Résumé de la thèse soutenue publiquement le 12 octobre 2009
sous la direction de Jean-Louis Le Grand
Cette thèse vise à apporter des éléments nouveaux à la compréhension des liens entre rapport au corps et création de sens dans le champ de la formation des adultes, à un carrefour peu exploré malgré la richesse des travaux sur chacun des deux thèmes.
La recherche se fonde sur une étude de l’expérience de genèse du sens qui se donne à partir d’une relation consciente avec les manifestations du corps vivant, relation explorée et modélisée dans le cadre des pratiques et théories du « Sensible » (Bois, 2001, 2006, 2007 ; Bois, Humpich, 2006 ; Bois, Austry, 2007 ; Berger, Bois, 2008). Le Sensible est ici défini comme un ensemble d’états et de mouvements qui habitent la matière constitutive du corps humain, perceptibles moyennant une formation et un entraînement perceptif adéquats, et réalisant à la fois un univers expérientiel spécifique et la modalité perceptive permettant de les saisir. Au-delà de ce qu’elle donne à ressentir, l’expérience du Sensible livre aussi au sujet un sens, via la saisie d’informations se donnant sous une forme émergente et spontanée; elle se révèle du même coup être beaucoup plus qu’une simple sensibilité particulière du corps humain : le support possible d’une véritable ‘révélation’ du sujet à lui-même, et la voie d’accès à un foyer d’intelligibilité spécifique. C’est dans cette émergence d’un sens nouveau et transformateur au cœur de l’éprouvé corporel, que s’ancre la question de recherche qui anime cette thèse : quels sont les processus à l’œuvre lors de la genèse d’un sens au contact du Sensible ?
Sur le plan théorique, l’exploration est menée à travers cinq caractéristiques de la genèse du sens au contact du Sensible, qui fondent la problématique de recherche : la place du corps et des sensations dans la genèse du sens, le mode spontané d’apparition du sens, l’immédiateté de cette apparition au cours de l’expérience corporelle, l’existence de phases non langagières du sens et, enfin, le caractère de nouveauté du sens émergeant. Sur ces cinq points, l’étude interroge tout d’abord la place donnée, en formation d'adultes, au lien entre rapport au corps et genèse du sens ; cet aspect se situe dans le prolongement de mon mémoire de DEA – Approches du corps en Sciences de l'éducation (2004) –, dans lequel je menais une analyse des points de vue et positionnements de recherche adoptés sur le corps depuis la création de la discipline, à partir d’une lecture critique des travaux de ces quarante dernières années. Dans le présent travail, cette catégorisation a été reprise et poussée plus loin sous l’angle de la question du sens, cherchant notamment à cerner et nommer la manière dont le corps ‘fait’ sens, ou ‘prend’ sens, dans chacune des conceptions du corps identifiées.
La problématique de cette thèse questionne également les modèles de création de sens en usage dans le champ de la formation d'adultes : de quoi parle-t-on vraiment quand on y parle de sens ? Sur quels cadres théoriques s’y appuie-t-on pour mobiliser le concept de sens ? Dans quelle mesure et de quelle façon permettent-ils d’éclairer le processus de genèse du sens au contact du Sensible ? De quelle manière sont-ils eux-mêmes interrogés par l’expérience de ce processus ?
Sur le plan épistémologique et méthodologique a été développée la question de l’implication, transversale à l’ensemble de la démarche. L’exploration de la genèse du sens est en effet menée en première personne, c'est-à-dire du point de vue de celui qui la vit, sous deux angles essentiels. Le premier est l’engagement typique du praticien-chercheur, pour lequel ont été interrogés deux grands aspects habituellement décrits et souvent dénoncés : l’intervention des projections personnelles dont la suspension est recommandée pour garantir la qualité de la recherche, et la mise en jeu de connaissances intériorisées par une longue pratique professionnelle et constituant au contraire, dans la culture des praticiens-chercheurs, à la fois la source et la visée assumées de la recherche. Le second angle d’approche relève d’une démarche de pratique phénoménologique, enrichie du fait qu’à chaque étape de la recherche ont été mis en œuvre et développés des actes perceptivo-cognitifs spécifiques du rapport au Sensible : envers l’expérience de référence décrite et analysée dans ce travail, envers les données issues de cette description, envers l’analyse elle-même ou encore envers moi-même à chacune de ces phases.
Le positionnement résultant soulève des questions délicates par sa forte dimension d’implication qui interpelle le chercheur et, plus encore, la démarche de connaissance elle-même, sur les moyens de documenter et d’étudier une expérience humaine subjectivité et singulière, sans exclure la rigueur nécessaire à toute démarche scientifique. Cet aspect se trouve à l’origine d’une part importante de l’originalité de la production de connaissance expérientielle et théorique que cette recherche ambitionne ; l’exposition d’une certaine ‘épistémologie du Sensible’ explicite en quoi et comment l’intégration du rapport au Sensible dans la posture du chercheur, considéré dès lors en tant qu’élément épistémique central de cette thèse, donne à la notion même d’implication un autre relief, voire une redéfinition menée de façon précise.
La méthodologie descriptive employée, ancrée dans l’introspection du Sensible et empruntant à la démarche d’auto-explicitation, montre sa fonctionnalité à travers les résultats obtenus, tant au niveau du degré de détail atteint dans la description d’expérience qu’au niveau de ce qu’elle a permis de mettre à jour quant aux dimensions du processus étudié. Les résultats de la recherche se présentent sous la forme d’une modélisation du processus de genèse du sens selon deux approches : une approche statique d’une part, consistant à recenser et classifier les types de sens présents dans l’expérience et leurs caractéristiques, indépendamment du mouvement dynamique de leur création ou de leur enchaînement ; une approche génétique d’autre part, qui rend compte des enchaînements des étapes du processus, des passages d’un stade à un autre. Certains points cruciaux sont ensuite développés, tels que la limite de la distinction linguistique/non linguistique pour rendre compte de la pluralité et de la continuité des modes d’intelligibilité du Sensible, la question des conditions d’apparition des phénomènes à l’origine du processus de genèse du sens, ou encore la place de la réciprocité entre le sujet et son expérience corporelle interne dans l’émergence et la saisie du sens du Sensible.