Dans cette communication, nous présentons deux défis d’écriture peu banals habitant une recherche doctorale dont nous avons été respectivement auteure et membre du jury : le défi de l’écriture impliquée d’une part, correspondant à une posture en première personne comprise en un sens assez extrême ; celui de l’articulation avec une écriture analytique plus distanciée d’autre part, d’une manière qui ne renie ni les atouts scientifiques de l’implication ni les avancées descriptives, mais qui sache profiter des riches possibilités interprétatives de l’analyse « en mode écriture » (Paillé et Mucchielli, 2008), sur laquelle repose en partie cette thèse. Cette présentation est pour nous l’occasion de souligner de manière transversale l’apport que peut constituer, pour une recherche qualitative, le rapport au « Sensible » tel qu’il est défini par D. Bois dans le paradigme de la psychopédagogie perceptive (Bois, 2007 ; Austry, Bois, 2007 ; Berger, Bois, 2008).
Nous souhaitons exposer deux enjeux originaux rencontrés dans l’écriture d’une thèse de doctorat soutenue à l’Université Paris 8 en octobre 2009, intitulée Rapport au corps et création de sens en formation d’adultes – Étude à partir du modèle somato-psychopédagogique, dont nous avons été respectivement auteure (Eve Berger) et commentateur en tant que membre du jury expert de la recherche qualitative (Pierre Paillé). Le premier enjeu a trait à la nature et à la profondeur de l’implication qui a été celle de l’auteure et qui a convoqué un type d’écriture dont, à notre connaissance, peu de textes rendent compte. Le deuxième enjeu a été d’associer, d’une manière à la fois fertile et valide, cette écriture profondément impliquée à une autre plus distanciée, à visée d’analyse. Ces enjeux, épistémologiques et méthodologiques, ont posé, mais ont aussi permis de résoudre, des défis importants relativement aux modalités de l’écriture.
Premier enjeu : par les thèmes qu’elle aborde, par les caractéristiques de l’expérience humaine qu’elle étudie, par les choix épistémiques et méthodologiques qui ont présidé à son écriture, par la formation initiale de son auteure également, cette recherche porte de multiples niveaux d’implication, autant qu’elle a été portée par eux. Elle a en effet été entièrement conçue et menée en première personne, en un sens assez extrême du terme que nous tâcherons de définir. À ce stade-ci, le lecteur doit savoir que cette thèse a reçu un accueil enthousiaste au terme d’une soutenance à laquelle assistaient 150 personnes. C’est donc dire que des choix méthodologiques aussi "extrêmes", qui en auraient laissé plusieurs sceptiques il y a quelques années, voire auraient été impensables il y a un peu plus longtemps encore, non seulement rencontrent aujourd’hui une adhésion franche, mais suscitent un grand enthousiasme.
Cependant, argumenter et assumer cette écriture impliquée fut possible au prix de se garantir contre les dangers qu’elle pouvait engendrer au plan scientifique et, pour cela, de prendre le temps et la peine d’observer ses risques et ses enjeux, de les définir et de les rendre transparents à chaque fois que cela était possible et/ou nécessaire. Après avoir présenté les différents niveaux d’implication qui caractérisent cette recherche, nous insisterons principalement sur le rôle qu’ont joué, pour « négocier l’implication » (expression empruntée à J.-L. Le Grand, directeur de thèse), les perceptions corporelles développées par l’auteure au contact du « Sensible » (Bois, 2001, 2006, 2007 ; Bois, Humpich, 2006 ; Berger, Bois, 2008). Le terme « Sensible » ne renvoie pas ici aux cinq sens comme dans son acception traditionnelle, ni au sens proprioceptif (et c’est pourquoi nous parlerons du Sensible, avec un S capital, de manière à ne pas créer de confusion). Il s’agit d’un concept mis au point par D. Bois, initiateur du « paradigme du Sensible » (Bois, Austry, 2007) – paradigme étant pris ici au sens de procédure méthodologique de référence et comme modèle théorique orientant la recherche et la réflexion. Ce concept recouvre l’ensemble des phénomènes, états et processus qui se révèlent pour un sujet lorsqu’il entre en relation avec les mouvements qui habitent la matière constitutive du corps vivant, perceptibles moyennant une formation et un entraînement perceptif adéquats. Se former à percevoir le Sensible permet de développer une conscience aiguisée de soi, de ses états internes et de leurs changements et aussi, sur cette base, un nouveau mode de saisie du sens qui se donne dans les diverses expériences de la vie. Ce foyer corporel de sensibilité et d’intelligibilité spécifiques est l’axe central du programme de recherche du Cerap – Centre d’études et de recherches appliquées en psychopédagogie perceptive – où nous sommes tous deux chercheurs associés. Ayant construit notre collaboration intellectuelle et notre relation amicale sur ce fond, nous avons naturellement éprouvé le désir d’écrire ensemble sur le rôle possible du rapport au Sensible dans l’écriture de recherche.
Deuxième enjeu : l’écriture impliquée s’étant exprimée, au moment du recueil de données, dans le choix d’une description phénoménologique rigoureuse d’expérience personnelle, il s’agissait ensuite de réussir l’articulation avec une écriture analytique plus distanciée, d’une manière qui ne renie ni les atouts scientifiques de l’implication ni les avancées descriptives, mais qui sache profiter des riches possibilités interprétatives de l’analyse « en mode écriture » (Paillé et Mucchielli, 2008), sur laquelle repose en partie cette thèse. Un matériau descriptif représente pour un chercheur une assise solide et sécurisante ; mais un matériau ne parle pas de lui-même, et si l’on souhaite en faire un examen plus analytique, une plongée doit être consentie. À ce titre, l’analyse en mode écriture est probablement le type d’analyse le moins balisé de tous, mais aussi le plus fécond. Il serait en fait plus juste de dire que ces balises existent, mais qu’elles ne sont pas données sous une forme systématique a priori. Cet article sera ainsi l’occasion de révéler celles qui sont les plus décisives dans le contexte du passage d’une écriture de l’im-plication à une écriture de l’ex-plication, ce dernier terme n’étant pas pris ici au sens de raison ou de cause, mais au sens plus large d’éclaircissement, de commentaire visant à faire comprendre, de discussion. Ce passage suppose l’adhésion à un ensemble de préceptes très différents, que nous allons mettre en évidence et illustrer par des extraits de la thèse.
Ce sont toutes ces questions que nous voulons examiner pour le bénéfice de nos collègues étudiants et chercheurs, à la fois du point de vue des enjeux méthodologiques et des implications pratiques. Nous emploierons au fil de l’article alternativement le « nous » et le « je » ; ce dernier renvoie tantôt à l’un de nous, tantôt à l’autre, et nous avons choisi de faire confiance au contexte pour éclairer le lecteur sur notre identité au moment où nous prenons la parole. Ceci étant dit, le premier enjeu a été davantage traité par Ève Berger, alors que Pierre Paillé a plus particulièrement dégagé les propositions relatives au deuxième enjeu. L’article a progressé au fil de plusieurs allers-retours virtuels entre Paris et Sherbrooke. Nous espérons que les étudiants en maîtrise (Québec), en master (Europe) ou en thèse, ainsi que les chercheurs en activité, trouveront dans cette présentation de nouvelles perspectives pour accompagner la pratique concrète d’une écriture à la fois impliquée et osant l’aventure de l’interprétation.
Premier enjeu : les défis de l’écriture impliquée
Écrire sur et depuis l’expérience corporelle du Sensible : un degré suprême d’implication
Ma thèse visait à mieux comprendre le processus – vécu, observé et modélisé dans le cadre des pratiques et théories du Sensible1 – par lequel, à partir d’une relation consciente avec les manifestations de son corps vivant, un sujet peut saisir l’émergence d’un sens utile pour sa vie ou pour son développement. Une recherche se situant ainsi au carrefour du corps vécu et du sens naissant soulevait d’emblée des questions profondément subjectives et impliquantes, à commencer par la question du rapport au corps, qui à la fois réclame et engendre un engagement nécessaire du chercheur dans sa propre dimension d’incarnation, dans sa propre implication existentielle. Cette dimension était d’autant plus prégnante que le rapport au corps sur le mode du Sensible constitue un univers ‘extraordinaire’, au sens propre du terme : c’est une expérience en dehors ou au-delà de l’ordinaire, du vécu du corps tel qu’il se donne sans pratique spécifique au jour le jour, de l’usage banal que nous en faisons quotidiennement. À ce titre, elle est même souvent – et elle fut pour moi – une « expérience fondatrice », au sens de M.-C. Josso c'est-à-dire d’une expérience qui bouleverse les cohérences de la vie, « voire les critères mêmes de ces cohérences » (Josso, 1991, p. 192).
Au vu de ces caractéristiques, le projet était d’étudier cette expérience non pas en tant que situation observable par un tiers, ni comme phénomène social théorique, mais comme situation éprouvée par des sujets vivants, telle qu’elle se donne pour eux de l’intérieur.
À l’intention du lecteur qui n’en n’aurait pas fait l’expérience, deux courts exemples (l’un de Ève Berger, l’autre de Pierre Paillé) permettront d’illustrer ce que nous entendons par expérience du Sensible. Le premier exemple est celui qui a fait l’objet de la recherche. La situation est la suivante : au cours d’une « introspection sensorielle2 » (une forme de courte méditation axée sur les ressentis corporels propres au Sensible), un ensemble de perceptions internes a progressivement donné lieu à l’apparition d’un sens très fort et clair, qui s’est donné à moi (Ève Berger) sous la forme verbale suivante : « ma décision est devant moi ». Cette décision, très importante pour ma vie, je croyais l’avoir prise, or il est devenu clair, à ce moment-là, que cette décision était bel et bien devant moi, donc qu’elle n’était pas prise. Comment un tel sens peut-il émerger d’une expérience corporelle interne (je n’ai pas pensé cette phrase, elle s’est donnée dans mon corps) ? Ce fut l’objet de ma thèse que de retracer et analyser tous les moments de constitution de ce sens naissant corporellement.
Un deuxième exemple est tiré cette fois d’un moment quelconque d’une journée normale. Je (Pierre Paillé) suis en train de lire un texte qui montre bien à quel point la phénoménologie s’intéresse à nouveaux frais à tous les phénomènes de la vie humaine et sociale, mais du point de vue de comment la personne les vit dans sa conscience, dans son intimité. Au même moment, une connexion se fait en moi avec un phénomène sociologique très documenté depuis quelques années, à savoir la place de plus en plus considérable que prend le Sujet (à la recherche de son identité) dans les sociétés occidentales des 20e et 21e siècles. Je vois alors la parenté très forte entre ces deux courants (l’un philosophique et l’autre social), mais plutôt que de voir l’un comme la cause ou la conséquence de l’autre, il y a en moi une conviction très forte comme quoi ces deux courants sont une manifestation d’une évolution plus globale sur le plan de l’aventure humaine. Jusqu’ici, cet eurêka n’est que le lot de l’intellectuel vivant parfois des beaux moments de synthèse (qui, peut-être ne sont pas si géniaux, c’est ce qu’on peut voir après coup). Mais alors que ce genre d’expérience a toujours été pour moi associé à un sentiment de plaisir et aussi à la sensation d’une pensée claire, cette fois, un « mouvement interne » (Bois, Berger, 1990 ; Bois, 2006, 2007 ; Berger, 2006) très net a tout de suite attiré mon attention dans mon abdomen : un déplacement avait lieu, je le sentais comme une restructuration de ma matière. Je me suis mis à l’écoute de la forme qu’avait ce déplacement : il avait la forme d’un éclair. Simple coïncidence ou pas, je venais d’avoir ce qu’on appelle communément un « éclair de génie », une restructuration soudaine de la pensée, et ce que j’ai décrit spontanément, expérientiellement comme vécu corporel renvoyait au même phénomène.
Il nous semble important de préciser ici que ces expériences ne sont pas mystérieuses ou inaccessibles, au contraire elles dépendent d’un entraînement et d’une attention dont tout un chacun est capable3. Ce sont toutefois des expériences si intimes et si peu étudiées que seule une recherche dans l’intimité de soi peut y donner accès avec la plus grande validité.
Le point de vue en première personne adopté dans cette recherche dépassait donc de loin le ‘simple’ fait de dire « je » dans la recherche pour assumer son rapport à son objet de recherche ou à son terrain. Car même si l’univers expérientiel du Sensible est le fruit d’un processus d’apprentissage médiatisé par des tiers, le chercheur qui en fait l’expérience et qui souhaite l’explorer se trouve à l’origine – pour ne pas dire qu’il est l’origine – du phénomène qu’il étudie. Non pas qu’il le ‘fabrique’, qu’il le crée de sa propre volonté, comme cela pourrait être le cas d’une expérience imaginée ou d’une visualisation mentale ; mais il crée les conditions d’apparition4 du phénomène (et même s’il ne maîtrise pas, par ailleurs, le fait qu’il apparaîtra ou pas). Ainsi, si un phénomène du Sensible se donne à sa perception, cela se produit par la grâce d’un effort particulier du chercheur, qui commence en amont par s’extraire d’un rapport machinal à lui-même et à son corps : l’expérience qu’il étudie – au minimum la manière dont il l’approche – n’existe donc que parce qu’il la crée et la constitue comme telle. Se trouve ainsi incarnée d’une manière extrême une démarche que Pourtois et al. qualifient de « monadiste », au sens où le chercheur contribue à l’émergence d’un événement dont il ne se distingue pas totalement (Pourtois, Desmet, 2007, p. 184).
C’est donc pour des raisons de cohérence épistémologique que j’ai choisi de mener cette recherche à partir d’un point de vue en première personne « au sens fort », ou encore « radicalement » en première personne selon la définition qu’en donne P. Vermersch (2000a, 2000b), c'est-à-dire se rapportant exclusivement à mon propre témoignage pris comme matériau de recherche5. Ainsi l’écriture de cette thèse comprenait-elle deux défis majeurs dans un contexte scientifique : l’écriture de soi et l’écriture de l’expérience.
L’écriture de soi : la dialectique implication/distanciation
Tout d’abord, sur la question de l’écriture de soi, il est clair que dans une telle situation, le risque était grand de faire intervenir un certain nombre de projections ou de représentations dans le mouvement d’approche du terrain, des données et des concepts. Je cherchais donc, pour ‘réussir mon écriture impliquée’, la distance juste que la littérature épistémique des praticiens-chercheurs cherche à définir ou, tout du moins, à interroger : quels moyens pouvais-je me donner pour instaurer une réflexivité lucide, sans pour autant renoncer à la valeur scientifique de l’implication6 et sans tomber dans une écriture qui renierait sa source ?
L’écriture théorique
Un premier moyen, très classique, d’instaurer entre moi et mon objet de recherche une distance scientifiquement acceptable et féconde a été la problématisation théorique : le fait de problématiser ma question de recherche dans un champ théorique plus large que celui où elle se posait au départ, de m’ouvrir à un questionnement plus universel, m’a permis paradoxalement de m’approprier davantage ses implications individuelles. J’ai ainsi trouvé dans la recherche matière à re-découvrir autrement ce qui avait été pour moi un événement biographique majeur et dont j’ai fait l’axe principal de mon existence. Cette ouverture s’est ressentie jusqu’au vécu expérientiel lui-même : ‘déconstruire’ l’expérience du Sensible et l’observer avec un regard décalé, à travers le prisme d’approches autres que celle qui l’a vue naître, m’en a fait identifier et apprécier mieux certaines facettes.
Le journal de bord du chercheur
J’ai par ailleurs accompagné tout mon processus de recherche par la tenue régulière d’un journal de bord ; celui-ci ayant rempli les fonctions connues d’un journal de recherche (Hess, 1998 ; Barbier, 1996, 1997), nous n’insisterons pas sur cet aspect.
La description d’expérience comme mode de recueil de données
Plus original, avoir produit moi-même le matériau de recherche sous la forme d’une description phénoménologique très fouillée7 fut particulièrement efficace de me mettre au courant plus profondément non seulement du contenu précis de l’expérience que j’étudiais, mais aussi du rapport que j’entretenais avec elle au-delà de ce que j’en connaissais jusque-là. En effet, décrire c’est se mettre dans un regard nécessairement distancié sur son expérience, non pas au sens d’une distance de séparation mais d’être capable de prendre du recul sur ce qui s’est passé pour en observer les ressort.
Le rapport au Sensible lui-même
Mais le moyen le plus fort pour maintenir une distance juste dans mon écriture fut constitué par le rapport au Sensible lui-même, installé de longue date dans mon corps, dans mon attention, dans ma pensée. C’est cela qui m’a le plus aidée à construire le positionnement modélisé par D. Bois sous le terme « distance de proximité » (Berger, 2009a, 2009b ; Austry, Berger, 2009), participant pleinement et de façon originale d’une « méthodologie de la proximité » (Paillé, 2007, p. 432). Comment cela se passe-t-il ?
La « résonance » du Sensible
Il faut tout d’abord comprendre que le rapport au Sensible n’est pas seulement une mobilisation performante de l’attention en direction des manifestations du vivant au sein de l’intériorité corporelle, permettant de les percevoir particulièrement finement et de se percevoir soi-même à travers elles. C’est aussi, plus largement, un moyen de se tenir au courant de ce que l’on vit, et d’en être touché. En effet, le mouvement interne, en animant la matière corporelle, la rend capable d’être affectée par les événements extérieurs ou intérieurs de la vie du sujet. Ainsi le Sensible installe-t-il dans le corps du sujet non seulement une sensibilité à sa propre présence, mais aussi une vigilance à un lieu intime d’interaction avec les événements qui l’affectent, ainsi qu’avec ses activités et leurs effets dans lui, sur lui et pour lui. D. Bois appelle « résonance » cet univers de variations internes que le chercheur du Sensible a appris à accueillir.
Résonance et « réciprocité actuante »
Cette écoute de la résonance s’ajoute, pour le chercheur, aux capacités perceptives et cognitives habituelles pour interagir de manière renouvelée avec les participants ou les informations de sa recherche sous la forme de ce que D. Bois nomme la « réciprocité actuante » (Bois, 2007 ; Le Floch, 2008 ; Bourhis, à paraître), et qui a été observée au départ comme modalité de présence à soi et à autrui qui s’installe entre deux personnes quand elles situent leur relation d’échange sur la base d’un rapport partagé au Sensible. Dans cette appellation, le terme « actuante » renvoie tout d’abord à la part active des protagonistes de l’échange : la réciprocité actuante ne peut être établie que si chacune des personnes en présence fait ce qu’il faut pour accueillir l’autre dans ou depuis son rapport au Sensible, ce qui suppose qu’elle ait au préalable fait ce qu’il fallait pour être en contact avec elle-même sur ce mode. Alors s’installe une qualité d’interaction qui puise dans la matière corporelle ressentie, et partagée. Une relation de ce type relève donc d’un acte, au sens où elle ne peut être machinale.
« Actuante » renvoie également au fait que cette modalité de relation étant basée sur la perception du Sensible et de ses variations face à ce que dit, fait ou est l’autre, il y a en permanence actualisation de l’échange en fonction de ces données corporelles internes. Dans la recherche, la réciprocité actuante se joue de la même façon entre le chercheur et chaque acte scientifique qu’il pose : qu’il s’agisse du traitement des données théoriques, des données du terrain ou encore de l’élaboration progressive de l’analyse, elle constitue pour le chercheur un mode de réflexivité sur ses propres démarches qui déborde et complète la réflexion intellectuelle.
S’agissant de l’interaction avec les données de la recherche, un exemple, déjà présenté ailleurs (Paillé et Mucchielli, 2008, p. 177), des efforts de P. Large visant à trouver le niveau juste de son travail d’analyse, entre phénoménologie et théorisation, montre bien comment la réciprocité actuante peut fournir des repères reportables sur le choix des dénominations :
« Je me suis aperçu qu’il n’était pas si facile de déterminer des thèmes. Je vais donc décrire […] mon apprentissage. À mon premier essai, […] je ne croyais pas être dans un mode interprétatif, [pourtant] je n’avais pas déterminé des thèmes, mais des catégories, ou alors des rubriques. Je n’avais pas choisi le bon niveau de généralité. […] Pour mon deuxième essai, je devais, devant les données, me mettre en empathie, à l’écoute de l’autre, de son expérience et de sa logique pour le laisser parler à travers moi et ne pas le faire parler pour moi. […] À mon deuxième essai, je suis resté beaucoup plus près du texte, reprenant pratiquement ses mots. C’était bien plus phénoménologique, mais je ressentais un sentiment d’insatisfaction, sentant que la thématisation n’était pas aboutie. Ce n’était pas pour moi assez synthétique. […] Au troisième essai, j’ai retrouvé un plus juste milieu de dénomination des thèmes. […] J’ai ressenti sensoriellement comme une mise en relief des thèmes par rapport au texte. Ils semblaient se détacher au-dessus du texte. […] Sensation incroyable, l’analyse thématique me remettait dans mon corps, qui me donnait une information de justesse que [j’ai pu] réutiliser comme guide dans la suite, pour le reste de la thématisation. Cet exercice d’analyse thématique a été pour moi l’occasion d’une véritable transformation. Comme dans une situation extra-quotidienne, j’y ai découvert dans mon corps le fait de conscience de la justesse d’un thème, le fait de connaissance qu’il est possible d’être encore plus à l’écoute des propos de l’autre qu’on ne le croit, et la prise de conscience que dans ma vie j’interprétais probablement sans m’en apercevoir. Je dis que c’est une véritable transformation, car en PNL je sais depuis longtemps que l’autre vit dans un monde différent du nôtre, qu’il faut rentrer dans son monde pour le comprendre, mais ce n’était qu’un savoir. Ici je l’ai vécu expérientiellement, et j’ai senti dans ma chair l’effet de cette justesse quand ma pensée est accordée à la parole et à la pensée de l’autre. »
Réciprocité actuante et "conscience témoin" de l'expérience
Pour revenir à la notion de distance juste dans l’écriture de la recherche impliquée, une conséquence cruciale de tout ce processus est que la conscience du chercheur se trouve placée, vis-à-vis de l’expérience qui se déroule - celle qu’il étudie, ou celle constituée de l’acte de recherche ou d’écriture qu’il est en train de poser à l’instant même - ni « trop dedans » ni « trop dehors ». C’est sans doute le point clé de la posture d’écriture offerte ou facilitée par le rapport au Sensible : la constitution de ce que D. Bois appelle une « conscience témoin », permettant au chercheur de n’être ni fusionné avec son expérience, ni distant d’elle au point de la perdre comme source d’inspiration. C’est en grande partie la présence de cette conscience témoin tout au long de la recherche qui permet de se maintenir dans une écriture capable d’affirmer la dimension corporelle, intérieure, de la recherche.
L’écriture de l’expérience : décrire la subjectivité corporelle
J’ai donc produit mon matériau de recherche sous la forme d’une description d’une expérience personnelle exemplaire de la situation que je souhaitais étudier, me plaçant ainsi autant comme chercheure que comme sujet de ma propre recherche. La description d’expérience comme mode de production de données de recherche est l’endroit où la posture en première personne rejoint la démarche phénoménologique et psycho-phénoménologique. Un questionnement qui s’est concrètement posé au cours de l’écriture est le suivant : qu’est-ce qui fait de l’écriture descriptive un moment, un texte, un espace, où l’on devient sujet de son existence, où l’on peut devenir auteur de son incarnation ? En effet, il me semblait que le problème possible d’une certaine écriture phénoménologique, c’est qu’à force de vouloir se référer à l’expérience ‘telle qu’elle est’, ou ‘du point de vue de celui qui la vit’, le regard se trouve entièrement tourné vers l’expérience elle-même, vers ce que l’on voit depuis ‘le-point-de-vue-de-celui-qui-la-vit’, à tel point qu’on en oublie celui qui la vit, et que l’on est soi-même ce ‘celui-qui-la-vit’.
J’ai découvert à ce moment les critiques de C. Meyor, pour qui les analyses menées sous le sceau de la phénoménologie scientifique donnent la priorité aux corrélations entre les actes de la conscience et le phénomène, en laissant de côté le sujet vivant l’expérience. La critique va loin, puisqu’elle brosse le tableau d’une phénoménologie scientifique qui rate son objet premier : « En n’exploitant pas le lien éloquent et indissoluble entre phénomène et sujet, on manque l’occasion de rendre à la subjectivité la chair qui est la sienne, on finit par ne plus penser au sujet, en un mot on perd l’ancrage subjectif qui fait pourtant toute la valeur de l’analyse phénoménologique. » (Meyor, 2005, p. 29).
C’est, pour ma part, encore le rapport au Sensible qui m’a permis de maintenir cet ancrage subjectif, via une proximité constante avec non seulement l’expérience à décrire, mais aussi avec la réciprocité intérieure entre moi et mon expérience. Cette réciprocité prend alors la direction des opérations : elle guide l’écriture, elle soutient la description, elle révèle même qu’en décrivant, on continue à se transformer au contact de l’expérience qui poursuit son déroulement dans l’écriture.
Dans ces moments il me semble inclure et envelopper dans mon écriture ce que décrit C. Meyor : « Ce n’est pas seulement à la signification d’un phénomène que la phénoménologie se consacre, c’est aussi à ce qui précède, se tient dans et excède le sens : à ces densités charnelles qui retentissent en nous sans mot, à ces volumes psychiques où voyage et se dilate notre conscience, à ces épaisseurs du vivre qui sont trop souvent encore tus par la parole phénoménologique. » (Meyor, 2005, p. 37)
Deuxième enjeu : les défis de l’analyse en mode écriture
Le passage de la description à l’analyse : articuler im-plication et ex-plication
La (longue) description d’expérience, fournie sur ce mode, avait été produite en de multiples sessions d’écriture réitérée, prenant à chaque fois l’expérience par des angles différents, des moments différents, des facettes différentes. Elle a ensuite fait l’objet d’une première analyse classificatoire permettant de travailler le matériau jusqu’à établir la reconstitution de l’expérience. Le premier constat qui s’est imposé au terme de cette reconstitution de l'expérience fut la confirmation de l’hypothèse qui avait fondé l’ensemble de la recherche : il y a bien un processus, fait de multiples étapes, qui mène un sujet d’une expérience du Sensible à l’avènement d’un sens inédit, ce, sans que ce soit le fait d’une « réflexion » dans le sens habituel du terme.
Cependant, si la reconstitution de l'expérience pouvait déjà être vue comme un résultat de recherche par la perspective processuelle singulière qu’elle donnait à voir, je n’ai pu me contenter de ce premier résultat. J’ai ensuite opéré une phase d’analyse plus poussée, qui permettait de prendre de la hauteur par rapport au déroulement événementiel de l’introspection sensorielle étudiée, indispensable pour tenter de modéliser les types d’événements qui composaient le processus de création de sens, ainsi que les dynamiques qui les reliaient.
C’est là qu’est intervenue l’analyse en mode écriture, c'est-à-dire « un travail délibéré d’écriture et de réécriture, sans autre moyen technique, qui va tenir lieu de reformulation, d’explicitation, d’interprétation ou de théorisation du matériau à l’étude. » (Paillé, Mucchielli, 2008, p. 123). Comparée au système de représentation très codifié et catégorisé qui avait permis la reconstitution de l'expérience, la rédaction fut ici beaucoup plus libre, respectant en cela cette remarque : « (l’écriture) libère des contraintes liées aux stratégies axées sur le repérage et la classification des unités de signification du matériau analysé » (Ibid., p. 127). En effet, je n’ai pas utilisé ici de méthode systématique ; il ne s’agissait pas d’un commentaire de texte en règle, ni d’une traversée des données à travers une trame de lecture déterminée. Le style universitaire n’était pas toujours de mise et je ne me suis pas demandé de le réintroduire après-coup dans une écriture qui aurait alors masqué le processus réel de déploiement. Je me suis ‘laissée écrire’, à partir d’une mise en écho, fondée sur le mode de la résonance, avec la reconstitution de l'expérience ; jouant pleinement la carte de la démarche interprétative qualitative, j’ai rendu compte précisément du déploiement de ma subjectivité de chercheure dans le corps de la thèse.
La rédaction a duré plusieurs semaines, le texte étant relu et enrichi à de multiples reprises, la rédaction évoluant progressivement vers le développement de commentaires et de précisions relevant de plus en plus d’un travail de théorisation, en suivant différents types de logiques selon les moments de l’écriture : logique de résonance, logique de précision, logique de développement théorique, etc.
Sur le plan de l’écriture, les différences sont très importantes entre une logique de description (première partie des résultats de recherche) et une logique d’analyse menant à l’interprétation et à la théorisation de ces premiers résultats. Dans le passage entre la première et la deuxième, on peut voir à l’œuvre l’adoption de règles de fonctionnement qui sont nettement repérables pour peu que l’on en fasse un examen épistémologique. C’est ce que nous avons fait à partir d’une analyse secondaire comparée des sections descriptives et analytiques de la thèse, sans viser l’exhaustivité, mais en souhaitant donner à voir les règles les plus décisives. Des extraits des sections correspondantes permettront d’illustrer comment se matérialise ce passage sous l’angle des règles que nous mettrons en évidence. Ainsi les particularités de l’écriture analytique sont les suivantes :
Son destinataire-cible est un chercheur (voir tableau 1). Si l’on est attentif au type de discours qui caractérise une description comparativement à une analyse, on va remarquer que, sans que cela ne soit le plus souvent nommé, le destinataire-cible est, dans le premier cas, un observateur ou témoin, et, dans le deuxième cas, un chercheur ou du moins quelqu’un qui adopte une position de curiosité par rapport à l’intrigue que va tenter de résoudre le texte. En effet, décrire, c’est donner à voir, alors qu’analyser, c’est donner à résoudre (Paillé, 2011). Dans les extraits qui suivent, l’écriture à la première personne donne à voir l’expérience, d’abord pour celle qui la vit et entreprend de l’expliciter, ensuite pour le lecteur, alors que l’écriture analytique s’adresse, par le ton et le propos, à une personne curieuse des résultats de la recherche.
Tableau 1 : Destinataire cible : Chercheur
Elle permet de se situer en surplomb (voir tableau 2). La qualité d’une écriture descriptive est qu’elle se situe « au ras des pâquerettes », elle colle au réel en tentant de le représenter le plus fidèlement possible. L’écriture analytique s’apparente plus au vol de l’oiseau, surplombant la scène et pouvant jouer librement des divers angles de vision.
Tableau 2 : Se situer en surplomb
Elle est dynamique plutôt que statique (voir tableau 3). L’écriture descriptive, stricto sensu, est un ensemble d’arrêts sur image, alors qu’une analyse peut se déployer selon la logique du récit et peut à loisir concerner des processus repérables dans diverses parties du matériau (Paillé, 2011). En effet, comme le précise P. Ricoeur, « la temporalité ne se laisse pas dire dans le discours direct d’une phénoménologie, mais requiert la médiation du discours indirect de la narration » (1985, p. 349). Il est fait référence ici à une propriété de la description appelée le « statisme », que résume Y. Reuter : « La description se présente ainsi, sans référence à un ordre "réel" antérieur, sur le mode de la simultanéité temporelle, de la coexistence, de la juxtaposition » (1998, p. 40). Il s’agit d’un critère de différenciation important par rapport au récit, lequel s’insère dans un temps construit, par exemple lorsqu’il débute avec la locution typique "il était une fois…". À l’inverse du récit, la description se caractérise par « l’absence d’ordre causal-chronologique (ou sa suspension) dans l’objet décrit et l’absence de transformation programmée (ou sa suspension) » (Ibid.). Ces limites épistémiques n’ont plus lieu d’être pour ce qui concerne l’écriture analytique, qui est une forme du récit.
Tableau 3 : Dynamique plutôt que statique
Elle prend en compte les récurrences mais n’est pas obligée de les reproduire ou de les quantifier (voir tableau 4). À l’inverse d’une écriture descriptive ou d’une analyse statistique, l’écriture analytique n’est pas contrainte par la logique de la répétition (chaque fois qu’un phénomène se produit, je dois en rendre compte) ou du comptage exact (le nombre exact de fois qu’un phénomène se produit ou son pourcentage le plus précis possible sont des données dont il faut tenir compte et rendre compte). Une interprétation n’existe pas en vertu d’un calcul exact, elle est un jugement sur un phénomène. La notion de jugement n’est évidemment pas comprise ici sous l’angle péjoratif, mais en tant que regard expert.
Tableau 4 : Prise en compte des récurrences
Sa logique propre est de déplier le sens, et cela peut être fait pratiquement à l’infini (voir tableau 5). Le sens ne réside pas dans les phénomènes, on peut donc décrire ceux-ci et laisser ouverte la question du sens. En fait cette question a déjà un début de réponse, une direction, car aucune description intelligible n’est dépourvue de sens. Toutefois, sur le plan de la référentialité, le propre d’une écriture descriptive est de jouer un rôle de représentation, alors que l’écriture analytique offre la possibilité de décomposer la scène, l’événement ou le phénomène, et d’examiner des pistes d’association entre les parties ainsi décomposées, avec comme résultat une nouvelle vision.
Tableau 5 : Logique : déplier le sens
Elle permet de développer et tout à la fois d’exposer une argumentation (voir tableau 6). Argumenter, c’est construire une interprétation à l’aide de propositions logiques qui cherchent à susciter l’adhésion. L’écriture analytique est toute indiquée pour cette tâche, car elle n’est pas tenue par une correspondance immédiate avec les phénomènes. Dans le contexte de la recherche scientifique, une description est par principe une reconstitution véridique de ce qui a été vu ou vécu. Notons que cela ne signifie pas que ce qui a été vu ou vécu peut revendiquer le statut de vérité, car cela dépend du point de vue. Toutefois, partant de ce point de vue nécessairement limité, une description rigoureuse doit rendre, termes à termes, ce qui a été vu ou vécu, tel que cela a été vu ou vécu. Pour ce qui concerne l’analyse, la question de la véridicité ne se pose pas ainsi, car c’est incidemment le mode opératoire d’une analyse que de faire varier les termes, de manipuler les propositions de véridicité. Qui dit analyse, dit multiplication des propositions de sens, multiplicité des hypothèses de travail, déconstruction de la logique première (de la logique descriptive). Au final, la validité (plutôt que la véridicité) est bien sûr le but recherché et il faut pouvoir faire la part des choses entre des propositions concurrentielles, mais le processus est tout aussi important que le résultat.
Tableau 6 : Développer et exposer une argumentation
Elle a la possibilité d’être indicielle (voir tableau 7). À l’instar du modus operandi d’un Sherlock Holmes (Soulet, 2006 ; Thouard, 2007), l’écriture analytique peut procéder par indices dans la construction des interprétations. Un indice est une trace d’une activité ou d’un phénomène (d’un meurtre, pour l’inspecteur de police) à partir de laquelle il est possible de constituer une explication ou une théorie, qui reste évidemment à valider de la manière la plus rigoureuse possible s’il est question de ne pas faire fausse route (de ne pas condamner un innocent). Or ces indices s’appuient sur des éléments de description (ou sur une minutieuse reconstitution de la scène du crime). Toutefois un indice ne devient tel que parce qu’il (et lorsqu’il) est interpellé dans le cadre d’une enquête, bref son statut d’indices est lié à une logique d’analyse. À l’origine, au sein d’une description, ce qui pourrait devenir un indice n’est à ce moment qu’une caractéristique d’un phénomène. Le passage de l’un à l’autre est celui du constat au signe (qui fait signe au-delà de ce qui est directement visible).
Tableau 7 : Possibilité d’être indicielle
Conclusion
Les niveaux, les modalités, les vécus d’une écriture de recherche sont potentiellement si divers et si singuliers que les comptes-rendus et analyses à leur sujet deviennent une nécessité dans le contexte de la grande variété des approches de la recherche qualitative et de ses pratiques discursives. Nous avons, pour notre part, donné à voir le parcours des écritures d’une thèse produite radicalement en première personne et hissée, par des changements progressifs de tonalité d’écriture, vers une analyse de plus en plus synthétique et théorisante. Le trajet a comporté divers moments : écriture de soi et recherche d’une distance juste, écriture théorique et appui sur la problématique, écriture phénoménologique de ce qui se présente tel qu’il se présente, écriture subjective ancrée dans la corporalité et émergence du sujet et non seulement du phénomène, écriture du Sensible et résonance, écriture descriptive et re-présentation fidèle des vécus, enfin écriture analytique et utilisation des leviers de l’activité interprétative sous toutes ses formes. Il nous reste peut-être à ajouter cette prise de conscience que nous partageons, au terme de cet exposé, et qui pourrait tenir dans cette formule : nous écrivons comme nous sommes. L’écriture ne saurait se résumer à une technicité, elle est une forme de notre être-au-monde.
1 Les pratiques du Sensible sont la fasciathérapie (méthode de soin et d’éducation à la santé pratiquée par les kinésithérapeutes et les médecins) et la somato-psychopédagogie (méthode d’accompagnement de la personne associant toucher, mouvement et parole). Les théories du Sensible recouvrent l’ensemble des concepts, modèles et conceptualisations qui constituent le paradigme du Sensible (Bois, Austry, 2007). Pour y avoir accès, se référer aux publications accessibles sur www.cerap.org.
2 L’introspection sensorielle est l’un des quatre outils pratiques de la somato-psychopédagogie. Pour une approche plus détaillée : voir Bois, 2009 ; Bois, Bourhis, 2010 ; Berger, 2006, 2009.
3 C’est justement l’objectif et la fonction des pratiques du Sensible que de proposer les conditions et les modalités d’un tel entraînement perceptif et attentionnel.
4 Ces conditions sont dites « extra-quotidiennes », parce qu’elles rompent avec le rapport naturel au corps dans lequel les phénomènes du Sensible restent imperçus. Cf. Berger, 2006, 2009 ; Bois, 2006 ; Bourhis, 2007.
5 Je ne m’y trompe pas : la connaissance que m’a apportée ce rapport direct n’est pas meilleure ou plus complète que celle obtenue en me mettant en relation avec le vécu d’autrui ; elle m’a simplement offert des informations que je ne pouvais obtenir que de cette façon, parce qu’elle renvoie à des zones expérientielles connues de moi seule, et que je pense ne pouvoir confronter à l’expérience d’autrui qu’après les avoir pleinement identifiées et analysées.
6 Nous ne développons pas ici cet aspect, abordé dans de nombreux ouvrages d’épistémologie et de méthodologie de la recherche impliquée, et dont le lecteur trouvera un aperçu dans la thèse que nous analysons ici.
7 Pour les détails concernant la méthodologie de production de cette description, voir Berger, 2009a, chapitres 1 et 3, deuxième partie.