Extrait du discours introductif de Jeanne Marie Rugira, Professeure à l'UQAR, lors du colloque Identité, Altérité, Réciprocités, Paris, Juin 2011.
[…] Un nouveau programme de maitrise en études des pratiques psychosociales a vu le jour au début des années 2000. Un programme qui accueille depuis plus d’une dizaine d’années, les praticiens qui souhaitent réfléchir sur leur expérience, en vue d’en produire du sens, des connaissances, voire même plus de santé pour eux, leurs équipes et leurs organisations.
Ce programme poursuit un triple objectif, à savoir : la transformation des personnes, le renouvellement des pratiques et la production des connaissances. Pour ce faire, nous avons privilégié aux côtés des approches biographiques, la voie de l’analyse réflexive des pratiques telle que prônée par le courant praxéologique comme l’incarne un Yves Saint-Arnaud ou un Jean Marc Pilon à la suite d’Argyris et Schön. Nous nous inspirons également du courant de psycho-phénoménologie tel que présenté par les travaux de Pierre Vermersch.
C’est à cette même époque, que j’ai pris le risque de m’engager à introduire les pratiques du Sensible dans ma vie professionnelle. J’étais personnellement très interpellée par cette proposition de Bernard Honoré qui convoque tout formateur à assumer sa responsabilité, en vue de créer des conditions optimales pour dévoiler les différents visages de la formation.
Ma rencontre avec les propositions pédagogiques des pratiques du Sensible, m’a alors donné le sentiment d’être au cœur d’une phénoménologie pratique dont mon métier de formatrice en psychosociologie a foncièrement besoin. Je découvrais des praticiens chercheurs qui comme nous, se préoccupent d’accompagner la transformation humaine. Tout comme nous, ils privilégient le potentiel humain et tout comme nous, ils instaurent l’expérience au coeur de leur démarche pédagogique. Ainsi, je me sentais à la maison. Ce qui était totalement nouveau pour moi, c’était la place qu’ils accordaient au corps au sein des processus d’apprentissage, de soin et de changement.
J’annoncerais ainsi, ce qui à l’époque me semblait différencier nos deux pratiques et portait un riche potentiel de complémentarité. Ils étaient centrés sur la relation au corps, nous étions essentiellement centrés sur la relation à l’autre. Je commençais à comprendre que l’un n’empêche pas l’autre comme dirait mon amie Arouna.
Nous découvrions ainsi une approche éducative à médiation corporelle qui propose un parcours expérientiel et théorique tourné vers le ressenti du corps comme pivot de l’accès à l’expérience subjective. Nous avons principalement hérité de cette rencontre fondatrice le projet de développer des compétences attentionnelles, perceptives, réflexives et dialogiques depuis l’expérience du corps sensible. Ce qui nous a permis de constater de manière évidente qu’il est possible par le biais du rapport au corps, de rejoindre le lieu où, au plus profond d’une intériorité corporéisée et conscientisée, on peut se percevoir, s’observer et se réfléchir comme sujet de son expérience.
Nous étions en train de découvrir alors, que notre projet pédagogique ne pouvait pas se passer de cette dimension de la formation jusque-là imperçue. Nous avons ainsi décidé de cheminer avec Danis Bois et de faire école. Nous faisions progressivement l’expérience que la perception que nous avons des choses, au sens sensoriel du terme et au sens de l’interprétation que nous en faisons, détermine le rapport à soi, aux autres et au monde.
C’est pour cela que nous ne pouvions plus concevoir un projet de formation à l’accompagnement du changement ou aux relations humaines sans envisager que le processus de formation lui-même soit une occasion pour les apprenants de se découvrir autrement. Une occasion de se percevoir différemment, de comprendre le monde, de se comprendre soi-même et de comprendre les autres d’une manière véritablement renouvelée, mais surtout constamment renouvelable.
C’est à ce moment que nous avons commencé une alliance serrée avec l’équipe de Danis Bois pour renouveler non seulement notre propre rapport à notre corps sensible, mais aussi pour renouveler nos manières d’être, de vivre avec les autres et d’habiter notre vie professionnelle, nos projets de formation et de recherche depuis notre corps sensible. […]