Editorial
Ce numéro s’inscrit dans la continuité des numéros précédents, avec la poursuite de la publication d’articles basés sur les recherches de doctorants et de masterants du Cerap.
Mais d’abord, ce numéro offre en ouverture un article de recherche, écrit par E.Berger, A. Lieutaud et moi-même, qui est la version presque définitive d’un article devant paraître dans un ouvrage universitaire consacré au Corps du savant. Cet ouvrage collectif est coordonné par M. Quidu, chercheur à l’École Normale Supérieure de Lyon, et B. Favier-Ambrosini, du département Sciences du sport de l’École Normale Supérieur de Cachan1. Ce livre prolonge des recherches actuelles autour de la place du corps dans la recherche, dans la lignée du livre coordonné par B. Andrieu, Le corps du chercheur : Une méthodologie immersive2
Notre article propose un état des lieux de la place du corps dans la recherche en sciences humaines et sociales pour mieux situer l’apport du paradigme du Sensible. Dans l’esprit du modèle des statuts du corps proposé par D. Bois dans sa thèse (2007)3, et en nous basant sur les écrits de la littérature scientifique qui parlent de la place ou du rôle du corps, nous avons procédé à une catégorisation des rapports au corps dans la recherche. Le premier « corps », le plus souvent évoqué, est le corps obstacle, ce corps qui semble gêner le chercheur, par tout ce qu’il véhicule comme affects, émotions, habitus, représentations. Puis, le corps médium, qui cerne l’apport des recherches de terrain dans l’esprit de l’École de Chicago, pour lesquelles le corps est le support du chercheur dans son rapport au monde, et ouvert aux interactions typiques de l’enquête de terrain. Dans la continuité, il existe une littérature, principalement issue des courants d’inspiration phénoménologique, qui parle du corps comme un corps partenaire, corps perceptif, corps immergé, corps résonnance dans l’immersion sur le terrain de la recherche. Enfin, nous nous sommes proposés de caractériser le rôle du corps Sensible dans la recherche comme un corps sujet, appui dans la recherche et source de créativité. Passer du statut de corps partenaire à corps sujet réclame de reconnaître au corps une vie autonome, de lui donner un rôle actif dans la recherche, et demande surtout au chercheur d’installer avec lui une véritable relation d’intimité.
Ensuite, comme les numéros précédents de notre revue, ce numéro publie des travaux des chercheurs en formation au Cerap, avec la continuité de la rubrique consacrée à la présentation de résultats de recherches de master. De plus en plus de master sont soutenus dans notre laboratoire et publier ces articles montre l’étendue des applications des pratiques du Sensible à travers ces recherches innovantes.
Ce numéro aborde des recherches de master faites par des kinésithérapeutes sur des questions liées à la pratique de la fasciathérapie, avec les articles sur les recherches de Armand Angibaud et Thierry Duval, puis trois articles consacrés à des recherches en psychopédagogie perceptive. Isabelle Bertrand a mené sa recherche autour de la notion d’accompagnement, tandis que Maria Clara Melo da Silva et Chantal Villeneuve présentent toutes les deux leurs recherches menées dans le contexte de leur profession d’enseignante.
Présentons maintenant ces différents articles.
Les deux articles d’Armand Angibaud et de Thierry Duval portent sur des recherches menées sur la fasciathérapie. Ils montrent tous les deux que la fasciathérapie n’est pas seulement une thérapie du soin manuelle, mais possède une dimension d’accompagnement et de pédagogie, qui en fait toute sa force. Ces recherches mettent en lumière ce que la fasciathérapie offre à la personne dans l’objectif de prendre soin d’elle- même et de sa santé.
L’article d’Armand Angibaud porte sur les liens entre fasciathérapie et l’éducation au bien-être. Sa recherche de master portait sur le suivi de patients souffrant de mal-être. Le mal-être est un exemple de concept carrefour qui permet d’étudier attentivement les rapports entre soma et psyché et entre accompagnement soignant et formatif. En interrogeant le vécu de ses patients, sa recherche met bien en valeur l’apport de la fasciathérapie dans ce contexte.
L’article de Thierry Duval est dans la continuité parfaite du précédent. La recherche de master de Thierry Duval portait sur les changements du rapport à la santé des patients qu’il accompagne. Ses résultats mettent en évidence comment, par la relation d’aide manuelle, les changements de rapport à leur corps des personnes accompagnées enclenchent un changement de représentations, et une mise en action dans leur vie quotidienne en relation avec la gestion de leur pathologie.
L’article d’Isabelle Bertrand étudie l’impact de l’accompagnement en psychopédagogie perceptive avec un objectif précis, celui d’étudier le renouvellement du rapport à soi. Isabelle aborde dans sa recherche l’impact des trois outils que sont la relation d'aide manuelle, la relation d'aide gestuelle, et l’entretien verbal. Sa recherche présente aussi les spécificités de l’accompagnement sur le mode du Sensible. Ses résultats mettent en lumière un véritable processus progressif, par étapes, de ce renouvellement : la première étape passe par l’enrichissement des capacités perceptives de la personne, puis la personne découvre le renouvellement de ses points de vue, sur elle- même et sur les autres, et enfin la dernière étape consiste dans un changement des rapports à soi, aux autres et au monde.
Les deux derniers articles portent sur des recherches appliquées dans le monde de l’éducation et de l’enseignement. Les deux ensembles montrent des facettes complémentaires de l’apport de lpsychopédagogie perceptive pour ces professions.
La recherche de master de Maria Clara Melo da Silva portait sur la personne de l’enseignant lui-même. Il s’agit d’une recherche à la première personne, avec l’analyse de son journal, à la fois journal de formation et de recherche. Le projet était d’étudier l’impact de la formation de la psychopédagogie perceptive, en tant que vécu et démarche existentielle, sur la posture et la pratique de l’enseignant. Le point central de l’analyse de Maria Clara Melo da Silva est la mise en lumière de ce qu’elle appelle des « lieux existentiels », qui se découvrent dans le parcours de sa recherche et qui viennent résonner avec sa posture d’enseignante et qui la renouvellent complètement.
La recherche de master de Chantal Villeneuve portait sur sa pratique de la psychopédagogie perceptive en classe primaire. Cette recherche a tout son intérêt dans le fait de montrer comment la psychopédagogie perceptive peut s’appliquer dans des terrains autres que l’accompagnement des personnes. La recherche vaut donc autant comme exemple de recherche pratique que pour les résultats eux- mêmes. La recherche a été menée auprès d’enseignantes formées à la psychopédagogie perceptive et ayant une expérience solide dans l’application de ces outils dans leur pratique. La recherche montre en particulier l’impact des outils de la psychopédagogie perceptive, gymnastique sensorielle et introspection sensorielle, applicables dans une forme adaptée, sur l’état de la classe et le bien-être et la disponibilité des élèves. Ainsi, en conclusion, on se rend compte que la psychopédagogie perceptive offre des outils simples pour apprendre aux enfants un autre rapport à eux-mêmes, à leurs camarades, et à l’apprentissage. D’autre part, cette recherche montre aussi l’importance de l’usage de la psychopédagogie perceptive pour l’enseignant lui-même, pour le renouvellement de ses compétences relationnelles. Ces dernières sont souvent évoquées dans les textes officiels comme centrales dans la pédagogie des enseignants mais rarement enseignées en tant que telles. En particulier, l’analyse montre combien les notions classiques d’empathie et d’autorité naturelle se trouvent transformées et renforcées dans les pratiques des enseignantes.
Et maintenant, bonne lecture !