Cet article est le fruit d'une recherche doctorale visant à explorer les liens entre la pédagogie perceptive et les outils actuellement reconnus et pratiqués dans l'univers du coaching, afin de mettre en avant les potentialités d'accompagnement professionnel de la personne par la pédagogie perceptive. Cette recherche articule à la fois une recherche bibliographique fouillée d'un univers en émergence, et une investigation pratique en situation, au sein de quelques entreprises. Le présent article synthétise le volet bibliographique de cette recherche.
Quinze années d’expérience en entreprise, à des postes de responsabilité, ont aiguisé ma passion pour le « paramètre » humain. J’y ai souvent été frustrée de sentir un grand décalage entre ce que la personne croyait être et pouvoir faire, et le potentiel que je pressentais la concernant. Depuis, au fur et à mesure de ma pratique de la pédagogie perceptive en cabinet, j’en ai découvert l’efficacité : le processus de transformation qu’elle permet, la découverte de ressources internes non conscientes, et l’émergence de nouveaux potentiels de la personne qui peuvent alors s’exprimer. Dès lors, j’ai eu envie d’amener cette pédagogie vers l’entreprise, et le coaching m’a semblé être la meilleure porte d’entrée. Dans cette optique j’ai choisi deux axes de travail en parallèle. Le premier est un cursus de DESU « Pratiques du coaching » à l’Université Paris 8 (achevé), qui m’a permis une mise en pratique professionnelle. Le second consiste à entreprendre des études de doctorat dans le cadre du Doctorat en psychopédagogie (spécialisation psychopédagogie perceptive) de l’université Fernando Pesoa (Porto, Portugal). Celles-ci vont me permettre d’enrichir mes connaissances et étudier comment introduire la pédagogie perceptive dans le coaching en entreprise, Le sujet de ma recherche, « Pédagogie Perceptive et Coaching de Dirigeants », s’inscrit dans le cadre des travaux du Centre d’Études et de Recherche Appliquée en Psychopédagogie Perceptive (Cerap).
Afin d’étudier comment la pédagogie perceptive peut enrichir les techniques de coaching en entreprise, il est nécessaire de valider au préalable la compatibilité théorique de ces pratiques. Cette analyse sera le sujet de cet article. En effet, dans la mesure où beaucoup de praticiens en pédagogie perceptive expérimentent actuellement, de façons souvent très créatives, l’introduction de la pédagogie perceptive dans le monde de l’entreprise, j’ai souhaité apporter ma pierre. Il présente des éléments de réflexions autour de la question de la socialisation possible de la pédagogie perceptive au sein du monde du coaching en entreprise.
Nous commencerons par découvrir certains points délicats dans cette démarche de socialisation, et en particulier les réticences que suscite le sujet du corps, le sens des mots et le manque de sources scientifiques concernant le coaching. Ensuite nous verrons qu’il existe une réelle convergence philosophique entre la Pédagogie Perceptive et le coaching en entreprise. Enfin, après avoir distingué l’interpellation de deux types d’intelligence, somatique et cognitive, lors de l’accompagnement de la personne, nous découvrirons comment se situent les différentes « écoles » de coaching.
Les difficultés
Des réticences autour du sujet du corps
La pédagogie perceptive est un système cohérent de concepts, méthodes et outils qui visent à interpeller l’éprouvé corporel afin de permettre à la personne d’avoir accès à ses ressources internes et d’exprimer sa potentialité. De son côté, le coaching est d’abord issu de réflexions et expérimentations menées par des psychiatres et psychanalystes, qui ont de réelles réticences à aborder la question corporelle. Certains de ces coachs, d’ailleurs, gardent le double métier, conjuguant une pratique thérapeutique et une pratique de coaching. Les explications majeures données à cette réticence sont associées à la rivalité entre la Science Médicale et la Psychiatrie, à une tension psychique concernant le corps qui vient de notre enfance, et à Freud.
En ce qui concerne le premier point, voici ce qu’on peut lire dans le Rapport introductif aux journées de la Société de l’Info psy (Lille, 2008). Il s’agit d’un article de Pierre Delion s’intitulant « Franchir le tabou du corps en psychiatrie » :
« En effet, dans ce mouvement de psychopathologisation de la psychiatrie du vingtième siècle, le corps a été progressivement contre-investi comme témoin d’une prise de position antipsychique : si vous faites des recherches sur le corps et plus précisément sur le cerveau, c’est que vous êtes contre la psyché. Et ce qui se passe actuellement peut être compris à cette aune. De telle sorte que si on rapproche le premier argument — le corps représente le risque d’actualisation de l’inceste dans le transfert — du second — le corps est la manifestation du choix délibéré du camp de la science médicale contre celui de la psychanalyse médico-philosophique —, tout semblait en place pour que le corps devienne un tabou en psychiatrie. » (Delion, 2008, p. 18)
Certaines discussions animées que j’ai pu avoir m’ont montré que, loin de nier l’efficacité de passer par le corps pour favoriser les prises de consciences, les coachs réticents prennent au contraire pour argument la puissance de l’interpellation corporelle qui, mal menée, pourrait être destructrice. L’idée même d’un contact physique crée un véritable malaise, voire fait peur. Anzieu (1995) explique que cette réaction vient d’une tension psychique à ce sujet, qui se met en place dès les premiers mois de l’enfance. Il y a en effet une réelle dualité dans les messages que celui-ci reçoit.
Tout d’abord le toucher, issu des soins de la mère, de l’allaitement et des câlins, procure plaisir et sécurité. Ensuite la main de l’entourage est une protection : il faut tenir la main pour apprendre à marcher, pour traverser la route, pour se rassurer quand on a peur. En parallèle : « Les premières interdictions de toucher formulées par l’entourage sont au service du principe d’auto-conservation : ne mets pas ta main sur le feu, sur les couteaux, sur les détritus, sur les médicaments ; tu mettrais en danger l’intégrité de ton corps, voire ta vie. » (p. 171). (On peut remarquer que ces interdictions sont parfois soulignées par une tape.) Le premier message est donc que « l’interdit du toucher sépare la région du familier, région protégée et protectrice, et la région de l’étranger, inquiétante, dangereuse. » (Ibid.).
Pourtant rapidement un message opposé apparaît : « Ne reste pas collé au corps de tes parents, assume d’avoir un corps séparé pour explorer le monde extérieur » (Ibid.). Et puis « L’interdit œdipien inverse les données de l’interdit du toucher : ce qui est familier, au sens premier de familial, devint dangereux par rapport au double investissement pulsionnel d’amour et de haine : le danger est celui, jumelé, de l’inceste et du parricide (ou du fratricide) » (Ibid., p. 172). À cause de tout cela Freud, parce qu’il en a perçu les risques dans le processus de transfert, n’a développé la psychanalyse qu’après avoir posé clairement l’interdiction de contact physique de la part du praticien. Ce qui a encore accru la défiance autour du corps.
Ensuite, il est d’usage de penser que nos peurs à propos du corps prennent racine dans notre culture judéo-chrétienne. C’est donc avec surprise que j’ai découvert que Jean-Paul II avait écrit une « théologie du corps », afin de réhabiliter celui-ci dans le christianisme. En effet, comme le précise Bourgeois (1996) : « Le corps humain a le droit et la possibilité d’être un processus d’incarnation. Ce qui fait l’essentiel de la foi chrétienne, c’est que Jésus est considéré comme la présence de Dieu dans la chair, il s’est incarné » (p. 203)
Un extrait d’interview d’Yve Semen, (docteur en philosophie politique à la Sorbonne et théologien, et fondateur de L’Institut de Théologie du Corps) qui a analysé cette théologie, nous donne une explication de cette confusion concernant la place du corps dans le christianisme :
« C’est une légende, mais qui est tenace. Ainsi que l’explique le cardinal Lustiger, elle provient de ce qu’on confond le christianisme avec le puritanisme anglo-saxon. Et il ajoutait que ce mensonge ne pourrait durer éternellement. Il faut le souhaiter, et la théologie du corps de Jean-Paul II, lorsqu’elle sera mieux connue, devrait y aider. En tout cas, telle n’était pas la réputation des chrétiens dans les premiers temps de l’Eglise. Un philosophe comme Celse, au 1er siècle, désignait ainsi les chrétiens de manière péjorative comme " le peuple qui aime le corps " !
Si l’Eglise est " experte en humanité " selon la belle expression de Paul VI, c’est peut-être d’abord et surtout sur la question du corps et de la sexualité. L’Eglise s’est toujours battue contre toutes les déviations qui menaient à un mépris du corps : manichéisme, arianisme, catharisme, jansénisme... Elle célèbre le corps et le tient dans une grande estime, comme signe de la vocation de la personne au don d’elle-même.
Ce que l’on reproche surtout à l’Eglise, c’est d’avoir semblé se focaliser de manière excessive sur les péchés d’ordre sexuel. Mais c’est précisément parce que l’Eglise a toujours eu le sentiment d’être dépositaire d’une grande vérité sur le sens du corps humain et de la sexualité qu’elle a été portée à être vigilante sur ce point -au risque parfois de l’excès-, à l’égard de ce qui pouvait détourner l’homme de la perception du sens et de la vocation de son corps » (ChristiCity, automne 2008)
En y regardant de plus près, ces « interdictions » sont plutôt de puissantes mises en garde adressées au plus grand nombre : que ce soit en couple, en famille, dans la vie civile, ou dans une relation thérapeutique, le contact physique ne doit se faire qu’avec le plus grand respect de l’autre, et avec conscience. Beaucoup de personnes, pour des raisons d’histoire personnelle, ne sont pas respectueuses de leur propre corps, et donc par ricochet de celui des autres. Il est donc plus simple au niveau d’une société de poser des interdits. Et le tabou demeure… en alimentant les phénomènes de harcèlement et de pédophilie, qui eux-mêmes nourrissent le tabou. Le tabou, qui vient du tahitien « tapu » signifie chez eux une prohibition à caractère sacré dont la transgression est susceptible d'entraîner un châtiment surnaturel. En Occident, ce châtiment surnaturel est perçu comme une menace soit de la colère divine, soit de perdre la raison, ou bien encore de la prison, en fonction des croyances de chacun.
Vocabulaire, concepts et recherche en coaching
Au-delà du sujet « corps », il y a des précautions à prendre pour parler de la pédagogie perceptive dans le monde du coaching. La pédagogie perceptive est un système cohérent de concepts, processus et outils concernant l’interpellation corporelle en vue de permettre à la personne d’exprimer sa potentialité. Pour en parler, Bois, son fondateur, a utilisé des mots courants, ou des dérivés, pour exprimer sa pensée. Le bon côté de ce choix est qu’il permet de donner une idée, au moins partielle, de ce dont il s’agit. L’inconvénient est que ces mots sont parfois déjà chargés de connotations différentes. Prenons l’exemple du mot « éprouvé » qui n’existe pas dans le dictionnaire en mode nominal. Il est utilisé en psychomotricité et en psychiatrie où il renvoie aux symptômes somatiques qui n’ont pas de fondement organique saisissable. Par contre, en pédagogie perceptive, son sens est beaucoup plus riche : « L’éprouvé ne concerne pas seulement le contenu des faits de conscience (ce que je perçois) mais aussi ses effets (ce que cela me fait) ; ce deuxième aspect concerne la manière dont le vécu implique la personne, la concerne, la façon dont il la touche ou dont elle se laisse être touchée par lui.» (Berger, 2009a, p. 53).
D’autre part, la recherche n’est pas vraiment une culture dans le monde du coaching. Il y a plutôt une veille autour de nouveaux outils. La plupart des coachs sont d’abord préoccupés d’avoir à leur disposition un mode opératoire qui fonctionne. Ils n’ont pas nécessairement le souhait de comprendre les concepts qui sont derrière. Quelques coachs sont, dans l’esprit, des chercheurs. Mais, même ceux-là, une fois qu’ils ont compris ou découvert quelque chose qui leur donne une originalité, déploient ce qu’ils ont trouvé, puis se définissent en fonction de cela auprès du marché entreprise. Ils deviennent des experts dans un domaine, à un instant T, mais le progrès continu doit alors passer par d’autres.
Il n’y a d’ailleurs pas de cycle doctoral en coaching, le niveau maximum universitaire est le Master 2. Les fédérations professionnelles quant à elles ont plutôt un rôle de certifications, et donc de socialisation du métier (chartes, éthique, diplômes, certifications…), ainsi que celui d’organisation de conférences qui permettent aux coachs de se rencontrer tout en faisant la promotion de publications professionnelles. Par conséquent, elles ne jouent pas non plus un rôle sur les évaluations des modes opératoires du métier. Par contre des Think Tanks (réservoirs d’idées), qui sont des groupements d’experts, commencent à voir le jour sur divers sujets de coaching, dont « executive coaching » par exemple. Il est possible que la recherche continue passe par là, avec ensuite des formations qui se structurent à partir de l’expérience acquise. Les Think Tanks, et les publications qui peuvent en découler, pourraient donc être de bons médias pour diffuser l’aspect conceptuel de la Pédagogie Perceptive dans le milieu du coaching en entreprise.
Les convergences générales
Issus de philosophies humanistes et existentielles, le coaching et la pédagogie perceptive partagent une vision qui permet d’affirmer que c’est la personne accompagnée qui détient la solution, en lien avec son potentiel. Dans les deux cas l’accompagnant, coach ou praticien, a la charge de mettre en place des conditions pour permettre à la personne accompagnée d’accéder à une compréhension ou information nouvelle, qui devrait provoquer une modification comportementale.
« Un des postulats est que le coaché a, en lui, les compétences et le potentiel pour trouver ses propres solutions et que le coach agit comme un catalyseur, un facilitateur de changement en mobilisant les énergies.» (Angel & Amar, 2012, p. 7).
De son côté, afin de permettre l’émergence de ces solutions, le praticien en pédagogie perceptive va s’attacher à avoir une posture de « neutralité active » (Bois) : neutre car le praticien ne donne pas de réponse à la place de la personne, actif car il est le médiateur entre la personne et son devenir. Il crée les conditions pour que les réponses puissent émerger à partir du corps. Le praticien va mettre en place une relation appelée « réciprocité actuante » (Bois). En simplifiant, il s’agit d’un processus en boucle où le praticien va être conscient de recevoir, via son ressenti corporel, des informations concernant la personne qu’il accompagne, que ces informations vont modifier la teneur de l’interrelation en cours, ce qui, de façon systémique, influence à son tour la personne accompagnée dont le praticien va percevoir de nouvelles informations, etc.
En parallèle Dilts (2011) va évoquer la posture de « sponsorat » en coaching : « D’un point de vue du sponsorat, la clé pour une écoute efficace est de rester pleinement centré tout en étant complètement relié au client. Ceci vous permet de créer un « espace » afin que votre client réfléchisse sincèrement et s’exprime à partir de son propre centre. Ecouter à partir de votre propre centre vous permet d’être ‘touché’ par ce que le client est en train de dire et vous aide à être curieux et réceptif en même temps» (p. 187).
Le rapport au temps aussi est assez proche. En effet, le coaching revendique de travailler à partir de l’ici et maintenant, tandis que Bois insiste sur l’immédiateté : « L’immédiateté n’est pas une succession de moments présents isolés et séparés les uns des autres…mais une ouverture à ces moments présents qui se fondent ensemble pour donner à ce présent une épaisseur, une réalité de matière, donnant un sentiment tout autant spatial que temporel » (Bois & Austry, 2009, p. 125).
Dans les deux cas également la posture est, tout en restant bien ancrée dans l’instant, de se tourner vers ce qui vient : « Le thérapeute gestaltiste prend le client là où il est, et il essaie de voir ce qui vient à lui dans l’espace-temps qu’ils partagent » (Vanoye et Delory-Momberger, 2012, p. 16). Et pour Bois (2009a) : « La temporalité est (aussi) envisagée comme posture, comme attitude du sujet, tournée vers ce qui se déploie, vers ce qui se dessine lentement à sa perception, et même vers ce qui n’est pas encore présent à son attention » (p. 125). De telles postures nous introduisent au concept « d’advenir » de Bois : « La notion d’advenir circonscrit le lieu de rencontre incarnée qui actualise le futur dans le présent et participe à la mise en sens de ce qui était jusqu’alors imperçu pour le sujet » (Ibid.).
Le coaching insiste de son côté sur la cohérence entre les valeurs de la personne, son appel profond, souvent inconscient, et ses actions : « L’intervention de coaching permet ainsi de prendre du recul et de réexaminer les actions, motivation, valeurs, croyances, à la lueur de ce test de cohérence : il faut interroger ce qui n’est pas aligné avec sa finalité globale » (Angel & Amar, 2012, p. 20) et plus loin : « C’est aussi la découverte d’un sens à l’action qui va permettre, en s’imposant, de s’opposer à l’inertie considérable des schémas et des comportements passés – un sens qui permet d’enclencher le changement, en dépit des incertitudes, frustrations, souffrances qu’il peut représenter » (Ibid., p. 21). Il faudrait savoir ici si l’information manquante évoquée en pédagogie perceptive, ce qui était jusque-là imperçu, concerne effectivement « la finalité globale », le « sens à l’action », dont parle le coaching.
Toutefois il y a une grosse nuance dans cette convergence. La pédagogie perceptive va porter son attention sur le processus de transformation qui mène à une prise de conscience qui émerge d’elle-même, voire jusqu’à une prise de décision, un passage à l’acte et le retour réflexif qui en découlent. Le coaching, par contre, se concentre sur un objectif comportemental décidé ensemble, avec des indicateurs de mesure qui y sont attachés et contractuellement définis. Les moyens mis en œuvre sont ajustés au fur et à mesure. En conséquence cela crée une différence de posture : en effet, le client et son coach co-créent en vue de la modification comportementale souhaitée par le client, alors que le praticien en pédagogie perceptive n’a pas d’attente particulière, il n’a pas de cadre en tête, il accueille ce qui a besoin de s’exprimer, il se laisse surprendre.
Intelligences cognitives et somatiques en coaching
Chaque école de coaching a élaboré une vision du monde qui lui est propre et qui produit sa logique d’intervention. Par conséquent, afin de de vérifier la possibilité de pouvoir utiliser de façon efficace des outils venant d’écoles différentes, il est impératif de vérifier la cohérence entre leur vision du monde respective. Il en va de même pour l’introduction de la Pédagogie Perceptive dans différentes pratiques de coaching. Dans ces visions du monde, ce qui donne la trame logique de conceptualisation est le postulat posé sur ce qui est premier en l’homme, ce qui est sa porte d’entrée dans l’élaboration de sens qu’il donne à sa vie, sur le type d’intelligence qui est sollicité alors.
Longtemps la notion d’intelligence a été réservée à l’intelligence mathématico-logique, mesurée par les tests de QI. Howard Gardner a été le premier à avoir parlé d’intelligences multiples en 1983, il en décrit huit. De son côté Goleman (1995) a développé son concept d’intelligence émotionnelle : « qui recouvre la maîtrise de soi, l’ardeur et la persévérance et la capacité de s’inciter soi-même à l’action » (p. 11). D’autres encore décrivent des intelligences concernant les aptitudes sexuelles ou créatives. En ce qui concerne le monde du coaching nous choisissons de nous baser sur les deux premières intelligences dont parlent Dilts et Gilligan, en PNL troisième génération : il s’agit de l’intelligence cognitive et de l’intelligence somatique. Dilts est en effet le premier dans le monde du coaching à théoriser sur une différence entre l’interpellation de la pensée, et celle du ressenti lors de l’accompagnement de la personne. Nous reprendrons donc ses définitions afin de pouvoir catégoriser les postula des différentes écoles de coaching.
De son côté, l’intelligence en pédagogie perceptive se déploie dans le cadre du « Sensible » (Bois). Il s’agit d’une forme d’intelligence, éducable, qui permet de percevoir ce qui vient de l’intérieur, et d’en saisir le sens. Le Sensible concerne donc, entre autres, la capacité à faire dialoguer de façon fluide le somatique et le cognitif. Mais sa caractéristique est que l’interpellation du ressenti corporel est toujours premier dans ce processus : « Le point de départ du processus de transformation est donc toujours une expérience éprouvé, une perception nouvelle, issue d’un immédiat, et porteur de sens nouveau. ». (Bois, 2008, p. 145).
Lorsque l’intelligence cognitive est posée comme primat
Nous allons commencer par étudier les « écoles » de coaching qui posent comme postulat que l’intelligence cognitive est première. Afin de bien comprendre voici la définition donnée par Dilts : l’intelligence cognitive est celle « qui est dans la tête pour ainsi dire…l’esprit logique, analytique, l’esprit qui crée des cartes, des représentations, des plans, des séquences, des symboles, des significations et toutes ces merveilleuses activités humaines » (Dilts et Gilligan, 2011, p. 36).
L’Analyse transactionnelle
Un groupe de psychologues et de thérapeutes ont élaboré, sous l’impulsion d’Éric Berne dans les années 50 aux États-Unis, une théorie complète de la personnalité et des échanges relationnels. Cette méthode, appelée « Analyse Transactionnelle » offre aujourd’hui encore aux coachs de nombreux outils pour leur pratique professionnelle. Le choix pour cette méthode a porté délibérément sur un langage simplifié, par rapport à celui utilisé en psychiatrie, afin de favoriser une bonne compréhension entre le praticien et la personne accompagnée, et permettre à celle-ci d’être active dans une démarche d’auto-analyse : « En effet, la démarche principale de l’Analyse Transactionnelle consiste à analyser nos comportements, nos attitudes, nos paroles et nos réactions physiques et émotionnelles par une dizaine de différentes grilles analytiques (par exemple : état du moi, position de vie, jeux, symbiose, etc.) » (Cardon, Lenhardt & Nicolas, 2009, p. 11).
Nous voyons ici qu’il s’agit avant tout d’un outil qui s’adresse aux compétences cognitives de la personne : « L’AT est un outil résolutoire dans les mains des individus et des organisations pour qu’ils puissent décoder et traiter leur problèmes eux-mêmes, comme ils l’entendent » (Ibid., p. 13).
Le Coaching comportemental et cognitif
Une autre école, en pleine évolution dans son déploiement moderne, est le Coaching Cognitif et Comportemental. Celui-ci s’appuie sur le principe central du Manuel d’Épictète : « Ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les choses, mais les représentations qu’ils en fabriquent » (Pichat, 2013, p6).
Ici, la représentation biaisée du monde, basée sur une construction de sens à partir d’évènements et situations vécues, est la cause des réponses contre-productives de l’individu dans ses interactions avec le monde. Les courants de pensée constructivistes et comportementalistes ont offert des représentations permettant de comprendre pourquoi cela arrive. Pour les premiers, Piaget (1945) a introduit l’idée d’une pensée déformante, et Vygotsky (1934), celle d’une culture qui crée un « formage » de représentation lié aux modèles sociaux auquel cet individu adhère. Pour les comportementalistes, Pavlov a introduit l’idée de conditionnement, une cause déclenchant de mêmes effets, en termes de réactions comportementales, et Skinner (1951) l’action des « renforcements » positifs ou négatifs qui vont encourager ou décourager certaines réactions, résumée par le terme de « conditionnement opérant ».
A partir de ces concepts Ellis et Beck, respectivement psychologue et psychiatre américains, ont développé dans les années 60 la Thérapie Cognitive et Comportementale (TCC), révolutionnaire à l’époque, et qui est à la base de nombreuses recherches et de développements très divers aujourd’hui. Voici comment Pichat (2014) présentent les recherches de Ellis et Beck : « Transfuges de la psychanalyse, seul modèle dominant à l’époque, ces pères fondateurs ont vite été amenés à penser que des améliorations thérapeutiques pouvaient être produites par le patient, non seulement de façon plus forte, mais également plus rapidement. Rejetant ce qu’il leur apparaissait être une hégémonie du modèle psychanalytique, ils ont mis en place un nouveau système conceptuel et méthodologique fondé sur l’idée que le travail ‘rationnel’ et ‘conscient’ des pensées de l’individu produit des changements significatifs et stables dans le registre de ses émotions et de ses comportements » (p. 14).
Au niveau cognitif, et transposées dans le cadre et objectifs des interventions de coaching, les techniques cognitives et comportementales permettent d’accompagner la personne dans l’interrogation de ses pensées dysfonctionnelles et de leurs conséquences, puis de faire évoluer ces représentations vers des formes plus justes et productives. Au niveau comportemental, elles permettent de désapprendre les modes de réactions automatiques dépendant de ces représentations biaisées, afin de permettre à un comportement productif de remplacement de se mettre en place. Même si l’objectif est d’obtenir des changements comportementaux et émotionnels, cette technique pose comme postulat que la pensée est première et s’adresse donc surtout à l’intelligence cognitive. Ainsi, Pichat (Ibid.) précise-t-il : « En un certain sens, il est possible de poser le postulat suivant : la pensée est première, alors que les émotions et les comportements sont secondaires ; dans la mesure où ces derniers sont des résultantes, des émanations, des conséquences de la pensée. Dès lors les problématiques émotionnelles (stress, énervement, etc.) et comportementales (agressivité, difficulté à rendre les dossiers à temps, etc.) du coaché sont conçues, au moins pour partie, comme étant fonction des pensées « dysfonctionnelles » qui en sont à l’origine. Il en résulte que produire des changements émotionnels et comportementaux chez le coaché implique d’aider celui-ci à modifier ses croyances et processus de pensées sous-jacentes. » (p. 18).
L’analyse systémique
Basée sur la théorie de systèmes fondée par von Bertalanffy, Ashby et d'autres entre les années 1940 et les années 1970, l’analyse systémique a été appliquée à de nombreux domaines, dont celui de la psychologie. Là encore ce courant offre des grilles de compréhension, mais concernant les interactions humaines plutôt que la personne elle-même en tant qu’individu. En effet cette théorie s’appuie sur une conception du monde globaliste et dynamique, dans la lignée de pensée des pythagoriciens et d’Héraclite, et en opposition à la vision analytique d’Aristote. Durant le XXème siècle elle s’est construite à partir de la pensée structuraliste (théorie de la totalité de la Gestalt, des théories de la connaissance de Jean Piaget), de la cybernétique (sciences des machines et de l’organisation qui pose le primat de la finalité, plutôt que celui de la cause), et des sciences de l’information et de la communication.
L’analyse systémique réhabilite l’analogie comme outil de travail psychologique, selon Durand (2013) : « L’analogie : chez l’enfant c’est le premier mode de pensée, celui qui permet à l’intelligence de se développer progressivement. Ce fut également la forme la plus répandue en Europe jusqu’au XVIe siècle et Michel Foucault a pu dire qu’elle a joué « un rôle de bâtisseur dans le savoir de la culture occidentale » (idem pour l’art)….Avec l’apparition de la pensée rationaliste et mécaniste au XVIIe , incarnée dans la personne de Descartes, l’analogie perd tout crédit. Aujourd’hui, statut ambigu : considéré comme « une imprudence intellectuelle », on lui conteste toute rigueur scientifique, mais on doit bien reconnaître qu’il stimule l’imagination et la découverte grâce à son pouvoir suggestif » (p. 51).
Dans ce cas-là, ce n’est pas la partie rationnelle, mais la partie émotionnelle de l’intelligence cognitive qui est interpelée. Goleman (1995) explique pourquoi les analogies fonctionnent : « La logique de l’esprit émotionnel est associative ; elle considère que les éléments qui symbolisent une réalité, ou le souvenir de celle-ci, équivalent à la réalité elle-même. C’est pourquoi les comparaisons, les métaphores et les images parlent directement à l’esprit émotionnel comme le font les arts. » (p. 433). Il élargit son explication aux paraboles de Jésus et Bouddha, et aux rites religieux.
L’école de Palo Alto
En parallèle, et autour du Mental Research Institute créé en 1959 par Don Jackson sous la double influence de Bateson et Erickson, l’école de Palo Alto place la relation interpersonnelle au centre et affirme le primat de la relation sur l’individualité. Elle pose « … l’hypothèse que les troubles de la personnalité ou du psychisme peuvent être ramenés à des perturbations de la communication entre l’individu, son entourage et l’environnement dans lequel il évolue » (Picard& Marc, 2013, p. 3). Par exemple, c’est l’École de Palo Alto qui a mis en lumière les problématiques relationnelles de type injonction paradoxale, double contrainte ou processus parallèle.
La programmation Neuro-Linguistique (PNL, 1ère et 2ème génération)
La PNL a été créée dans les années soixante-dix en Californie par Grinder (Docteur en Linguistique) et Bandler (Docteur en Informatique) qui ont observé les meilleures pratiques thérapeutiques pour s’en inspirer. Partant du principe qu’il y a une analogie entre l’ordinateur et notre cerveau, l’hypothèse est que celui-ci fonctionne en séquences expérimentées, puis mémorisées. Le terme « programmation » fait donc référence à ce processus de perceptions qui créent de représentations (significations) qui serviront ensuite de grille de lecture aux nouvelles expériences de vie, qui seront à leur tour mémorisées. « Neuro » indique la conservation et l’utilisation de ces données par le système nerveux. Enfin « linguistique » car la verbalisation donne témoignage de la pensée, et contribue également à la former. La PNL fonctionne donc sur des modèles bien définis et structurés, selon Dilts, 2008) : « Les compétences, outils, et techniques communes à la PNL qui soutiennent un coaching efficace incluent : l’établissement de buts et d’objectifs bien formulés, la gestion des états internes, la prise de différentes positons perceptuelles, l’identification de moments d’excellence, la transposition des ressources et la capacité à donner du feed-back de bonne qualité » (p. 9). Dilts précise également ce qui suit : « Alors que la focalisation du coaching porte généralement sur ce que la personne est en train de faire et a besoin de faire afin d’opérer efficacement, la focalisation de la PNL et le processus de modélisation portent sur comment opérer de façon optimale ». (Ibid.)
Les cinq écoles dont nous venons de parler posent soit la pensée, soit la relation comme base du développement de la connaissance humaine. Pourtant d’autres courants postulent que l’intelligence somatique doit être interpellée en premier.
Lorsque le primat est donné à l’intelligence somatique
Prenons la définition que Dilts et Gilligan (2011) donnent de l’intelligence somatique : « Le premier système de pensée se trouve dans votre corps. Nous l’appelons l’intelligence somatique. C’est le cerveau du mammifère, celui qui se transforme en premier chez les jeunes enfants. Il y a toute une structure d’intelligence et de sagesse dans le corps avec laquelle vous pouvez être ou non en accord. […] L’esprit somatique vient en premier ; il est la base de tout le reste. » (p. 34). Nous remarquons ici que le postulat que l’intelligence qui vient du corps est première et nous structure fait partie de la définition donnée.
Il rejoint là certains anthropologues, tels Jousse ou Le Breton. Dans « L’Adieu au corps » Le Breton (2013) montre comment nous sommes passés de la haine du corps de l’époque Antique, (enfermement de l’âme, source de péché, reflet du Mal) au « corps alter ego ». Ce qu’il entend par cette dernière expression c’est que le corps est perçu de nos jours comme un autre soi-même que l’on peut « bricoler » : chirurgie esthétique (jusqu’au changement de sexe), chimie (les psychotropes « qui cisèlent l’humeur », hormones pour accroître la masse musculaire…), le rêve de l’intervention génétique pour avoir des enfants parfaits. Le Breton affirme que le corps est devenu la pièce maîtresse de l’affirmation de soi.
Il rappelle aussi à quel point le corps nous a permis de nous construire en tant qu’être humain : « Pendant des millénaires, et encore aujourd’hui pour une large partie du monde, les hommes ont marché pour se rendre d’un lieu à l’autre, ils ont nagé, se sont dépensés dans la production quotidienne des biens nécessaires à leur plaisir et à leur survie. La relation au monde était une relation par le corps » (Ibid., p. 20). Puis, il démontre à quel point l’homme moderne ne fait plus appel à son corps, passe tout son temps assis, et explique que c’est la dépense nerveuse (stress) qui a remplacé la dépense physique. Enfin, et c’est là que nous voulions en venir, il expose les conséquences de cette nouvelle relation au corps : « Cette restriction des activités physiques et sensorielles n’est pas sans incidences sur l’existence de l’individu. Elle entame sa vision du monde, limite son champ d’initiative sur le réel, diminue le sentiment de constance du moi, affaiblit sa connaissance directe des choses, et elle est un mobile permanent de mal-être » (Ibid., p. 21). Dans la même idée Fehmi et Robbins (2010) s’appuient sur une trentaine d’études menées aux États-Unis qui mettent en évidence, à partir des théories de Gendlin, que « la conscience que l’on a des sensations physiques associées à un problème donné crée une différence déterminante dans le succès ou l’échec d’une psychothérapie » (p. 74).
De son côté le psychiatre et psychanalyste, Nasio donne une explication sur le fait que l’interpellation du corps a une action sur les prises de conscience. Sur la couverture même de son livre « Mon corps et ses images » (2008), il écrit : « Le corps est la voie royale qui mène à l’inconscient ». Nasio commence par comparer le concept d’image du corps chez Dolto et Lacan, puis nous expose sa propre compréhension de la place du corps : « Pour ma part, je me considère assujetti à deux maîtres indissociables, aussi puissants l’un que l’autre, tous deux unis pour me gouverner : l’un est le corps, exigence impérieuse à laquelle je ne puis me dérober ; l’autre est l’inconscient, agent invisible et silencieux qui impose sa loi. Les deux sont corrélatifs et vibrent à l’unisson : le corps est le résonateur le plus sensible de l’inconscient, et l’inconscient s’accorde aux variations inévitables d’un organisme vivant et mortel » (p. 208).
Nous allons maintenant évoquer deux écoles de coaching selon lesquelles l’intelligence somatique doit être sollicitée en premier.
La Gestalt
Initié dès 1942 par Fritz Perls, communiquée à New York par Laura Perls et Paul Goodman en 1951 à travers un premier ouvrage, la Gestalt va se déployer à partir de l’Institut Esalen fondé dans les années soixante en Californie. La Gestalt pose le postulat que le corps et l’émotion sont premiers : « En Gestalt, la voie royale de la thérapie, c’est le corps et l’émotion. On part vraiment de l’idée que tout vient du corps et des mouvements qui l’affectent, dans un champ donné, dans une interaction donnée avec l’environnement. Tout vient du corps et y revient, donc on interroge d’abord le corps, les sensations, les émotions, ainsi que les images, les fantasmes » (Vanoye, 2012, p. 23). Vanoye décrit plus loin pourquoi et comment le corps est aussi la voie de passage de la thérapie, en Gestalt : « Si l’on est dans la perspective de la « lutte contre », comme dans le cas d’une programmation familiale qui m’interdit d’exprimer ma colère, nous voyons que l’émotion à ce moment-là est une ressource. Cette programmation est inscrite dans le corps, se manifeste dans les mouvements corporels, détermine le développement des potentialités corporelles. Et le travail thérapeutique peut se faire dans la découverte de ce qui, dans certaines situations, programme mon corps, mes postures, mes tensions, mes inhibitions corporelles. C’est la remise en mouvement du corps qui va animer le travail et nous retrouvons bien l’idée de la Gestalt comme une thérapie du mouvement. Faire bouger le corps, remettre en route quelque chose, c’est ouvrir le corps vers des zones d’activités qu’il ne connaît peut-être pas ou mal, et voir ce qu’il est possible d’en faire » (Ibid., p. 119).
La PNL 3ème génération
Nous avons vu que le primat du corps est posé également pour la PNL 3ème génération. Mais Dilts et Gilligan (2011) apportent une information complémentaire : tout dépend du niveau de conscience que l’on a du corps, entre ce qu’ils appellent la conscience primitive, l’égo et la conscience générative.
Il est utile de comprendre ce qu’ils entendent par « l’égo » : « L’égo est la part de nous-même qui se construit à partir des blessures. Il est lié à ce qu’on appelle en psychologie le ‘moi idéal’ - c’est-à-dire celui que je crois devoir être afin d’être aimé et acceptable par les autres. » (p. 16). Ils décrivent ensuite ce que le niveau de conscience du corps produit sur la relation que nous avons avec lui : « Chaque esprit peut fonctionner à différents niveaux. Le niveau ordinaire : le niveau de l’égo, est ‘l’esprit ordinaire’. Donc quand vous fonctionnez en mode conscience ordinaire par rapport à votre esprit somatique, en vous contentant de mener votre vie quotidienne comme d’habitude, vous considérez généralement votre corps comme un objet. Au niveau de l’égo de votre esprit somatique, vous ne faites pas l’expérience de la magie de votre corps. Vous ne percevez pas son lien avec la sagesse ancestrale, la connaissance intuitive, le courage et la tendresse. Et donc si vous vous trouvez face à un défi dans votre voyage du Héros, vous allez devoir passer, dans votre corps, à un niveau de conscience plus élevé. C’est ce que nous appelons l’état génératif » (Ibid., p. 38).
Cette phrase pose l’idée que l’interpellation de l’intelligence du corps peut être menée à plusieurs niveaux de profondeur, et qu’elle peut relier l’être humain au « courage et la tendresse », donc au plus beau et plus profond de soi, mais également à « la sagesse ancestrale » et à « la connaissance intuitive » dont les origines sont plus vastes que soi.
Pour illustrer le rapport au plus profond de soi du côté de la pédagogie perceptive, Vermersch, chercheur au CNRS nous donne sa perception dans la préface du livre « Le Moi Renouvelé » de Bois (2008) : « Avec l’approche de Danis Bois, d’une manière totalement inédite, on découvre une (psycho) thérapie qui ne s’enracine pas dans la psyché mais dans le sensible de la chair, dans l’écoute, le toucher, la mise en mouvement subtile du corps. Le corps est alors mis en mouvement de manière originale, non plus pour être traité pour lui-même, mais comme médiation privilégiée pour aborder la globalité du patient, psyché comprise. » (p. 14).
« La mise en mouvement subtile du corps » dont il est question dans la citation précédente fait référence à un principe fondamental de la pédagogie perceptive. Bois (2008) pose ce « mouvement interne » comme étant « le support premier de notre approche » (p. 37). Dans sa méthode, il aborde la notion de mouvement interne « comme étant une animation de la profondeur de la matière portant en elle une ‘supra conscience’ et constituant un nouveau mode de connaissance » (Ibid., p. 39). Ici « supra conscience » est utilisée dans le sens donné par Sri Aurobindo, c’est-à-dire comme une conscience se mouvant au sein de la matière.
Berger (2009b) donne encore un nouvel éclairage qui résonne avec « la sagesse ancestrale, la connaissance intuitive » : « Dans ma démarche je vis vraiment deux types de volonté ; d’un côté le mouvement interne a sa volonté propre, ses propres orientations, sa propre puissance qui me transforme; de l’autre il y a ma volonté qui s’exprime dans mon choix de me laisser transformer. La transformation c’est bien mon choix. De l’articulation entre ces deux volontés en naît une troisième et c’est là la valeur qui me tient le plus à cœur dans ce travail : l’articulation entre l’Universel et le Singulier. » (p. 287-288).
Synthèse
Afin de prendre du recul sur le champ des « écoles » de coaching, et surtout de leur vision du monde respective il est temps de tenter une synthèse :
- L’Analyse transactionnelle : la personne doit pouvoir se comprendre à partir de grilles d’analyse, et a la responsabilité de résoudre ses problèmes.
- Les Techniques Cognitives et Comportementales : la pensée est première, les pensées « dysfonctionnelles » sont à l’origine des problèmes. Il faut aider à les flexibiliser.
- l’Analyse systémique : les interactions humaines priment sur l’individu, et il est efficace d’utiliser l’analogie (métaphores, images, comparaisons..) qui est le premier mode de pensée, celui qui nous a permis de nous construire.
- l’École de Palo-Alto : le primat est la relation interpersonnelle.
- La Programmation Neuro-Linguistique (1 et 2ème génération) : c’est une action optimisée qui résout la difficulté, en réécrivant les séquences de pensées.
- La Gestalt : le corps et l’émotion sont premiers.
- La Programmation Neuro-Linguistique (3ème génération) : l’esprit somatique vient en premier, mais un niveau de conscience de corps dit «génératif » est indispensable pour avoir accès à la connaissance qu’il détient.
Les écoles de coaching, et l’Analyse Transactionnelle en particulier, proposent des grilles d’interprétation de ce qui se passe en séance. La pédagogie perceptive propose également des grilles d’interprétation : le processus de transformation, ou la lecture de mouvement par exemple.
La pédagogie perceptive propose, comme les Techniques Cognitives et Comportementales, de faire prendre conscience des croyances contre productives. Celles-ci sont issues souvent de ce que nous avons vécu enfant, et surtout de la façon dont nous l’avons interprété. La pédagogie perceptive utilisera le ressenti comme porte d’entrée, tandis que les techniques Cognitives et Comportementales vont s’attacher à flexibilité la pensée par un travail qui s’appuie sur le raisonnement logique (avantages, inconvénients…). L’efficacité de l’une ou l’autre de ces méthodes dépend de la typologie psychique de la personne, et du type de défenses qu’il s’agit de contourner.
L’analyse Systémique et l’École de Palo Alto décodent les situations problématiques à partir des relations de la personne à son environnement et aux autres. La pédagogie perceptive est plutôt un accompagnement centré sur la personne. Ces méthodes ne sont pas antinomiques mais les possibilités d’enrichissements mutuels sont moins évidentes.
Par contre, il y a beaucoup plus de convergences entre la pédagogie perceptive et la Gestalt qui met en avant le ressenti du corps, et en particulier l’interrogation des émotions. La PNL premières générations en a repris certains aspects, tels que les « postures », qui sont des positions de perception, mais sans construire une théorie autour du corps.
Enfin, la PNL 3ème génération, nous l’avons vu plus haut, fait référence à ce qu’il y a de plus riche dans la pédagogie perceptive, c’est à dire la possibilité d’accéder à de nouvelles connaissances, de voir émerger de nouveaux potentiels.
Conclusion
Au vue de ce travail de synthèse, nous pouvons conclure qu’il y a une grande opportunité d’enrichissement mutuel en amenant la pédagogie perceptive dans le monde du coaching.
Cependant, compte tenu des réticences au niveau sociétal lorsqu’il s’agit du sujet du corps, il est difficile aujourd’hui d’aborder le monde de l’entreprise avec le toucher. La mise en mouvement sur chaise et l’introspection sensorielle y sont plus facilement acceptées et sont les outils à mettre en avant.
À un premier niveau, la pédagogie perceptive est une autre porte d’entrée, mais avec une même finalité, que les Techniques Cognitives et Comportementales. Elle présente donc un réel intérêt sur tout type de coaching individuel en entreprise qui vise à « régler un problème » : gestion du stress, procrastination, manque d’assertivité, difficultés relationnelle, etc.
Un autre niveau d’approche permet d’utiliser la pédagogie perceptive dans toute son ampleur, et c’est le sujet de ma thèse doctorale en cours : il s’agit du coaching de dirigeant. En effet, ici les besoins de la personne accompagnée sont plus de l’ordre du sens, de la créativité, de l’intuition, du rapport de soi, à l’autre et au monde. Le dirigeant est en quête de nouveaux potentiels. Or, voici comment Bois (2009b), en se référant à Spinoza, traite de la question de la « potentialité » : « Ce terme me paraît être le plus adapté pour définir l’espoir et l’évolutivité, non seulement en ce qui concerne la condition humaine, mais aussi la nature humaine. Il m’évoque un principe de force qui pousse ou tracte l’homme vers le meilleur ou pour le moins vers le plus grand. » (p. 22)
Et le cœur de la pédagogie perceptive est de permettre à la personne accompagnée de contacter cette force que Bois appelle « le mouvement interne ».