons de le voir, le récit de vie est une construction à partir d’éléments du passé revisités dans un présent pour une nouvelle perspective, le journal de bord est plutôt un moyen de réceptionner les écrits quotidiens « en temps réel » d’une personne dans une phase particulièrement difficile de sa vie. Il va lui permettre de s’écouter, de s’accueillir. Il va donner à la personne atteinte de maladie grave, l’autorisation de déposer un fardeau qu’elle ne peut encore partager à d’autres. L’écriture sera alors constituée de descriptions de faits souvent difficiles ou douloureux, décrits depuis la perception du moment, avec les émotions qui les accompagnent et les pensées qui en découlent. C’est là un premier intérêt de ‘saisie’ des évènements.
Et parallèlement, l’écriture va donner à la personne l’opportunité d’une mise à distance de son expérience qui va lui permettre un certain recul, voire un discernement de son fonctionnement notamment face à la maladie : « L’écriture de soi donne ainsi à voir des attitudes, des modes d’être (…) Elle permet de s’approprier un peu plus sa vie, de ne plus en être un figurant impuissant. » (Hillion, 2009, p. 25) L’écriture favorise ainsi une réflexion sur ce qui a été vécu et décrit. C’est dans ce sens qu’elle peut conduire à une mise en sens de l’expérience.
Le journal de bord permet aussi un auto-accompagnement qui favorise une certaine autonomie dans le processus de transformation : « En l’absence de l’autre, elle (l’écriture) me permet malgré tout de voir ce qu’habituellement, je ne vois pas. » (Ibid., p. 27)
En guise de synthèse, nous pouvons dire que l’écriture va tout d’abord permettre à la personne, une « saisie » des évènements pour, dans un deuxième temps et avec cette mise à distance, favoriser au cours du processus de soin, un retour réflexif sur ses actes, pensées et fonctionnements et enfin aboutir à un déploiement et une mise en sens de l’expérience de la maladie.
À la fin de ce chapitre, nous pourrions tenter de croiser les études menées dans le champ des « Histoires de vie » et dans le champ du paradigme du Sensible, puisque ces deux domaines sont présents dans ma recherche. Nous pouvons constater alors que, malgré ces deux univers très différents où se définit une production de sens spécifique, la voie corporelle apporte une complémentarité non négligeable au discours biographique réflexif. M.-C. Josso nous parle ainsi de ce croisement : « L’accès à ce corps parlant de mon histoire passée, présente et future (…) est une voie de connaissance de son histoire en devenir totalement originale, complémentaire à celle du discours biographique réflexif sur mon histoire de vie en général… » (Josso, 2009a, p. 19). .
Bilan de l'écriture
En ce qui concerne le processus de recherche en lien avec l’écriture, deux phases très distinctes se sont dégagées et il me paraît intéressant de les souligner : la phase d’écriture du récit - précédée systématiquement d’un moment d’intériorisation - et la phase d’analyse de ce récit.
a) La phase d’écriture du récit Durant cette phase, deux forces sont apparues en moi :
- Une première qui m’a motivée m’entrainant plus loin dans ma recherche et ma narration pour approfondir mon vécu et en obtenir une autre compréhension.
- Une autre qui essayait de me ralentir, comme si une partie de moi ne désirait pas faire un retour dans mon histoire pour en revivre le côté éprouvant.
J’ai pris conscience que la cohabitation de ces deux forces aurait pu représenter une difficulté mais la nécessité de devoir gérer l’ensemble m’a fait avancer dans mon processus d’apprentissage et de formation semble-t-il. Comment ai-je procédé ?
Tandis que la première force s’est adressée à la partie réflexive de moi-même, la deuxième a concerné mon éprouvé, mon ressenti. Celle-ci a mis à jour l’empreinte corporelle de ma biographie qui s’est révélée en sens, sous une forme non verbale mais tout aussi expressive, sinon plus. J’ai dû composer avec elle, tout au long de mon récit, progressant au rythme de sa libération, libération qui s’est faite soit avec l’aide d’un fasciathérapeute ou somatopsychopédagogue, soit par la voie de l’introspection sensorielle soit parfois, simplement par la reconnaissance de mon état corporel, de ma souffrance passée, revisitée.
Ce que j’ai pu constater et que je trouve remarquable, c’est que cette libération a été partielle et progressive, révélant chaque fois un sens qui a permis une certaine compréhension. Celle-ci a suffi pour nourrir la première force qui m’a poussée à poursuivre ma narration ; ce niveau de compréhension s’est trouvé être juste ce qu’il fallait pour pouvoir poursuivre le récit qui, à son tour a donné, à nouveau, l’opportunité de nouvelles résistances… Tout ceci s’est fait au rythme de ce que je pouvais gérer sans doute.
b) La phase d’analyse
En ce qui concerne la phase d’analyse de mon récit, ma posture s’est trouvée à plusieurs reprises, réactualisée. En effet, la distanciation que j’ai dû opérer par rapport à mon récit s’est avérée indispensable, ce qui sous-entendait, en premier lieu, une distanciation d’avec mon épreuve de la maladie. Ma posture, mue au départ par une grande émotivité, s’est vue gagner en neutralité tout en conservant une grande proximité avec le recueil de données, ceci grâce à ma relation de réciprocité au Sensible.
Principaux résultats de ma recherche
Ce qui m’a tenu à coeur dans cette recherche a été l’approche existentielle qui s’est découverte au contact de la maladie, entrelacée à l’expérience du Sensible. Dans chacune de ces dimensions, le corps vivant est le point d’ancrage à la question essentielle de la réalisation de soi comme sens de la vie humaine. C’est dans ce corps vivant que m’est apparue la confiance immanente.
Processus de la rencontre avec la confiance immanente
Le thème de la confiance traverse toutes les phases de mon récit de vie. Au départ, je peux constater que cette confiance est quasi inexistante, mon rapport au corps ne se révélant que par « la peur au ventre ». En effet, après une phase de déni, suite au diagnostic, apparaît la peur et avec elle, un effondrement dû au poids de la charge que représente pour moi cette épreuve de la maladie. S’ajoutent à cela le renoncement et la solitude, toute cette période s’illustre donc par un manque de confiance certain.
L’analyse montre que ce niveau de confiance évolue au même rythme que ma reconnexion à moi-même, grâce à ma relation au Sensible. C’est la relation d’aide manuelle, sur le mode du Sensible au départ, qui me met au contact d’une puissance de vie, au sein de mon corps pourtant malade. Cette puissance me rend alors un espoir de vivre et donc un début de confiance. Puis, faisant confiance à mes thérapeutes (fasciathérapeutes ou somatopsychopédagogues, je suis leurs conseils et mets en pratique les instruments de cette méthode, notamment l’introspection sensorielle. C’est au cours de ces introspections sensorielles sur le mode du Sensible que j’ai vu un état d’apaisement s’installer, état déjà fortement apprécié dans ce contexte, pour se transformer progressivement en un état où la peur n’avait plus sa raison d’être. Avec une certaine discipline, et une confiance certaine dans l’introspection sensorielle et ce qu’elle pouvait m’enseigner, cet état de confiance s’étoffe, prend de la consistance, devient tangible au sein de ma matière corporelle. Mais cet état reste instable et peut s’ébranler face à la résurgence de la maladie cancéreuse qui touche mon entourage proche. Cette période est un moment charnière dans mon processus de formation où, face au cancer qui réapparaît dans ma vie, je dois trouver la voie de passage pour rester en lien avec cette confiance rencontrée dans ma matière et m’y maintenir.
Au cours de l’analyse, il apparaît que certaines conditions sont nécessaires pour contacter cette confiance, que nous appelons « confiance immanente » par le fait qu’elle émane de mon intériorité sensible.
Tout d’abord, dans ma posture de sujet dans son rapport au Sensible, il y a la nécessité de « me laisser agir » tout en maintenant, paradoxalement, une volonté pour rester dans cette intention. Cela se traduit par l’accord que je donne à ce « laisser agir ».
Une autre donnée essentielle à souligner dans cette posture pour accueillir la confiance immanente, est celle de la neutralité active. Il s’agit là de s’impliquer dans l’acte de perception et dans la relation au Sensible. Le sujet est alors ouvert à ce qui peut survenir, tout en étant pleinement là, prêt à valider et valoriser son ressenti.
Autre processus de formation, la prise de conscience à ce moment-là, de pouvoir créer moi-même les conditions de proximité au Sensible, proximité qui, par réciprocité, consolide cette confiance. Et c’est là que je trouve cette voie de passage pour me maintenir dans cette confiance recouvrée.
À partir de là, je constate qu’elle s’intègre peu à peu à moi et qu’elle prend la place de la peur qui, depuis si longtemps, m’habitait. Je ne vais plus la « chercher », elle est présente à chaque instant, pour peu que je lui prête attention. Je ne suis pas définitivement à l’abri de quoi que ce soit, j’ai simplement un rapport aux évènements différent, voire même à l’opposé de celui de la peur. Mon rapport à la maladie est alors revisité, mon rapport à la vie transformé. Ainsi, je peux dire que, partie d’un manque certain de confiance, je suis parvenue à vivre une confiance incarnée qui modifie mon rapport au monde grâce à un vécu du corps sensible. Cette confiance immanente est en effet apparue à partir du moment où j’ai retrouvé un certain rapport à mon corps, qui se traduisait par la rencontre de sentiments organiques tels que la profondeur, la globalité, la présence à soi, la solidité, sentiments largement décrits dans mon analyse.
J’ai pu souligner également le caractère soignant des manifestations telles que la chaleur, la douceur ou le sentiment d’amour rencontrés dans ma corporalité qui sont apparus ici sous un mode nouveau, celui de l’incarnation qui fait toute leur spécificité. Ils ont totalement participé à l’apparition de cette nouvelle nature de confiance. Ils m’ont permis de « m’éprouver », me renseignant ainsi sur l’état de ma maladie mais aussi sur mon « état d’être ».
Contours de la confiance immanente
Ma recherche m’a donc permis de définir les contours de la confiance qui se donne au contact de l’expérience des pratiques du Sensible.
La présence à moi-même et la solidité en sont les premiers incontournables. Mais plus précisément et en ce qui concerne l’expérience du cancer, l’analyse a montré un lien de causalité entre ce vécu corporel des différents sentiments organiques et la répercussion sur l’état psychique et comportemental. Je les ai classifiés sous la forme de quatre catégories :
- La première concerne la chaleur. Elle permet d’installer un climat propice à la confiance, tout en favorisant un état de paix, soignant cette peur dans laquelle se trouve la personne.
- La seconde concerne les sentiments de solidité, de globalité, de plein, de consistance et d’épaisseur, d’unité et de profondeur qui m’ont permis de me rassembler, de me retrouver, d’exister à nouveau. Face à la maladie qui s’est manifestée dans le corps par le vide, l’absence de soi, une totale impuissance, ces sentiments corporels m’ont permis de faire face, d’exister autrement, de regarder la maladie de façon différente et de me sentir acteur de mon processus de guérison ou d’évolution.
- La troisième catégorie réunit les sentiments d’amour et de douceur. Cette bienveillance m’a touchée et réconciliée avec moi-même et avec la vie et a apaisé mes plaies présentes et passées.
- La quatrième enfin, est ce sentiment de concernation, d’implication qui m’a sortie de ma passivité et d’une certaine forme d’inertie et qui m’a redonné le sens de la responsabilité de ma vie en lien avec ce que je vivais dans mon intériorité. Cela m’a permis de me prendre en charge d’une nouvelle façon, plus profonde, plus fondamentale, plus respectueuse de la vie même.
Impacts de la confiance immanente
J’ai découvert au cours de mon analyse de recherche les différents impacts de cette nouvelle nature de confiance. En effet, cette confiance se trouve contagieuse envers les différentes autres formes de confiance.
J’ai constaté qu’animée de cette confiance, je devenais optimiste et pleine d’élan, cet état influençant réellement ma motivation de vivre. Cette confiance immanente rayonnait aussi sur d’autres formes de confiance, à savoir la confiance en moi avec une nouvelle estime de moi-même, mais aussi en mes capacités à trouver la force de survie et de vie, confiance en autrui, notamment dans les acteurs de soin, et surtout confiance dans la vie même.
A noter également que cette confiance m’a aidée à me sentir vivante et à goûter la vie dans sa dimension la plus existentielle et la plus spirituelle. Elle a également favorisé nombre de mes « lâcher-prises » par rapport à mes résistances d’ordre physique et psychologique, de même sur l’émergence de prises de conscience de mes empreintes corporelles. La présence de cette confiance immanente a été fondamentale, notamment, dans la libération d’une empreinte qui s’est révélée au cours de cette recherche, concernant spécifiquement la maladie du cancer et en relation avec mon père.
Et enfin, le contact avec la confiance immanente a contribué de façon certaine à mon processus d’autonomisation, participant à la gestion des évènements de la vie et me permettant de dépasser les moments difficiles. Elle m’a ouvert à tous les possibles et m’a donné la capacité de prendre de la distance avec ma maladie.
Prenant en compte l’ensemble de ces observations, je peux dire que la confiance immanente a participé très positivement à ma traversée de l’épreuve du cancer.
Conclusion
Cette recherche m’a permis de mieux comprendre le processus de ma transformation au contact du corps sensible. Il n’y a pas eu seulement une acquisition de nouvelles connaissances ou compétences mais une réelle transformation au niveau de ma matière corporelle. Celle-ci a entraîné de nouveaux comportements, de nouvelles manières d’être qui m’ont aidée à traverser l’épreuve du cancer car j’y ai rencontré cette confiance immanente qui a modifié mon regard sur la maladie et sur la vie.
Cette expérience au cœur du Sensible, a été pour moi un lieu d’apprentissage où percevoir, accueillir et me laisser transformer ont eu une place de choix. Mais, si le rôle de sujet est primordial dans tout ce parcours, la transformation n’aurait pu se réaliser sans l’aide du somato-psychopédagogue. La présence d’un tel accompagnement est cruciale et permet un relais indispensable avant que la personne ne rencontre cet état de confiance dans sa corporalité. Tout au long de ce processus d’accompagnement, la réciprocité sur le mode du Sensible avec le somato-psychopédagogue, avec soi et avec cette globalité mouvante s’est trouvée nécessaire et incontournable. Et si l’effort et la discipline ont été de rigueur, le résultat a dépassé toutes mes espérances. L’enseignement du rapport au Sensible ne m’a pas seulement permis de réaliser un nouvel apprentissage de vie, fusse-t-il capital dans ce contexte de maladie, il m’a également donné un nouveau sens à mon existence.
Pour conclure cet article, j’aimerais faire une remarque, essentielle à mon point de vue : si, au départ de ma recherche, je savais combien ma relation au Sensible avait été fondamentale dans mon parcours de rencontre avec la confiance immanente dans le contexte du cancer, je ne me doutais pas à quel point elle allait être présente et efficiente à chaque étape de ma recherche : « étape » entendue dans le sens de la temporalité mais également au niveau des difficultés rencontrées au sein de cette temporalité.
Le processus de la recherche a été pour moi une nouvelle aventure, troublante, voire périlleuse quelquefois, mais ô combien transformatrice ! En effet, ce parcours s’est trouvé régulièrement échelonné d’instants cruciaux, de différentes natures, qui ont fait office en quelque sorte de points d'appui révélant chaque fois un résultat inattendu et surprenant. Chaque fois, c’est la confiance que j’explorais sous ses différentes facettes et c’est la proximité que j’accordais à ma relation au Sensible qui m’a offert, sans défaillance aucune, la résolution du problème.
Faire l’expérience de la confiance au sein de l’expérience du Sensible et cela dans un contexte de maladie était non seulement d’ordre vital dans cette phase de ma vie, mais l’approfondir dans le cadre de la recherche fut, pour moi, une source de découvertes non moins fondamentales. J’espère ainsi avoir pu communiquer ici, non seulement mes résultats de recherche mais aussi le goût et la force que j’ai rencontrés dans cette expérience…
[1] Note sur l’origine de la fasciathérapie : Dès le début de ses recherches, Danis Bois est interpellé par le rôle du sang « ce liquide noble » et par « l’importance du fascia dans le maintien de la santé mais aussi dans les processus de la vie elle-même ». Ainsi naissent la pulsologie et la fasciathérapie. Trois concepts fondamentaux originels de la méthode apparaissent : « L’être humain est une unité dynamique de fonction, la santé dépend de l’intégrité de l’unité liquidienne et le corps est animé d’une conscience rythmique, source de vie et d’auto-guérison ». Le fascia est donc porteur de la vie intime de la personne. D. Bois observe sans cesse sa pratique qui devient source d’informations nouvelles « qui éclaircissent certains mystères et alimentent l’évolution de nos théories. De cette façon, des éléments d’abord simplement ressentis deviennent des outils thérapeutiques solides ; une fois leur efficacité prouvée, leur mode d’action est codifié de manière à pouvoir les enseigner » (Bois & Berger, 1990).
[2] Corps sensible : « Le Sensible désigne la qualité des contenus de vécus offerts par la relation au mouvement interne et la qualité de réceptivité de ces contenus par le sujet lui-même. Le mouvement interne est, pour nous, l’ancrage premier d’une subjectivité corporéisée. Sous ce rapport, le sujet découvre un autre rapport à lui-même, à son corps, à sa vie, il se découvre sensible, il découvre la relation à son Sensible. » (Bois & Austry, 2007)