Cet article présente la réflexion méthodologique du travail de recherche que Philippe Roisier a mené dans le cadre de sa thèse de doctorat en Sciences Sociales, option Psychopédagogie Perceptive à l’Université Fernando Pessoa. En tant que kinésithérapeute/fasciathérapeute, formateur à l’European College of Fasciatherapy en Belgique (Méthode Danis Bois) et passionné de sport il traite de la question de recherche suivante : Quelle est la nature de l’impact de la fasciathérapie sur la récupération du sportif de haut niveau ? Plus précisément, dans le cadre de cet article, il axe son propos sur la présentation de la construction d'une méthodologie spécifique de recueil de données mêlant questionnaire et guide d'entretien, sur les difficultés rencontrées dans le recueil et l'analyse de ces données, ainsi que sur la présentation de premiers résultats de recherche exploratoire.
La fasciathérapie est une spécialisation dans le domaine de la kinésithérapie. Elle a été développée par le Prof. Dr. Danis Bois, kinésithérapeute, ostéopathe et psychopédagogue de formation. Elle a la particularité d’associer des touchers manuels symptomatiques, qui soulagent le patient de plaintes physiques, à des touchers manuels relationnels qui impliquent la personne. En ce sens, elle repose sur un double paradigme. En effet, elle s’inscrit à la fois dans un paradigme du soin en agissant sur des aspects physiques (la douleur, la blessure, la prévention et la récupération) et dans un paradigme éducatif en accompagnant le sportif à mieux connaître les différents vécus de son corps pour une meilleure gestion somato-psychique. Je discuterai de cette spécificité par rapport à d'autres approches manuelles comme la kinésithérapie ou l’ostéopathie et je montrerai sa pertinence dans l'accompagnement du sportif de haut niveau.
Dans le domaine du sport de haut niveau, la fasciathérapie dispose de beaucoup d'expérience clinique, mais manque d'appuis scientifiques. Je souhaite à travers cette recherche, enrichir et développer les travaux existants dans ce domaine et notamment dans le domaine de la récupération du sportif (cf. Courraud, 2005).
En effet, la récupération est un aspect de plus en plus important de la vie du sportif de très haut niveau. Ce dernier est confronté à des exigences toujours plus intenses. En effet, ses performances ne dépendent pas uniquement de son potentiel ou de son talent, ni de ses efforts poussés pendant les entrainements, ou de sa résistance au stress pendant les compétitions, mais également de sa capacité à récupérer après un entrainement ou entre deux compétitions.
Le phénomène de la récupération a fait l’objet de nombreux travaux scientifiques (cf. Hausswirth, 2010 ; Kellman, 2002). La plus grande partie des recherches effectuées sur la récupération du sportif de haut niveau se situent dans un paradigme expérimental. Elles mettent en évidence les effets de l'une ou l'autre intervention (i.e. un type de massage, des étirements etc.) sur la récupération du sportif, soit au niveau d'indices corporels (rythme cardiaque, taux de lactate, force musculaire après l’intervention etc.) soit au niveau d'indices psychologiques (états d’âmes, sensation de récupération etc.). Elles sont souvent effectuées parmi les sportifs amateurs et les étudiants en éducation physique et les résultats sont ensuite extrapolés aux athlètes de haut niveau. Je synthétiserai les apports et les limites de ces recherches pour mieux cerner le concept de récupération, et montrerai la pertinence de s'inscrire dans une démarche compréhensive afin de mieux comprendre le phénomène de récupération en analysant la manière dont le sportif vit sa récupération. En effet, ces recherches ne s'intéressent pas au vécu subjectif du sportif et ne permettent donc pas une approche globale de la personne prenant en compte à la fois la récupération "somatique", mais aussi "psychique" du sportif. Au stade actuel, la science ne dispose ni d’une méthodologie adéquate, ni de suffisamment de données, concernant le rapport que le sportif de haut niveau entretient à sa récupération.
Aussi, j'inscris ma recherche dans un paradigme compréhensif avec l'objectif d'étudier finement les impacts de la fasciathérapie sur les caractéristiques somato-psychiques du sportif de haut niveau. Ma recherche s’adresse strictement à un groupe de véritables sportifs de haut niveau. La population de cette recherche est constituée de 10 sportifs de haut niveau, hommes et femmes, d’âges différents et provenant de différentes disciplines sportives. Le recueil des données s'effectue lors de cinq contacts avec les sportifs, durant lesquels ils sont traités en fasciathérapie. Le recueil de données est double. D’une part, j’utilise un questionnaire sur différents aspects de la récupération, adapté au vécu spécifique des personnes traitées en fasciathérapie (cf. Bois, 2007). D'autre part, je mène un entretien pour clarifier et enrichir les réponses aux questionnaires. Je discuterai de la mise en relation entre ces deux types de méthodologies à la fois au niveau du recueil des données, et au niveau de l’analyse des données.
Contexte personnel et professionnel
L’application de la fasciathérapie au sportif (de haut niveau) est un thème qui me passionne depuis longtemps. Le sport a toujours joué un rôle fondamental dans ma vie personnelle. Déjà au cours de ma petite enfance, on ne pouvait pas m’empêcher de bouger : je courrais du terrain de foot à la piscine et de la piscine au terrain de tennis. Comme enfant hyperactif – aujourd’hui on dirait ‘hyperkinétique’ – instinctivement, je m’exprimais dans le sport. J’y trouvais un équilibre, un bien-être physique et une manière de dépenser mon énergie. Jusqu’à mes études de kinésithérapie à l’Université́ en Belgique, j’ai pratiqué beaucoup de sports et notamment le tennis en compétition. Sur le plan professionnel, ma motivation première en m’inscrivant au cours de fasciathérapie en 1996, était déjà de pouvoir apprendre des techniques de thérapie manuelle qui m’aideraient à traiter les blessures aigues chez les sportifs dans mon cabinet de kinésithérapie.
En tant que kinésithérapeute/fasciathérapeute de formation, j'exerce mon métier dans le cadre d'un cabinet libéral à Bruxelles en Belgique. Bien qu’ayant une longue expérience dans le traitement des enfants, depuis quelques années je traite surtout des problèmes aigus de l'appareil locomoteur chez des sportifs de tous niveaux, du sportif du dimanche jusqu'au sportif de plus haut niveau. Une autre partie de ma clientèle est constituée de patients que je suis à plus long terme : des sportifs dont je suis le kinésithérapeute et que j'accompagne en permanence, ainsi que des patients souffrant de plaintes aspécifiques (i.e., fibromyalgie etc…). Dans ces pathologies, il y a un fort entrelacement entre des problèmes physiques (i.e., douleur), des problèmes physiologiques (i.e., manque de vitalité) et un mal-être au niveau psychique (i.e., déprime, manque de motivation). Dans ces cas, la récupération joue également un rôle fondamental dans le processus de guérison. Leur accompagnement m’apprend beaucoup de choses que je peux appliquer dans mon travail avec les sportifs, et inversement.
Cet accompagnement individuel dans le cabinet m'a par ailleurs amené à devenir le kinésithérapeute de l'équipe nationale belge féminine de tennis. Deux ou trois fois par an, j'accompagne l'équipe dans des rencontres de la Fedcup et la fédération de tennis me sollicite pour accompagner les joueuses dans de grands tournois, notamment les tournois du Grand chelem. Mon activité de fasciathérapeute auprès des sportifs de haut niveau s’inscrit le plus souvent en collaboration/complémentarité avec d’autres dynamiques d’accompagnement. Bien qu’il ne soit pas possible de trouver une approche ‘générale ou standardisée’, qui serait applicable pour tous les sportifs – car c’est vraiment un travail ‘sur mesure’ pour chaque individu et pour chaque discipline – une équipe pluridisciplinaire est souvent constituée d’un entraîneur spécialisé dans sa discipline, un entraîneur physique qui s’occupe de sa condition physique (endurance, force musculaire, explosivité́ etc.), un médecin, même un kinésithérapeute/ostéopathe qui soigne le corps physique, un psychologue qui s’occupe de l’aspect mental, un nutritionniste pour l’alimentation etc. Cependant, l’accompagnement psychologique et plus particulièrement, l’accompagnement de la récupération mentale, restent plutôt l’exception que la règle. Or, dans mon expérience actuelle de travail en équipe, je réalise comment la fasciathérapie s’inscrit de manière nettement complémentaire en se positionnant spécifiquement au croisement de la récupération physique et mentale. Je retire beaucoup de satisfaction lorsque l’athlète prend conscience de ce qu’apporte la fasciathérapie en plus de l’encadrement pourtant déjà très poussé dont il bénéficie. De plus, l’échange avec des collègues provenant d’autres disciplines est vraiment très riche pour moi dans la compréhension de ce domaine.
Ainsi, mon expérience clinique m’a permis de constater combien la fasciathérapie a un impact réel sur la blessure, la douleur, la souplesse, et la récupération du sportif. Les résultats sont très prometteurs. Toutefois je considère qu’il est important de mieux connaître et comprendre la nature de l’impact de mon intervention sur la récupération – qu’elle soit physique, physiologique, émotionnelle, mentale, somato-psychique (le lien entre corps/psychique) ou relationnelle. En accédant à la perception que le sportif a de lui-même, je souhaite contribuer à la validation scientifique de cette observation empirique.
Cette recherche m'aidera également à enrichir mes compétences thérapeutiques auprès d’un public sportif. En effet, trop souvent, on ne laisse pas assez la parole au sportif. Lui donner la parole, l’écouter, dans ce cadre de recherche, me permettra non seulement de mieux comprendre la nature de l'impact de mon intervention, mais aussi de mieux adapter mon intervention aux besoins du sportif de haut niveau.
Ancrage Théorique
L’objectif du contexte théorique est d’étudier la littérature existante dans les domaines de la fasciathérapie et du sportif de haut niveau. Ainsi, dans un premier temps, je développerai la spécificité de la fasciathérapie comme thérapie manuelle et dans un second, les recherches sur la récupération du sportif de haut niveau. Enfin, je discuterai de la pertinence de l’application de la fasciathérapie auprès d’une population de sportifs de haut niveau.
De la thérapie des fascias à la fasciathérapie
Pour introduire le lecteur au sujet de cette thèse, je présente en premier lieu la fasciathérapie. Quel est son historique ? Quels sont ses concepts fondamentaux ? De quelle manière se distingue-t-elle de l’ostéopathie ou de la kinésithérapie ou d’autres ‘thérapies des fascias’? Quelles divergences avec ces méthodes constituent la spécificité de la fasciathérapie ?
Pour déployer les spécificités de la fasciathérapie par rapport aux « thérapies des fascias », je m’appuie principalement sur des écrits et des recherches sur ces différentes thérapies, recherches que l’on trouve surtout en ostéopathie : depuis les Dr. Still (1874) et Dr. Sutherland (1937) jusqu’à Becker (1970) et Upledger (1975). Pour présenter la fasciathérapie, je m’appuie sur les travaux de son fondateur, Danis Bois. Il s’agit de plusieurs livres (1984, 1989, 1990, 2001, 2002, 2004, 2005, 2006, 2007), travaux universitaires (2005, 2007) et articles (2007, 2008, 2009) et de toutes mes notes de cours en formation de fasciathérapie depuis 1996.
Cette partie a pour objectif de situer la spécificité de la fasciathérapie par rapport aux autres thérapies des fascias mais aussi de mettre en relief son double paradigme. En effet, en fasciathérapie le soin se double d'un accompagnement dans la mesure où il est centré non seulement sur le traitement de la douleur, de la blessure ou de la souplesse, ou sur la récupération de l’effort, mais aussi sur l’établissement d’un équilibre somato-psychique. Il s’agit d’une thérapie manuelle qui se différencie ainsi de la kinésithérapie ou de l’ostéopathie reposant principalement dans un paradigme du soin. Ainsi, la fasciathérapie vise à une approche de la personne dans sa globalité.
Littérature scientifique dans le domaine de la récupération du sportif de haut niveau
En deuxième lieu, j’aborde les travaux sur la récupération physique et psychique du sportif de haut niveau et je développe la pertinence d’un accompagnement physique et psychique de la récupération du sportif de haut niveau en vue du maintien de sa santé. Plus précisément, je discute de la dimension d'une éducation à la santé pour le sportif de haut niveau.
La récupération pour des athlètes d'élite est très importante. En effet, la récupération effective d'une charge d'entraînement intense est devenue une cause plausible de la défaite dans le sport. C’est pourquoi, on y consacre actuellement beaucoup de recherches, dans différents domaines et au niveau mondial. Une abondance de recherches fournit des informations sur les caractéristiques de la performance, la récupération de l’effort, le processus de guérison après blessure ou l’état psychique de l’athlète.
Les chiffres jouent un rôle essentiel dans la vie du sportif de haut niveau, qu’il tende à sauter quelques centimètres plus loin ou plus haut, qu’il essaie de courir ou de nager quelques fractions de secondes plus vite, ou encore qu’il essaie de monter dans un classement mondial. Aussi dans son accompagnement, chaque petit détail qui peut être mesuré le sera : des analyses de sang, des données cardiaques, des spirométries pour déterminer son effort maximal et sa récupération, des tests pour mesurer la force musculaire, même son état mental, ses états d’âmes, sont mesurés et représentés/traduits en chiffres. Les recherches réalisées dans le domaine de la récupération du sportif reposent ainsi principalement sur des études quantitatives.
Plus précisément, la littérature existante sur la récupération du sportif de haut niveau s’inscrit dans deux types d’approche : une approche centrée sur la récupération au niveau du corps du sportif et une autre centrée sur la récupération psychique.
D'une part, lors de séances d’éducation physique, des chercheurs essaient de mesurer les effets de différentes interventions comme le massage, les étirements, des applications thermiques locales, des variations des ambiances thermiques, la récupération par immersion et des stratégies nutritionnelles et hydriques sur des indices corporels (rythme cardiaque, taux de lactate etc.) (cf. Hausswirth, 2011). Dans ces recherches expérimentales, l'effet d'une intervention sur la récupération du sportif de haut niveau est quantifié : l’effet est mesuré à partir de machines (prises de sang, force musculaire, écho-doppler, etc.) ou à partir de questionnaires standardisés. Ce type de recherche s'orientant surtout sur des aspects physiques, physiologiques du corps, elles prennent peu en compte le vécu subjectif du sportif.
D’autre part, dans le domaine de la psychologie du sport, un manque de récupération est considéré comme une incapacité du sportif à répondre au stress physique et mental (cf. Kellman et Kallus, 1999). Je développe plusieurs concepts d'accompagnement de l'aspect psychique de la récupération du sportif de haut niveau. Globalement, dans ce domaine de recherche, le corps physique n'a que peu de place. Les stratégies sont surtout orientées vers le développement des capacités mentales, émotionnelles et cognitives le plus souvent en lien avec la performance.
Ainsi, ces deux approches divergent quant au rôle central qu’elles attribuent respectivement, soit à la récupération physique, soit à la récupération psychique.
Je montrerai comment ma recherche s'inscrit dans une conception globale de la récupération réunissant à la fois des "aspects" corporels comme la douleur, mais aussi psychiques comme le stress, et comment la fasciathérapie favorise cette prise en charge globale de la personne, ce dans une dimension d'éducation à la santé.
Littérature sur l'application de la fasciathérapie au sportif de haut niveau
Concernant l’application de la fasciathérapie au sportif de haut niveau, il y a un net paradoxe entre une expérience clinique très riche des praticiens et une littérature très peu abondante.
En effet, mes collègues fasciathérapeutes m’ont dit avoir traité des sportifs provenant de différentes disciplines sportives, la plupart avec succès. Pourtant, en matière d’écrits, il y a peu d’informations disponibles. Christian Courraud a écrit deux livres au sujet de la fasciathérapie et du sport (1999, 2002) et il a publié un article sur « Les fascias et leur clinique en pratique sportive » (2003). Enfin, son mémoire de licence en psychopédagogie curative sur l’importance de la gestion du psychotonus chez le sportif de haut niveau (Courraud, 2005) est la seule recherche que je connaisse sur l’application de la fasciathérapie auprès d’une population de sportifs de haut niveau. Danis Bois donne une définition originale et précieuse du psychotonus : « J’émets l’hypothèse que le psychotonus (…) traduit la force d’adaptabilité physique et psychique d’une personne.» (cité par Courraud, 2005, p.70). Ainsi, pour le fasciathérapeute, il s’agit d’une qualité de perception du patient qui se déploie sous les mains, qui n’est ni le tonus musculaire seul, ni la personnalité seule, mais une qualité de présence qui réunit les deux - corps et psychisme. Dans la recherche de Courraud (2005), 50 footballeurs de première division nationale en France ont été traités 3 fois en fasciathérapie. 80% de cette population ont témoigné d’une amélioration de leur(s) blessure(s) après 3 séances de fasciathérapie. Après ces 3 premières séances, à la question « Qu’est-ce qui vous motive à poursuivre les séances de fasciathérapie quand la douleur est soulagée ?» 35% ont choisi de poursuivre en vue d’effets sur leur adaptabilité physique (plus de souplesse musculaire, moins de fatigue, moins de blessures et plus de fluidité gestuelle), vitalité (plus de “jus”, plus de résistance à l’entraînement, amélioration du sommeil, sentiment de détente et régénération, moins de courbatures, moins de « coups de fatigue », capacité à se surpasser), sensorialité (meilleur feeling, meilleure vision du jeu, plus de globalité, meilleure anticipation, meilleure gestion de l’espace) et psychisme (meilleure concentration, moins de stress, plus d’envie de jouer, motivation, plus grande confiance, meilleure conscience de soi) (Courraud, 2005). Ces résultats montrent bien que l’approche de la fasciathérapie se situe au carrefour entre les deux courants principaux mis en évidence dans la recherche sur la récupération du sportif de haut niveau : l’impact de la fasciathérapie se situe autant sur le plan physique que sur l'état psychique de l'athlète.
Ce contexte théorique me permet de poser une première problématisation de ma question de recherche. D'une part, l'expérience clinique de la fasciathérapie auprès du sportif de haut niveau est prometteuse et d'autre part, il y a un manque de connaissances scientifiques sur l'impact de la fasciathérapie dans ce domaine. De plus, il existe un fossé théorique entre des recherches portant sur la récupération physique du sportif et d’autres portant sur la récupération psychique. Enfin, les études portant sur l'aspect psychique de la récupération portent davantage sur la relation entre des variables psychologiques (i.e. le sentiment de compétence) et la performance de l'athlète que sur la manière dont le sportif vit sa récupération. Ainsi, les études sur la fasciathérapie en tant qu’approche somato-psychique pourraient enrichir la littérature existante sur la récupération du sportif de haut niveau.
Devis épistémologique
Je précise la posture épistémologique que j'adopte dans ma recherche en la situant par rapport au contexte épistémologique des recherches réalisées dans le domaine de la récupération du sportif dont le modèle prédominant est celui du paradigme expérimental, positiviste.
En premier lieu, dans le domaine de l'éducation physique et des sciences de kinésithérapie et de la réadaptation : la récupération est exclusivement étudiée de manière expérimentale. Des études randomisées essayent de prouver les effets d'interventions appliquées au sportif, comme par exemple le massage, les étirements, la thérapie thermique ou des stratégies nutritionnelles et hydriques. Des prises de sang, des tests de force maximale ou de vitesse maximale, le nombre de répétitions effectuées dans certains exercices standardisés, démontrent si oui ou non le sportif a récupéré d’un effort également standardisé (par exemple le Wingate anaerobic cycling test (WAnT), un effort maximal réalisé sur vélo, cf. Avalon, 1974). Dans ces études, le corps est vu dans sa fonction structurelle, mécanique : il y a peu de place pour la subjectivité du sportif.
Dans le domaine des sciences de la psychologie du sport, cette subjectivité devient le thème de recherche. Cependant, la plupart des études dans ce domaine sont également expérimentales : des questionnaires essayent de mesurer l’état psychique, mental de l’athlète, ses émotions, ses pensées, sa motivation etc. et relient cette subjectivité chiffrée à l’état de récupération de l’athlète. Par exemple, un manque de motivation ou la présence d’émotions ou pensées négatives peuvent être un indicateur de surentraînement de l’athlète (Kellman et Kallus, 1999).
Mais on peut se demander si les questionnaires quantitatifs sont les outils les plus adaptés pour connaître le vécu subjectif du sportif ou de la personne de manière plus général ? La difficulté de résumer la multi dimensionnalité du vécu dans un simple jugement sans perdre d'information essentielle fait suggérer à Dijkers (1999) - chercheur dans le département de la réhabilitation médicale à New York - d'utiliser des méthodes qualitatives de recueil de données tel que l’interview comme alternative aux mesures quantitatives. En effet, dans la recherche qualitative, le chercheur dispose de plus de flexibilité pour obtenir de l'information sur la nature exacte de l'expérience de vie du sujet (cf. Wrisberg et Johnson, 2002).
Au stade actuel, nous ne disposons pas de suffisamment d’études et de données qui soient à l’écoute du sportif lui-même. C’est surtout dans le domaine de la qualité de vie du sportif de haut niveau que dans les années ’90, plusieurs recherches qualitatives ont été menées pour mieux comprendre les facteurs qui influencent de manière négative ou positive la performance (Gould, Guinan, Greenleaf et al., 1999), pour mieux connaître les sources de stress (Gould, Jackson et Finch, 1993), les sources de ‘burnout’ (Gould, Tuffey, Udry et Loehr, 1996), les sources de bien-être (Scanlan, Stein et Ravizza, 1991) ou pour connaître les facteurs qui influencent la qualité de vie du sportif (Wrisberg, 1996). Mais, les recherches qualitatives sont plutôt orientées vers des circonstances externes, des facteurs externes (par exemple la gestion du temps, la relation avec son coach, les interrelations au sein d’une équipe notamment etc.) qui influencent la subjectivité du sportif et non vers le vécu subjectif du sportif en soi, ce qu’il ressent réellement (sensation de confiance, de motivation, d’état interne, de perception d’émotions, etc).
Or, mon expérience de terrain m’a appris qu’il n’existe pas toujours de relation entre les données biomédicales et les sensations de récupération du sportif lui-même. Ainsi, une analyse sanguine peut indiquer que le corps est en parfaite condition, alors que le sportif sent qu’il n’arrive pas à récupérer suffisamment, ou l’inverse. De plus, les facteurs internes sont souvent trop négligés par rapport à des facteurs externes à la vie subjective du sportif, alors qu'ils constituent le socle d'un sentiment de confiance (cf. Bois, 2007) C’est pourquoi je fais le choix, pour cette recherche, d’étudier et d’essayer de mieux comprendre le processus de récupération du sportif sur la base de son expérience et de son ressenti.
Ainsi, afin d'obtenir des données sur la manière dont le sportif vit la récupération, je mène une recherche qualitative qui s’adresse strictement à un groupe de véritables sportifs de haut niveau. En effet, il n’y aura ni prise de sang, et ni d’appareils pour mesurer des données physiques. Les données recueillies sont basées essentiellement sur les déclarations du sportif, ce qu’il exprime lors d’une interview personnelle réalisée avant et après l’intervention en fasciathérapie. Les entretiens seront enregistrés et retranscrits après l’interview pour pouvoir faire une analyse classificatoire dans un premier temps, suivie d’une analyse phénoménologique cas par cas, pour enfin réaliser une analyse herméneutique transversale sur les textes.
Ainsi, ma posture épistémologique sera celle du praticien-chercheur qui effectue sa recherche sur son propre terrain de pratique (cf. De Lavergne, 2007).
Méthodologie
Terrain de recherche
Je mène cette recherche sur le terrain de ma pratique libérale de praticien kinésithérapeute/fasciathérapeute. Mon analyse se fera auprès de 10 sportifs de haut niveau : des sportifs dans les domaines du foot et du tennis que j'ai l'habitude d'accompagner, mais aussi des sportifs d'autres disciplines. Comme les sportifs de très haut niveau ont des emplois du temps très chargés et sont peu disponibles, je me déplace vers eux pour faire le traitement et réaliser les interviews dans leur environnement. Dans ce cas, les traitements ne s'effectuent donc pas dans mon cabinet, mais plutôt dans leur club sportif, dans le cabinet de leur kinésithérapeute, ou à domicile.
Participants à la recherche
Cette recherche sera donc menée auprès d’une population de 10 sportifs de haut niveau de différentes disciplines, sexe et âge. Le monde du sportif professionnel est un monde très fermé. Travailler avec des athlètes du plus haut niveau a plusieurs inconvénients pratiques pour deux raisons principales. Premièrement, tous les sportifs ne sont pas prêts à participer à des recherches par manque de temps : ils sont surchargés, et deuxièmement, par manque de confiance : par crainte qu’une recherche avec des techniques "nouvelles" perturbe leur équilibre.
Vu toutes ces limitations, le choix de cette population nécessite d’être argumenté. J’ai également choisi cette population comme terrain de recherche parce que le sportif a une certaine relation à son corps : c’est son outil principal. Il peut changer de raquette de tennis, de cordage, de voiture, de maillot de bain, de chaussures, mais il ne peut remplacer son corps. J’ai l’expérience du sportif qui prend sa tâche au sérieux, respecte son corps, se soigne le mieux possible... Il connait son corps, il sait comment il va réagir dans l’effort, pendant un entrainement, un match dur et épuisant. Souvent, il connaît même les réactions de son corps à des blessures, à des douleurs, à des traitements. Il apprend à vivre avec un corps qui a des maux physiques presque tous les jours. C’est le prix qu’il paie pour dépasser ses limites sur base régulière. On pourrait même dire que le sportif professionnel connait à un certain point son esprit, son équilibre mental. II a appris à gérer les fluctuations entre les moments d’euphorie, de gloire et les moments difficiles, où rien ne semble fonctionner. Il connait des stratégies pour se dépasser, mais aussi des stratégies pour se rassembler après une défaite ou une blessure.
Cette connaissance, cette expérience, me semble faire des sportifs professionnels la population idéale pour participer à cette recherche. Ils devraient, mieux que des amateurs, témoigner de l’impact et de l’évolution de leurs douleurs et blessures, de l’impact sur leur récupération. Ainsi, ils sont les participants idoines pour étudier l'impact de la spécificité somato-psychique de la fasciathérapie sur différents aspects de la récupération : quels sont les impacts sur leur force mentale, leur motivation, mais aussi sur leur capacité à voir les événements d’une autre manière, à relativiser etc. ?
Critères d’inclusion
La population est diversifiée : hommes et femmes, jeunes et sportifs avec beaucoup d'expérience, provenant de plusieurs disciplines différentes : tennis de table, football, tennis, gymnastique, natation, volley-ball, basket-ball, athlétisme, voile.
Il s'agit aussi de pouvoir définir ce que j'entends par "haut niveau". C'est une tâche difficile car chaque discipline a sa propre méthodologie de classement. Pour les sports collectifs, les participants à la recherche sélectionnés font tous partie de l'équipe nationale. Pour les sports individuels, le critère d'inclusion est de pratiquer son sport au niveau international : participer au championnat d'Europe ou du monde, participer aux jeux olympiques, faire des compétitions internationales.
Un autre critère d'inclusion est l'expérience de l'athlète avec la fasciathérapie. Bien que j'accompagne plusieurs sportifs de haut niveau dans mon cabinet, j'ai fait le choix de ne pas les inclure dans cette recherche. Il s'agit de sportifs qui n'ont jamais fait l'expérience de la fasciathérapie. Je me mets ainsi dans les meilleures conditions pour qu'ils témoignent sur la base de leur expérience vécue du moment et non à partir de connaissances préalables ou d’expériences précédentes. Je cherche à évaluer les impacts à court et moyen terme de mes séances de fasciathérapie. De plus, je passe un contrat avec eux pour qu'ils ne fassent pas appel à d'autres approches nouvelles pendant le temps de la recherche afin de favoriser l'identification des impacts de la fasciathérapie en tant que telle.
Méthodologie de recueil des données
Le recueil de données est double : d'une part le sportif remplit un questionnaire, d'autre part nous faisons un entretien complémentaire pour enrichir et pour clarifier les réponses au questionnaire. En fait, bien que les données du questionnaire soient traitées en soi, le questionnaire peut être vu comme guide d'entretien.
Construction du questionnaire
J'ai développé moi-même le questionnaire à partir de plusieurs questionnaires existants dans le domaine de la récupération de sportif de haut niveau. Il est surtout inspiré par le Recovery-Stress questionnaire for Athletes (REST-Q) de Kellman et Kallus (1999) et par le ‘Profile Of Mood States’ de Pollock et al. (1979). Je n’ai pas utilisé ces questionnaires au complet, tels qu'ils ont été élaborés, pour plusieurs raisons. En premier lieu, parce qu'ils sont longs. Ils sont constitués de plus de 70 questions, qui interrogent le sportif sur différents domaines très variés de leur vie. Parcourir ce questionnaire avant et après chaque séance me semblait trop élaboré pour ma recherche de terrain. Mon expérience des questionnaires longs auprès de sportifs de haut niveau m'a montré que leur motivation à répondre aux questions diminue au fur et à mesure de la durée du questionnaire. De plus, dans ma recherche, le questionnaire reste toujours un préalable pour réaliser un entretien complémentaire.
Une deuxième raison de ne pas utiliser ces questionnaires repose sur le fait qu'ils ont été développés dans un domaine spécifique par des psychologues. En effet, si des effets ont été mis en évidence, ils reposent sur des hypothèses bien particulières et on peut se demander dans quelle mesure ces questionnaires peuvent prendre en compte les effets spécifiques de la fasciathérapie. Par exemple, Danis Bois (2007) décrit dans sa thèse de doctorat, un effet spécifique de la fasciathérapie dont témoignent souvent les patients : la perception de chaleur dans le corps pendant le traitement. Il s'agit d'un élément clé de la spirale processuelle du sensible - modèle de compréhension des effets vécus par le sujet au contact de la fasciathérapie (Bois, 2007). Aussi, pour construire mon questionnaire, je m'appuie sur les résultats mis en évidence dans le domaine du Sensible.
Ainsi, les grandes aires des questionnaires existants dans la littérature sur la récupération - comme le sommeil, la vitalité, l’état physique, la capacité à gérer la pression et beaucoup d'autres - ont été repris dans mon questionnaire en y ajoutant les items spécifiques à la fasciathérapie (cf. questionnaire en annexe). Contrairement au questionnaire originaire, j'ai fait le choix de ne poser qu’une ou deux questions par aire dans mon questionnaire et j'utilise l'entretien pour approfondir le vécu du sportif.
À chaque question, le sportif doit se situer sur une échelle à cinq points entre 2 propositions extrêmes, allant de ‘pas du tout’ à ‘beaucoup, comme par exemple: « en ce moment, je n'ai pas de douleurs physiques » et « en ce moment, j'ai des douleurs physiques ».
Temporalité des questions
Le questionnaire est composé de 3 types de questions selon le moment du vécu interrogé.
- Une première série de questions tend à apprendre et à connaître le vécu du sportif de la semaine passée, donc pendant l’intervalle entre deux séances. Ces questions sont posées avant la séance.
- Ensuite une série de questions est ciblée sur l’état actuel du sportif – état physique et état psychique. Comme les questions sont reprises avant et après chaque séance, elles permettent d’évaluer l’impact immédiat de la séance.
- La dernière partie interroge le sportif sur des aspects de la séance même, comme par exemple l’étendue des effets (ce qui est perçu est seulement sous la main ou également à distance des mains -, la perception de la chaleur, la perception d’une globalité etc.
Les aires de la récupération interrogées
Les grandes aires de la récupération du sportif qui sont examinées sont les impacts sur la santé perceptuelle physique (sensations physiques - douleur/blessure, sommeil/vitalité, souplesse, relâchement physique et état physique -, sensations physiologiques ou organiques - respiration, rythme cardiaque, perception d’étendue – et sensations du sensible – chaleur, globalité, implication, mouvement interne), les impacts sur la santé perceptuelle psychique (état/tonalité interne, pression/tension, motivation, concentration, le rapport au corps, l’émotion, les pensées, la confiance, la relation à l’autre), les impacts sur l’activité sportive (feeling, vision de l’espace) et les impacts de la séance même (impact sur état physique et état psychique).
L’entretien
L'entretien est effectué sur le mode de la directivité informative. L'entretien à directivité informative est un concept, une technique spécifique de la fasciathérapie. Il s'agit ainsi d'adapter à la recherche, une technique utilisée dans la clinique. Cette technique développée par Danis Bois se situe entre l'entretien directif et l'entretien non-directif (cf. Rogers, 1951) où le chercheur laisse la parole libre à la personne. Dans l'entretien à directivité informative, le chercheur oriente la personne vers certains effets à percevoir dans son corps (cf. Bois(a), 2011; Bois(b), 2011).
En tant que chercheur, je ne suis donc pas simplement un récepteur passif des informations que fournit le sportif, je suis un médiateur actif, qui pousse le sportif à mettre en mots son expérience vécue pendant la session de fasciathérapie. Dans l’approche somato-psychique de la fasciathérapie, la directivité informative est un outil utilisé autant dans les sessions de thérapie manuelle que dans l’entretien à médiation corporelle qui fait suite au traitement manuel. Dans la thérapie manuelle, le chercheur fournit, sous forme de questions précises, des informations nécessaires à la personne pour qu’elle puisse faire l’expérience de ce qui se passe dans son corps, sous ses mains. Les questions sont des questions semi-ouvertes : elles décrivent plusieurs possibilités du vécu de la personne comme par exemple « Sentez-vous plutôt une baisse ou une hausse de la chaleur dans votre corps, ou est-ce que votre perception de la chaleur dans votre corps ne change pas ? » Sans cette sollicitation, la personne ne pourrait probablement pas découvrir certains phénomènes qui apparaissent dans son corps. La question oriente l’attention de la personne sur certains phénomènes de son expérience qui, sans cette sollicitation, resteraient hors de sa conscience et passeraient par conséquent inaperçus. Dans l’entretien, la directivité informative aide le sportif à faire un retour réflexif sur son expérience et d’y découvrir des aspects de son vécu qu’il n’aurait pas mis en mots sans que les questions les aient sollicités. Elles permettront en plus au sportif de déployer une réflexion autour de son vécu, qu’il n’aurait pas menée sans cet outil de directivité informative. De cette manière, la directivité informative peut devenir formative : elle aide le sujet à produire de la connaissance inédite, novatrice pour lui.
Protocole
Les sportifs sont pris en charge pendant 5 séances individuelles.
- Les quatre premières séances se déroulent en trois temps d'investigation : (1) juste avant et (2) juste après le traitement manuel, le sportif remplit le questionnaire et (3) nous avons un entretien complémentaire.
- Au début de la première séance, j'effectue une anamnèse plus générale afin de connaître la motivation du sportif pour participer à cette recherche, ses attentes, mais également d’avoir des connaissances sur son état physique (douleur, blessure) et psychique, sur son questionnement – souvent lié à la spécificité́ de sa discipline sportive -, éventuellement de connaître sa demande d’aide (s’il en a une). De plus, il est important de savoir quelle expérience le sportif a du travail psycho-corporel. Comment il se soigne habituellement ? Est-il suivi par un kinésithérapeute, un ostéopathe, un psychologue ? Et quel type de travail fait-il avec ses accompagnants ? Cette anamnèse permettra de mieux adapter les interventions qui suivent au profil personnel du sportif.
- Les 4 séances se succèdent dans un délai court : l'objectif est de voir l'athlète une fois par semaine, pendant quatre semaines. Parfois, selon les circonstances (compétition à l'étranger), les séances sont plus écartées.
- La durée d'une séance varie selon l'habilité du sportif à s'exprimer en mots, mais est en moyenne de 75 minutes : 10 minutes d'interview avant la séance, 45 minutes de traitement sur la table et 15 minutes d'interview après la séance.
- La cinquième séance se fait au moins six semaines après la quatrième. L'objectif de cette séance, dans laquelle il n'y a pas de traitement manuel, est de retourner dans le temps avec le sportif et le questionner sur l'impact de l'intervention à plus long terme. Elle dure en moyenne 15 minutes. Qu'est-ce qui a changé à partir de l'expérience des quatre premières séances ? Le délai de six semaines devrait lui permettre de prendre plus de recul par rapport à l'expérience et d'observer s’il y a eu, des changements dans sa vie quotidienne de sportif sur la base de l'intervention en fasciathérapie.
Quelques résultats de recherche exploratoire
Pour optimiser le questionnaire et pour étendre le processus de recueil de données, j’ai mené une recherche exploratoire auprès d’un joueur de handball de 32 ans, qui joue en deuxième ligue nationale. Ce sportif me consulte pour des douleurs récidives à la hanche gauche. Depuis environ deux mois, précédant les consultations, il a des douleurs intenses et une rigidité au niveau des muscles de sa hanche.
Pour pouvoir évaluer quel type de recueil de données me permettrait le mieux d'accéder au vécu du sportif, j'ai réalisé trois entretiens basés sur le questionnaire. À la quatrième séance, je n'ai pas utilisé le questionnaire. Dans ce cas, le recueil de données s'est effectué par un entretien à directivité informative. C'est pourquoi dans les tableaux , apparaissent trois séances, alors qu'il y a des témoignages pour les quatre séances.
Je présente ici quelques premiers résultats qui permettent de comprendre les difficultés que j'ai rencontrées en menant cette recherche exploratoire et qui m'ont obligé à modifier, à adapter mon processus de recherche. Notamment, je décris trois problématiques majeures – le choix de la longueur du questionnaire au vu des objectifs de recherche, l’incohérence des questions-réponses concernant les douleurs, et l’incohérence des réponses entre le questionnaire et l’entretien -, avant de préciser d’autres résultats.
Une première problématique a été la longueur du questionnaire. Dans une première version, le questionnaire contenait à peu près 55 questions. La personne qui voulait bien faire, prenait beaucoup de temps pour le remplir. Il restait alors moins de temps et de disponibilité mentale pour l'entretien complémentaire. Cette observation m’a fait raccourcir le questionnaire exploratoire en le limitant à 33 questions (2 questions par aire). Il y a moins de détails du vécu du sportif dans le questionnaire, mais cela permet de disposer de plus de temps et d'énergie pour clarifier les réponses dans l'entretien.
Une deuxième problématique concerne une évolution des douleurs du sportif qui masque l’impact de la séance sur la douleur initiale. Je présente les résultats au niveau de l’entretien et au niveau du questionnaire concernant la question « je n'ai pas de douleurs physiques/j'ai des douleurs physiques ».
Le sportif s’est fait traiter par le kinésithérapeute de l’équipe pour ces douleurs (I, 25) et il a pris des antidouleurs (I, 29-30) dans des phases très aigues, mais pour le moment, il a arrêté tous les traitements. Le fait d’avoir eu plusieurs blessures et beaucoup de douleurs, lui pèsent : « Si je pouvais m’entraîner sans douleurs, cela irait mieux. Cela me pèse vraiment d’avoir des douleurs après chaque entraînement. (III, 25-26) ». Ce manque de récupération a un tel impact qu’à un certain moment, il a douté de la poursuite de sa carrière : « Comme j’ai déjà eu beaucoup de blessures, j’ai douté à un certain moment, il y a 2 ans de ça, de continuer le sport à haut niveau. (II, 47-49) ». En ce moment, il s’entraîne, mais quand il souffre trop, il espace ses séances d’entraînement : « Parfois, j’interromps brièvement l’entraînement, quand ça ne va plus. (I, 38)». En plus, il doit adapter son mouvement sportif pour ne pas déclencher les douleurs : « La rotation gauche est par exemple difficile. Cela, je l’adapte quand même. (I, 41) »
Pour lui, bien récupérer, signifie « être de bonne humeur et dégager une force (I, 53), ne pas sentir de douleurs physiques (I, 62) et avoir des articulations qui fonctionnent (I, 63). » Il sent surtout son manque de récupération « le lendemain du match, je suis souvent ‘cassé’ » (I, 57) Il se sent raide « au point que parfois je n’arrive pas à me tenir debout (IV, 26) » ou « que je n’arrive pratiquement pas à me redresser (I, 64) ».
Au niveau du questionnaire, le sportif indique qu’après chaque traitement en fasciathérapie, il a moins de douleur qu'avant la séance (cf. tableau 1). Cela peut signifier que l'intervention a eu un impact immédiat sur sa douleur. Mais, ce tableau ne nous donne aucune information sur la durée des effets procurés. Par exemple, avant la troisième séance, le sportif indique avoir autant de douleur qu’avant la première séance. Est-ce que cela signifie que les deux séances précédentes n'ont pas eu d'impact à plus long terme ou s'agit-il d'autres douleurs qui sont prises en considération au moment où il remplit les questionnaires ? L’entretien permet de clarifier ces questions.
Tableau 1 : Perception de la douleur selon la séance
Avant Après
Session 1 4 2
Session 2 4 3
Session 3 4 2
Par rapport à la première séance, le sportif témoigne : « J’ai moins mal et une sensation bien plus relâchée dans le bas du dos. » (I, 77). Ainsi, cet impact ne s’est pas limité à ce moment juste après la séance, mais s’est prolongé dans le temps, même pendant son activité sportive : « Lundi, à l’entraînement, je n’ai presque pas eu de gène de ma hanche, ou que très peu. Ce que j’ai senti c’est une légère douleur au niveau des muscles abdominaux, mais du côté opposé. Cela s’est donc relativement bien passé. » (II, 8-10). Cette amélioration lui a non seulement permis de finir l’entraînement : « Avant, je ne pouvais presque jamais finir un entraînement complet. Lundi, je n’ai pas du arrêter l’entraînement. L’entraînement en soi n’était pas trop lourd, mais j’ai quand même pu le terminer. Il y avait longtemps que cela ne s’était plus passé. » (II, 10-13), mais elle a également favorisé sa récupération après l’entraînement : « Je ne sentais presque plus de douleur après l’entraînement. » (II, 16-17). Les douleurs évaluées avant la deuxième séance ne sont donc plus les douleurs initiales à la hanche gauche, pour lesquelles il m'a consulté, mais d’autres douleurs au niveau des abdominaux.
Nous constatons la même problématique avant la troisième séance : « Immédiatement après le traitement je me suis entraîné, et en faisant un certain mouvement - j’avais toujours une gêne au niveau des abdominaux. J’ai eu une forte douleur à l’arrière de ma cuisse. En fait, je faisais un saut pour lancer la balle et, en exécutant ce saut, j’ai dû jeter ma jambe en arrière, et c’est arrivé. Je le sens encore maintenant. Mes abdominaux me gênent toujours un peu, ma hanche droite, elle, va beaucoup mieux… » (III, 3-8). Dans ce cas, les douleurs évaluées ne sont ni la hanche, ni les abdominaux mais une blessure aiguë aux ischio-jambiers.
Ce constat m'a fait modifier mon questionnaire, en ajoutant une question pour bien différencier la douleur initiale, qui est souvent la motivation première du sportif pour les consultations, et des douleurs aiguës qui émergent au cours de la recherche.
Une dernière problématique que j'ai rencontrée est l'apparente contradiction entre les réponses au questionnaire et les réponses dans l'entretien. À plusieurs reprises pendant cette recherche exploratoire le sportif témoigne d’autre chose que ce qu'il indique dans le questionnaire. Par exemple, au niveau de la motivation : le questionnaire indique que le sujet se sent plus prêt à se mettre en action après qu’avant le traitement. Or, dans l'entretien, il nous livre un autre vécu : « J’ai par exemple moins envie de m’entraîner ce soir. Si je n’avais pas de douleurs, je serais prêt à foncer. » (III, 28-30).
Au moment même, je n'avais pas perçu ces incohérences. Ce n'est qu'en travaillant les textes, qu'elles me sont apparues. Ainsi, je me suis rendu compte que dans le questionnaire, les informations ne sont pas toujours comprises comme je pouvais m'y attendre, et surtout qu'elles sont générales, et que dès que l'on approfondi le thème, nous obtenons des nuances de réponse très intéressantes. Aussi, dans la procédure définitive de recherche, je veille à mieux écouter le sportif en ayant les questionnaires auprès de moi. Je vérifie dans l'immédiat ses réponses par rapport au questionnaire et par rapport aux témoignages précédents pour mieux pouvoir relancer des incohérences. Je trouve que c'est une méthodologie très riche car en relançant des incohérences, je permets au sportif de spécifier encore plus ses réponses et donc d'obtenir une description très fouillée de son vécu.
Concernant plus directement les résultats de cette recherche exploratoire, le sportif témoigne d'un impact sur plusieurs aspects de sa récupération, tant au niveau de son état physique qu'au niveau de son état psychique. Sans vouloir être exhaustif, je présente quelques descriptions de son vécu par rapport à l'intervention en fasciathérapie sur la base d’une analyse catégorielle de ses propos dans le tableau 2.
Tableau 2 : Impact des séances en fasciathérapie sur différents aspects de la récupération du sportif
Impact sur |
Verbalisations |
la souplesse physique |
« Je me sens par ailleurs bien plus souple. Si tu m’avais posé cette question il y a une heure ... je me sens bien plus souple. J’arrive à me bouger plus loin lorsque je me penche sur le côté. » (III, 41-43) |
le relâchement physique |
« Pendant que tu traitais le bas de mon dos, j’ai senti à un certain moment que tout mon dos se détendait, comme si il se déployait sur la table. » (IV, 67-68) |
l'étendue de l'impact du traitement |
« Parfois j’ai des problèmes au niveau de mes intestins, ici et ici dans le ventre (montre à droite juste en dessous du diaphragme et le colon à gauche). Ce que j’ai bien senti pendant que tu me traitais le psoas. Avec un impact dans tout mon thorax. Je l’ai senti jusqu’ici (les poumons). C’était très intense. » (III, 31-37) |
la relation au corps |
« Ce qui m’a frappé pendant le traitement, est le fait que je ne m’occupe que de mon corps pendant le traitement, et non de choses extérieures. Soudainement je me suis rendu compte que j’étais en train de sentir ce qui se passait en moi. Cela je ne le ferais jamais dans d’autres situations. » (II, 88-91) |
la relation corps esprit |
« Pendant que tu traitais le bas de mon dos, j’ai senti à un certain moment que tout mon dos se détendait, et comme s’il se déployait sur la table. Ensuite j’ai senti un grand espace dans mon thorax et j’ai ressenti une grande sensation de paix/repos dans tout mon corps. » (IV, 67-70) |
la motivation |
« Et puis il y a aussi que, et je le sens certainement mieux, j’ai plus beaucoup plus envie de m’engager. » (III, 71-72) |
l'activité sportive |
« J’avais indiqué dès le début que j’arrivais moins bien à pivoter vers la gauche. Et cela a complètement disparu. La semaine passée nous avons fait un exercice pendant l’entraînement : je devais prendre la balle à gauche et donc pivoter vers la gauche, et je suis arrivé à me tourner presque aussi bien à gauche qu’à droite. Cela n’aurait pas été possible avant. Il y a un monde de différence. C’est un progrès que je constate. » (IV, 117-119) |
Perspectives
A ce jour j’ai déjà pu interroger une première série de 7 athlètes sur 23 séances.
Les toutes premières constatations indiquent que la fasciathérapie a un impact sur leur récupération, tant sur un plan physique (moins de douleur, plus de souplesse, relâchement physique) que sur un plan somato-psychique (changement d'état psychique, changement de la relation à soi, influence sur le mode de penser, etc.).
De plus, il se confirme qu'aucun d'entre eux n'a jamais fait l'expérience d'une approche de la récupération qui combine les dimensions physique et psychique malgré le fait qu'il s'agisse d'athlètes réputés et particulièrement encadrés. Le problème de leur récupération est presque toujours abordé sous un angle limité ou séparément sur les plans physiques et autres. L'athlète est de fait assez souvent presque livré à lui-même lorsqu'il s'agit d'identifier des causes plus profondes de son état de récupération qui n’ont pas trouvé d’emblée d’explication.
Le fait que l'état physique et émotionnel de l'athlète, dont on attend qu’il soit performant, puisse être considéré comme une globalité est une découverte pour certains d’entre eux. L'athlète est conscient de l'importance de gérer ses blessures, fatigue et autres effets dus à l'entraînement ou aux compétitions, mais il se rend compte que son état psychologique est déterminant, et que les deux dimensions sont indissociables pour avoir un bon niveau de performance.
Les athlètes sont sans doute habitués à parler ou témoigner de leur état physique. En revanche, évoquer un ressenti concernant la perception émotionnelle est moins facile à traduire en mots pour certains. La personnalité du sportif a un grand impact, son aisance à s'exprimer, mais aussi le niveau de confiance avec le thérapeute-chercheur.
Plusieurs témoignent de ce que ce domaine est très neuf pour eux. Ils sont fortement intrigués de découvrir des dimensions encore inexplorées de leur vécu, en particulier au niveau de la récupération. Plusieurs athlètes vont jusqu'à dire que cette expérience de la fasciathérapie est quasi unique.
Ces premiers résultats vont dans le sens d’une confirmation du potentiel de la fasciathérapie dans ce domaine précis de la récupération, mais certainement aussi dans d'autres champs d'application du sport moderne.