Nota Bene : Cet article a été traduit de la langue portugaise (Portugal) et le style, parfois poétique de l’écriture, a été respecté à travers la traduction.
L’objectif de cet article est de présenter du travail de mestrado soutenu à l’Université Fernando Pessoa de Porto. Ma recherche a porté sur les effets sur ma posture d’enseignante induits par ma (trans)formation personnelle au contact de l’expérience du corps Sensible, pendant ma formation en Psychopédagogie Perceptive. L’objet de cette étude concernant le vécu de mon expérience professionnelle, j’ai choisi une démarche méthodologique en première personne, à travers la réalisation d’un récit de vie, construit et ancré dans le vécu subjectif corporel.
Ma longue expérience professionnelle de près de 40 ans m’a montré que le corps est négligé dans la formation de l’enseignant et de l’adulte en général, par la suprématie donnée à la pensée, en accord avec le dualisme courant qui sépare et hiérarchise pensée et corps. Par conséquent, le corps est vécu par la personne comme un objet utilitaire sans même établir avec lui, souvent, un sentiment d’appartenance.
L’expérience de la découverte et de la reconnaissance de mon propre corps Sensible – « cette intériorité, appelé ‘lieu du Sensible’, n’est pas un lieu du corps, au sens anatomique ou géographique, mais un lieu d’expérience » (Berger, 2008, p.147) – a été profondément formatrice et fondatrice d’un point de vue personnel. J’ai donc été motivée pour partager, aussi bien avec les chercheurs du paradigme du Sensible qu’avec mes collègues professeurs, la façon dont mon processus de transformation par la psychopédagogie perceptive a pu participer au renouvellement de la relation avec mon métier, en l’éclairant et en le métamorphosant. C’est cela la motivation de fond de cet article.
Cette expérience du Sensible m’a fait découvrir un lieu d’implication profonde de moi-même que je qualifie d’Être, dans une période de crise essentielle dans ma vie personnelle. Cette expérience m’a tout à la fois arrêtée, suspendue, confrontée et invitée à réfléchir aussi sur mon métier. J’ai compris que les problématiques de l’école actuelle n’existaient pas de manière détachée, mais avaient un ancrage à l’intérieur de moi. Par exemple, j’ai perçu la résonnance interne des faits d’indiscipline, de démotivation, de turbulence ou encore de fatigue qui ‘envahissent’ l’école actuelle. Les fonctions d’enseignement s’exercent dans un climat hostile, les plaintes concernant le manque de travail, d’engagement et de motivation des élèves, inondent les conseils de classe ; les directions des écoles prennent des mesures, des processus disciplinaires se succèdent. Cependant, je me rends bien compte que la réflexion sur ces questions ne sort pas de la sphère des mesures à caractère externe et réactif. On ne se pose pas la question du rapport de l’élève à lui-même, on ne se questionne pas sur le rapport du professeur à lui-même, on ne se pose pas la question de l’espace relationnel dans lequel les conflits s’allument… On prend des mesures qui sont censées résoudre les situations qui perturbent l’école, sans prendre en compte leur origine. Les résultats de ma recherche me poussent à témoigner du rôle majeur que l’enrichissement de mes capacités perceptives a eu dans ma posture d’enseignante et aussi dans l’interaction avec tous les acteurs du Monde de l’Éducation.
Cet article s’inscrit dans une démarche existentielle de formation professionnelle, dont le foyer est mon expérience singulière et subjective de la formation en Psychopédagogie perceptive. Cette recherche s’est construite à partir d’un récit autobiographique, ancré dans la relation avec le Sensible : « La réflexion biographique permet cependant d’explorer en chacun de nous les émergences qui nous donnent accès au processus de découverte et de recherche de la réalisation de l’Être Humain dans des potentialités inespérés. » (Josso, 2008, p.18).
Mon récit effectue ‘un tour du monde’ de l’enseignante que je suis devenue. J’ai contourné le ‘Cap de Bonne Espérance’ de mon existence ; j’y ai identifié les moments d’arrêt et de mouvement. J’ai pénétré jusqu’au fond du ‘repaire du lapin blanc’, j’ai compris quelle Alice j’étais ; j’ai assisté à une succession de métamorphoses personnelles ; je me suis perdue dans des labyrinthes, et je les ai dépassés. Au final, j’ai souri en comprenant que les ‘reines de cœur’ rencontrées sur mon chemin n’étaient que des jeux de cartes issus de mon imagination, mais qu’elles étaient également porteuses d’importants apprentissages. Je peux donc maintenant témoigner que la réalisation de ce récit autobiographique, qui est le matériau de ma recherche, est bien ‘la clé d’Alice’ qui a ouvert la porte (je dirais magique) de ma transformation dans la formation de psychopédagogie perceptive.
Avant tout…qu’entend-on par Formation ?
Je commence ma réflexion par ce concept, en fonction de mon expérience acquise au long de près de 40 ans d’enseignement. Je constate que la formation a été considérée comme un ajout, comme une habilité technique, qu’on additionne à d’autres connaissances préalablement acquises, malgré l’influence des courants critiques des années 80 et des courants humanistes qui prônent la nécessité pour l’individu de s’auto-développer en plaçant le professeur comme sujet de sa propre formation.
Comme le fait remarquer M.-C. Josso (2008, p. 17) : « La formation doit apporter de la nouveauté, et du changement ignorant le plus souvent que les apprentissages nouveaux exigeront des désapprentissages. C’est-à-dire de se départir d’habitudes plus au moins anciennes qui par différentes formes de prise de conscience se révèlent comme des freins pour aller de l’avant et pour se rendre disponibles à sa créativité ».
Cependant, j’ai constaté que les formations auxquelles j’ai participé, dans leur grande majorité, avaient pour but d’accumuler des connaissances effaçant la joie et l’ouverture inhérente à l’acte de connaître, de renouveler ou de créer. La formation des professeurs a été fréquemment synonyme de recherche de certitudes qui fixent et arrêtent, comme dit Josso, la possibilité « que nous soyons disponibles à la créativité » (Ibid.). Bien sûr, ces formations peuvent donner les informations nécessaires, par contre, il faudrait qu’elles soient réfléchies et intégrées dans le contexte existentiel et professionnel du stagiaire, de façon à ce qu’elles soient pertinentes.
D’un autre coté, je constate encore que la formation des professeurs a tendance à oublier l’inestimable plus-value de l’expérience du professeur en rapport avec sa propre identité. A. Nóvoa souligne brillamment la question : « La question ‘Pourquoi fait-on ce qu’on fait pendant les cours ?’ oblige à évoquer ce mélange de volontés, de goûts, d’expériences… » et il ajoute : « Chacun a sa façon propre d’organiser les cours, de bouger dans la classe, de s’adresser aux élèves et d’utiliser les moyens pédagogiques, un style qui constitue une sorte de deuxième peau professionnelle. » (2000, p. 16).
J’ai assisté tout au long de ma carrière professionnelle à la normalisation des formations qui méprisent la ‘place de l’un’ – de l’identité du professeur – surestimant la notion présumée de ‘collectif de professeurs’. J’adhère avec la perspective de Nóvoa pour qui la formation est un espace de construction identitaire complexe à travers lequel le sujet, le professeur, s’approprie du sens qu’il confère à ses expériences personnelles et professionnelles dans le contexte de l’histoire de sa vie – la deuxième peau du professeur ; c’est-à-dire la forme absolument singulière à travers laquelle il vit sa profession, le rapport qu’il instaure avec celle-ci, avec les espaces scolaires (salle de classe, cour de récréation), avec tous les acteurs professionnels et aussi le rapport qu’il instaure avec lui-même, avec l’autre, avec sa profession et avec la vie.
Je sais maintenant que c’est dans l’expérience (et non dans la compréhension … ou est-ce que c’est l’expérience du comprendre ?) que se donne la formation. L’expérience devient un lieu incontournable de connaissance, sous la condition d’une pratique vigilante sur soi-même, avec une attitude attentive et intentionnelle sur son propre processus de vie. Le praticien découvre alors sa vocation de chercheur. Josso clarifie le concept « d’expérience existentielle » en le distinguant « d’apprendre par l’expérience », une proposition complètement adaptée au contenu de cet article : «L’expérience existentielle concerne la personne comme un tout ; elle concerne son identité profonde, la façon de vivre la vie, comme elle est, tandis qu’apprendre par l’expérience ne se rapporte qu’à des transformations mineures… il n’y a pas vraiment une métamorphose de l´être. » (Josso, 1991, p. 198). Josso sépare, clairement, formation expérientielle et formation existentielle, cette dernière impliquant la métamorphose profonde de l’être dans un contexte de développement existentiel.
Importance de la formation en Psychopédagogie Perceptive dans mon contexte existentiel et professionnel
La Psychopédagogie perceptive, discipline émergente au sein des Sciences de l’Éducation, considère, à juste titre, ces deux versants – la valeur de l’expérience et la place centrale du corps, comme corps Sensible – dans le processus de formation de l’adulte.
Pour la Psychopédagogie perceptive, le processus par lequel le sujet se construit en tant que personne, a pour médiateur le corps Sensible, c’est-à-dire, un corps reconnu, perçu et éprouvé. Un corps qui dévoile le goût d’une individualité incarnée, un corps révélateur d’un sentiment d’existence, dans les mots de E. Berger : « Expérientiellement parlant, le Sensible est vécu comme un lieu de soi… un lieu d’expérience : Le Sensible est partout à la fois en moi, et je peux dire autant que j’y suis contenue tout entière. Il est un ‘tout de moi’, une substance de mon être uniformément répartie dans l’ensemble du matériau de mon corps, qui m’offre à vivre le sentiment de ma propre existence incarnée tout en résonant aux impressions de diverses natures qui m’affectent». (Berger, 2009, p. 19). Cette belle description de Berger met en évidence deux aspects du Sensible : d’abord, un lieu d’expérience corporel qui donne accès à des sensations signifiantes, « mouvements de sens, chargés d’informations » (Ibid., p. 19) ; ensuite, c’est ce ‘tout de moi’ qui m’offre la découverte de qui je suis, de la valeur de mon existence, de la révélation de mon Être.
J’ai pris conscience du déphasage et de la relation lointaine que j’avais avec mon corps que je considérai comme un instrument, que je connaissais à travers la maladie, mais que j’excluais de tout processus de formation et d’apprentissage. C. Villeneuve (2011, p. 43) explicite précisément cet éloignement de la relation au corps, que j’ai décrit dans mon récit : « Cette absence de la dimension corporelle résulte en fait, de la manière d’envisager la cognition. En effet, pour les théories de l’information et de la communication, la pensée qui prime est celle de la logique formelle. Cette représentation, toujours dominante dans les modèles pédagogiques en vigueur, limite la cognition au cerveau et au traitement de l’information venue du monde » (2011, p. 43). Elle ajoute en citant Pés (2007) que, malgré que ce paradigme de la cognition soit dépassé et qu’il existe déjà une conscience de la part des éducateurs de l’importance « de la perception corporelle comme support de la conscience de soi » (Ibid., p. 40), la formation institutionnelle ne prévoit pas de place pour le corps dans la formation des professeurs.
Quelle sont donc les propositions de la psychopédagogie perceptive sur la médiation corporelle dans l’apprentissage qui m’a interpellé et qui a facilité mon processus de transformation personnelle et professionnelle ?
- Un mode de vie impliqué, une expérience de la perception du corps Sensible
- Un acte de réflexion à partir du sens émergent de cette expérience du Sensible
- Un acte de renouvellement/actualisation de soi à partir du sens émergent de la relation au corps Sensible
- Un acte de création à partir du renouvellement de soi et de la relation à l’autre
- Une recherche du sens de sa vie grâce à ces enrichissements
- Un mouvement inhérent à la condition de l’Être Vivant
Le grand apport de la Psychopédagogie perceptive est que le processus de transformation résulte de la relation que j’établie avec mon intériorité corporelle, me plaçant ainsi en tant que sujet en transformation au centre du processus. V. Huyghe développe ce point capital : « Le processus d’apprentissage dépend de la relation que j’entretiens à l’intérieur de moi avec les objets extérieurs et de la forme que je prends à leur contact. Cette notion de forme est importante car elle explique pourquoi on ne traite pas de ce rapport en éducation, mais en formation, ce terme comportant en lui le mot forme. Il induit l’idée qu’on est capable, obligé, pour « advenir à son devenir », de changer de forme. Le métier de formateur cesse alors d’être un métier de transmission de connaissances et devient un accompagnement d’un processus de transformation de forme. La responsabilité première de ce processus de changement de forme, est mise entre les mains du sujet apprenant. Ce que G. Pineau appelle le « sujet autoformant ». » (2006, p. 46). En effet, pour Huyghe, la formation est avant tout la manière dont le sujet établit une relation avec sa propre, une relation intime avec sa propre subjectivité corporelle. De plus, comme le décrit Berger : « Au contact du Sensible, les sensations qui remplissent l’espace de l’expérience corporelle sont profondément signifiantes : les mouvements internes qui animent le corps sont ‘des mouvements d’orientation’ porteurs d’informations. » (2009, p. 19). C’est ce que j’ai expérimenté et c’est précisément sur ces « mouvements pleins de sens » que se base mon processus de transformation personnelle qui éclaire, comme j’ai pu m’en rendre compte ma transformation professionnelle.
Je suis devenue un visiteur assidu et appliqué des différences subtiles qui apparaissent dans l’intimité corporelle. J’ai appris à assister et à aimer les informations qu’elle m’offre. Avec la psychopédagogie perceptive, non seulement j’ai rencontré une formation au sens traditionnel, mais j’y ai trouvé une vraie pédagogie de l’être-dans-le-monde. J’ai savouré la devise de Josso sur la formation comme un « cheminer vers soi » et j’ai savouré ce chemin qu’on parcourt par des sentiers plus ou moins dépoussiérés du « Tout de moi » – le Sensible, comme le décrit E. Berger – un lieu existentiel qui me maintient unie à moi-même.
Sur les instruments de la psychopédagogie perceptive : introspection sensorielle et écriture post-immédiateté
La recherche praxéologique du Sensible se base, comme nous l’avons vu, sur la relation au corps, mais à un corps perçu. Il convient alors de distinguer deux natures de perception : l’une tournée vers le monde extérieur, à travers les sens extéroceptifs, l’autre tournée vers l’intériorité du corps à travers une éducation de la présence à soi. Cette distinction ne doit pas être ressentie comme une opposition mais, au contraire, comme un complément à la conquête du monde et de Soi. Pour accéder à cette expérience corporelle, la psychopédagogie perceptive propose cinq instruments pratiques : le toucher manuel comme constitution de soi ; le mouvement gestuel comme présence à soi dans l’action ; l’introspection sensorielle comme accès à une intériorité signifiante et intelligible ; l’expression verbale comme lieu de partage et d’attribution du sens ; et enfin, l’écriture comme lieu d’apprentissage de l’expression de soi, comme de son analyse.
De ces cinq instruments, l’introspection sensorielle et l’écriture autobiographique post-immédiateté du Sensible ont été pour moi les instruments qui ont le plus enrichi tant mon projet de recherche que mon processus de transformation personnelle et professionnelle. Comme l’expliquent H. Bourhis et D. Bois dans leur article sur l’introspection sensorielle (2010), cet outil a comme point de départ une écoute de la subjectivité corporelle, une écoute des phénomènes qui se produisent dans l’intimité de la matière corporelle, une écoute de soi à soi. L’introspection sensorielle s’appuie sur un « laisser venir » à soi de ces phénomènes du corps Sensible qui présuppose la capacité de les accueillir. Ensuite, ces informations originaires d’un « corps parlant » se déploient dans l’acte d’écriture qui leur donne forme et cohérence – l’écriture post-immédiateté.
Pour ma recherche, j’ai fait un vaste récit autobiographique en rapport avec ma carrière professionnelle. Je m’émerveille de la double potentialité transformatrice de cet instrument : d’un coté, carte de navigation de l’océan de vie au travers duquel je me suis dévoilé, dans un vrai processus autopoïètique ; de l’autre, empreinte de mon chemin dans la vie – le voilà,
témoignage
à mes filles et à famille, à mes collègues professeurs, aux chercheurs du Sensible, aux amis…
La réalisation de ce travail m’a pris une majeure partie de l’année 2009. Au quotidien j’ai crée les conditions de sa rédaction, un espace-temps, d’environ une heure, habituellement en fin de journée, quand, après le carrousel des activités journalières, familières et professionnelles, je m’accordais un temps de rencontre avec moi-même, condition sine qua non de ma recherche. Avec les introspections sensorielles, pendant ce temps doux de pause et de méditation, je (me) répondais aux questions et axes d’orientation de mon récit. Toutefois, cet exercice journalier ne produisait obligatoirement un moment d’écriture. Par contre, il est certain que le processus de construction du récit se poursuivait ; j’écrivais, même quand je n’écrivais pas, parce que le mouvement d’écriture était tout le temps présent dans moi. Parfois, il me proposait une pause, parfois aussi un recul, pour trouver la distance qui me permettait de voir plus loin et au plus profond de moi-même.
Mon récit s’est construit dans cette dynamique, comme un tissage où chaque fil d’idée portait sa couleur et ainsi de fil en fil. Tous ces fils se croisaient et produisaient un trame épaisse dans laquelle je rentrais, où je me sentais admise. Je ne prévoyais pas le résultat, c’est le tissage de l’écriture qui me dévoilait à moi-même. Le récit, une fois terminé, a continué de produire son mouvement de résonance : un terrain de recherche que j’ai travaillé, réécrit à chaque lecture, redessiné dans la multiplicité de mes regards et de mes sentiments avec la pulsation et la vibration propres à l’objet vivant qu’il est.
J’ai découvert qu’aussi bien l’introspection sensorielle qui m’offre un dialogue intime avec ma subjectivité corporelle que l’écriture autobiographique qui naît de cette relation avec le Sensible ont joué une double fonction : d’un coté, elles ont été le support de ma recherche et, de l’autre, elles ont participé à mon processus de transformation personnelle et professionnelle. C’est la raison pour laquelle, j’estime que ces instruments devraient être introduits institutionnellement avec un grand bénéfice dans la formation des enseignants.
La contribution de la méthodologie utilisée dans mon processus de transformation personnelle et professionnelle
Puisque je me constitue à la fois objet et sujet de ma recherche, celle-ci a elle-même un caractère formateur, elle s’insère donc dans la méthodologie de recherche-formation. Je ferais remarquer aussi que ce travail a pris forme et s’est nourri d’une complicité entre la production de données et l’extraction d’un sens. Le point de départ de ma réflexion a été un objet construit dans cette interaction progressive entre le terrain de recherche que j’ai créé – le récit autobiographique de recherche personnelle et professionnelle – et son analyse. Une fois le récit élaboré, il a fallu « identifier, révéler, nommer, résumer, mettre en forme, presque ligne par ligne, le propos développé à l’intérieur du corpus sur lequel l’analyse se fait. » (Paillé, 1994, p. 154). Ce travail de catégorisation a offert une nouvelle opportunité d’approfondir mon processus de transformation et m’a apporté une meilleure compréhension des questions à l’étude. En tant que chercheur qualitatif, je ne suis pas allée à la rencontre de mon objet de recherche, le récit autobiographique, seulement pour le catégoriser ou répondre à des questions. J’y ai aussi découvert des nouvelles questions pertinentes.
Privilégier cette démarche qualitative, qui présuppose une interaction avec l’objet de recherche, a été, pour moi, la possibilité d’un approfondissement plus lucide et donc plus créatif et critique de la compréhension de ma posture tant personnelle que de celle de professeur et de sa transformation avec le Sensible. Le fait d’avoir adopté une posture d’écriture à la première personne, m’a permis de découvrir en tant que chercheur la qualité directe de l’accès à ma propre expérience. En effet, comme le dit E. Berger : « Le point de vue à la première personne est un point de vue unique d’un certain sujet dont le mode de vie est absolument singulier et ne peut être capté dans sa totalité par un troisième et ceci malgré toute l’empathie que ce dernier puisse avoir. » (2009, p. 205)
Le fait d’approfondir mon expérience du corps Sensible et de son impact dans mon processus de transformation, sur la forme de mon récit autobiographique, m’a conduit à adopter cette posture épistémologique, basée sur un point de vue en première personne dans le sens où « en se rapportant exclusivement à ce que le chercheur lui-même peut dire de sa propre expérience, de son propre témoignage qu’il prend en tant que matériel de et pour sa propre recherche. » (Berger, 2009, p. 204)
Mouvement de (Trans)formation personnelle
Ma question de recherche porte donc sur les effets entre mon processus de transformation personnelle, au cours de ma formation en psychopédagogie perceptive, et ma posture d’enseignante.
J’ai construit mon récit autour de trois dimensions de mon parcours :
- Le premier : le mouvement de transformation personnelle
- Le deuxième : le mouvement de transformation professionnelle
- Le troisième : les relations réciproques, les transferts entre le premier mouvement et le deuxième
Dans cet article, je présente seulement les résultats les plus significatifs en m’appuyant sur certains passages exemplaires de mon récit.
La relation au corps Sensible
Ma transformation personnelle convoque en premier lieu, la transformation de la relation à mon corps. Je reconnais maintenant que celle-ci se colorait de la peur de la maladie, même si dans ces moments je me mettais entre les mains des médecins à qui j’attribuais la responsabilité de la guérison de mon corps. Quand j’étais en bonne santé j’oubliais mon corps et cela ne me gênait pas dans les relations avec moi-même et avec les autres. Mon corps ne méritait ni attention ni dévouement particuliers. Je vis alors une de mes expériences fondatrices plus importantes : « la perception que mon corps est parcouru par un mouvement interne que m’identifie à moi-même a été un des faits plus importants du processus de mon actualisation personnelle » (Melo da Silva, 2011 p. 169.). J’étais émerveillée de cette découverte, de ce qui « bouge » à l’intérieur de moi et j’ai accepté l’invitation à défaire cette dualité entre moi et mon corps. Ce fut avec une énorme tendresse que j’ai débuté l’exploration du continent de mon existence. « Finalement Maria Clara était dans Maria Clara comme si dans mon corps il y avait un autre monde intérieur un coffre où j’étais gardée où j’étais contenue » (Ibid., p. 170), comme si j’étais enceinte de moi-même. C’était donc une autre façon d’être en moi. Je m’aperçois que dans le développement de cette relation au corps Sensible j’accédais à des prises de conscience qui renouvelaient mes compréhensions de mon passé et qui donnaient du sens à mon présent.
La relation au silence
La psychopédagogie perceptive a transformé ma relation au silence qui, de « désert menaçant », est devenu un espace créatif et amoureux. Un silence corporel que j’apercevais à travers la sensation de dissémination de chaleur avec un volume, une épaisseur et une texture – une plaine ensoleillée silencieuse qui couvrait mon corps d’une rafraichissante et joyeuse confiance qui me stabilisait m’équilibrait, me calmait.
Un passage important de mon récit de vie retrace l’évolution de cette transformation : « A travers des introspections sensorielles je me suis ouverte à l’expérience du silence qui n’est plus une réalité extérieure et qui est devenue corporelle. J’ai commencé à percevoir la présence du silence- volume-épaisseur. Dans un premier temps, je sentais un silence extérieur autour de mon corps qu’il absorbait et qui l’imprégnait… J’ai donc pu alors me reposer profondément dans le silence. Associées à ce silence, ont surgit des sensations d’appui, de support, d’enveloppement, de repos, de confiance, de stabilité, d’apaisement et d’équilibre. A partir d’un ‘désert emprisonnant’, le silence s’est révélé un lieu fertile et créateur - silence créateur. J’ai perçu aussi, un silence dans mon corps comme un espace avec des différentes localisations - dans mon corps il existait un lieu : plaine de silence qui s’étendait jusqu’à l’horizon infini ! Fréquemment après avoir installé le silence par les Introspections, il y avait des mots qui sortaient et ainsi j’ai appris qu’il y a des mots qui ne blessent pas le silence, bien au contraire, ils l’animent et le nourrissent ; j’ai senti, même, que le silence peut être la Mère de la Parole et qu’il y a des paroles qui prolongent le silence… » (Ibid., p. 175). Silence, toile de fond d’un quotidien ; silence actif, attentif et attentionné ; pas un mutisme indifférent mais un territoire fertile en nouveaux et surprenants possibles. La relation au silence a donc été une manière d’être plus proche de moi. Il m’offrait un appui, un sol sûr et structuré sur lequel je pouvais marcher. Et quelle surprise de découvrir que le silence pouvait être un espace plein, créatif et créateur de parole avec un profond calme et une profonde émotion. J’ai senti que le silence était la mère de la parole qui la nourrit avec la sagesse de son mouvement corporel. Silence-mère-de-la-parole, surprenante découverte qui s’avère très importante dans la communication à autrui.
Lieux existentiels dévoilés par le corps Sensible
Au cours de ma formation en psychopédagogie perceptive, dans la construction de ma relation au corps Sensible et au silence, je découvrais des lieux de moi que comme anesthésiés ou congelés qui se sont dévoilés et réveillés, et m’ont alors donné une autre conscience de moi. Voilà la description métaphorique que j’en ai fait : « Un à un, ils se sont ouverts à ma compréhension dans différents lieux : ‘lieux-cocons’ des cachettes où j’avais congelé des douleurs anciennes ; ‘lieux – châteaux’ vers lesquels je m’étais envolée pour m’absenter de moi-même, pour avoir eu de la difficulté en m’enraciner et accepter la vie. Le fait d’être ici, allait en compensant à travers le rêve d’un monde meilleur avec des notions révolutionnaires et une posture d’outsider rebelle ; les ‘lieux- forêts’, enchevêtrés, et peu parcourus, des obstacles à une vision claire et aérée de moi et du monde, qui se traduisaient par exemple, au quotidien par une réactivité émotive, génératrice de conflits et de mal entendus. J’ai perçu encore à l’intérieur de mon corps, des ‘lieux- fenêtres’ qui éclairaient les précédents et qui me permettaient de sentir la pacifique sensation d’avoir une saveur de simplicité, de gratitude… » (Ibid., p. 174)
Le « corps-cocon » est lié à la non acceptation de ma propre vie ; avant la formation en psychopédagogie perceptive, ma façon de vivre m’inspirait une sorte de dégoût. Le contrôle et la manque de confiance était mon chemin. Le « corps-château » correspond au lieu du déracinement, refuge pour m’éloigner de la vie et me couper de moi-même. Le « corps-forêt » qui représente le lieu de toutes mes peurs, et me rendait réactive. Mais, j’ai aussi découvert un « corps-fenêtre », un lieu d’une simplicité lumineuse.
Il y avait ainsi des zones de mon corps où le mouvement ne pénétrait pas. Mon corps me semblait divisé par la zone du bassin comme si la partie supérieure du corps était séparée du bas. Je rencontrais aussi une sensation de blessure du côté droit de ma poitrine qui atteignait le dos d’où semblait s’écoulait une lave douloureuse de difficulté dans la convergence des fémurs et la perception de l’éloignement des pieds du sol. Cela me parlait de mon histoire de non acceptation, d’un déracinement qui m’avait placé dans le château de mes rêves reportés. Je tombait en moi dans des fragilités, dans des zones congelées de mon corps ; j’ai eu a effectuer un travail « de couche en couche », pour identifier et libérer ces emplacements de douleur, de peur de revendications et de rêves sans fondements. Lentement, ces « lieux-fenêtres » allaient clarifier et ordonner les zones les plus obscures de mon être.
J’ai capturé ce que j’ai appelé « mon prisonnier interne » (ou intérieur) en comprenant que quelque chose était restée enfermer en moi : « Quel geôlier m’a mis en prison ? les pieds savaient l’urgence mais ignoraient le chemin » (Ibid., p. 179). Le déficit d’ancrage que je sentais à travers la perception de la fragilité des pieds inhibait ma capacité d’agir. J’ai reconnu et identifié ce déficit et j’ai remercié le jour où j’ai ressenti comme un « baiser » de mes pieds dans le sol, comme un mouvement de réconciliation profonde avec moi et avec la vie : « J’assistais aux paroles prisonnières qui se liquéfiaient, les sentiments prisonniers qui se liquéfiaient, les chagrins prisonniers qui se détachaient, se fluidifiaient et glissaient. Parfois ce lieu était inondé de chaleur ; autre fois je sentais cet emplacement douloureux dans la poitrine qui se remplissait de l’épaisseur du mouvement » (Ibid., p. 173).
C’est un des exemples de passages de mon récit sur le processus de transformation qui montrent les prises de conscience que j’obtenais à partir d’informations perceptives internes ; et qui montrent à voir le rôle de ces « lieux-fenêtre ». Ce corps Sensible avait finalement un cadeau à m’offrir : la simplicité qui défait les nœuds ancestraux, qui résout les conflits, qui guérit les blessures, qui adoucit la présence à moi-même et aux autres, qui illumine les divisions inhabitées de mon Être.
Mouvement de transformation professionnelle après la formation en Psychopédagogie perceptive
Posture face à la profession
Il est temps de montrer les effets de ce processus de transformation personnelle sur le processus de transformation professionnelle. Pour commencer, je peux dire que la formation en Psychopédagogie Perceptive a représenté un choc qui m’a invité à une réflexion sur ma profession fondée sur une « nouvelle réflexion l’être à moi à la vie et à ma profession, dans une dynamique entre les expériences vécues à travers le Corps Sensible et les prises de conscience qui surgissaient ». (Melo da Silva, 2011, p. 199)
Il est clair pour moi, que mon action professionnelle, révèle la personne que je suis, et ce fait, apparemment simple, a déclenché un processus d’observation de mes actes professionnels, beaucoup plus affiné et apuré. J’en ai conclu dans mon récit, comme je l’ai écrit dans le récit : « qu’enseigner me révèle l’enseignante, que je suis, en tant que sujet/personne de cette pratique et je me suis laissé dévoiler à travers cet acte, en réfléchissant sur lui et sur la relation que j’établissais avec lui. Il est apparu très clairement que l’atmosphère des différents espaces scolaires, la multiplicité des interactions, ainsi que les ‘situations-problèmes’ ou les ‘situations-solutions’ qui s’y passent m’interrogent personnellement et me font réfléchir sur la résonance que ces situations ont sur moi, et les chemins qu’elles m’invitent à parcourir.... » (Melo da Silva, 2011, p. 202)
En conclusion, la relation à ma profession a connu, aussi, une transformation : déjà la prise de conscience que l’acte d’enseigner me révèle l’enseignante que je suis ; la prise de conscience que les situations-problèmes ou les situations-solutions m’interrogent et ont une résonance en moi et surtout je me suis rendu compte que le rêve de tout ma vie professionnelle ‘je vais changer l’école’ était utopique et partant, ce que je peux faire c’est de me changer moi-même.
Posture face aux collègues
En ce qui concerne la relation à mes collègues, je constate que la découverte des lieux existentiels que j’avais visités dans mon vécu du Sensible ont eu un impact sur ma relation aux acteurs de la communauté éducative, tel qu’un état d’être plus ouvert et compréhensif. À ce propos, j’ai écrit dans mon récit : « Le silence, la pause, l’acceptation de soi, la confiance, la tolérance et la simplicité m’ont fait constater une continuité entre ce que j’avais perçu à l’intérieur de moi, dans ma relation à mon Corps Sensible et à l’extérieur, dans ma relation avec mes collègues et dans ma relation aux élèves. La posture de confiance de soi, l’acceptation de soi, de la tolérance de soi, la simplicité et l’authenticité éclairaient et tempéraient cette relation. » (Melo da Silva, 2011, p. 202)
En effet, je me suis aperçue que tous ces lieux dévoilées par ma relation au Sensible, et qui m’avaient interpellé en tant que personne, étaient aussi présents dans ma relation avec collègues et élèves ‘en nuançant’ cette relation. Il m’est apparu que par ce travail de compréhension de mes comportements, la relation au Sensible m’avait permis de prendre conscience d’une nouvelle qualité de relation avec mes collègues, basée sur l’écoute et la perception interne. Comme j’ai écrit dans le récit : « Plus jamais je n’ai la prétention de présenter à mes collègues, comme avant, des projet que je considère bons et innovateurs, mais qui ne partent pas d’un lieu de congruence, de cohérence, d’écoute, de silence, de pause. Je perçois bien mieux la justesse d’engager différemment l’échange. » (Ibid., p. 205)
Enfin, la remise en cause d’anciens comportements de fuite, de réactivité et d’isolement, ainsi que le souhait et la revendication d’une école transformée ont été très importants dans mon processus.
Je suis donc en mesure de soutenir que ma formation en Psychopédagogie Perceptive a transformé la relation avec mes collègues, qu’elle est maintenant plus cohérente, structurée et qui s’appuie sur la nouvelle perception de mon Corps Sensible.
L’importance d’un lieu de silence dans la relation avec les élèves ressort : « L’engagement, le support, l’appui, le repos, la stabilité, l’apaisement, l’équilibre, l’harmonie, la sérénité, etc., étant perçus et contactés par moi, font naître une résonance dans les élèves en créant une atmosphère de stabilité qui rend l’élève à lui-même. » (Ibid., p. 202-203). Je constate que ce lieu de silence «représente la base sur laquelle la situation de travail inhérente à l’apprentissage et à l’enseignement devient viable et propice. » (Ibid., p. 203).
Il est aussi clair pour moi, qu’il y a des mots qui touchent les étudiants tandis que d’autres les laissent complètement indifférents, ces mots étant nés d’une intériorité et d’une relation au Sensible. Je me rends compte que la communication en classe installée depuis ce lieu de silence est beaucoup plus claire et ajustée, ce qui favorise cette rencontre, unique et singulière de 90 minutes de cours.
Cette rencontre est la condition pour que les élèves, dans leurs relations les aux autres et tous avec moi, puissent faire l’expérience profonde de s’accepter et de s’assumer comme êtres vivants avec leurs questions, intérêts, frustrations et rêves, en tenant compte des savoirs et de la diversité de leurs expériences, en favorisant la multi-culturalité et la pluralité en général. Une salle de classe où moi et les élèves faisons l’expérience profonde de s’accepter et de s’assumer, voilà une posture que dans cette phase de mon parcours professionnel je considère comme essentielle : « Accepter le bagage biographique des élèves comme je suis en train d’accepter le mien, dans mon parcours à travers la Psychopédagogie Perceptive, j’ai maintenant conscience que c’est fondamental. » (Ibid., p. 210).
Je comprends aussi bien mieux pourquoi je m’intéresse depuis longtemps aux questions d’indiscipline et de démotivation « Le fait de ne m’être pas sentie acceptée et comprise par ma famille me désorientait profondément et m’avait fait perdre le sens d’appartenance au groupe (…). Le fait de me sentir différente et non acceptée par le noyau familial m’a rendu indisciplinée. Par la même, je ne trouve pas étrange, qu’en tant que professeur, les élèves indisciplinés m’aient toujours autant intéressée. Quelque chose de leur indiscipline s’écoulait en moi. » (Ibid., p. 211)
En effet, cette perte du sens d’appartenance m’avait désorientée, et j’identifie, dans les cas des élèves indisciplinés, cette même incapacité de signifier le lieu qu’ils occupent. Je me suis posée la question de savoir si l’indiscipline et la démotivation ne correspondaient pas à un éloignement de l’élève avec lui-même ; d’autant plus que j’ai constaté, par contraste, que les retrouvailles de l’élève avec lui-même coïncident avec une nouvelle implication de sa part.
J’ai constaté qu’autant la démotivation que l’indiscipline correspondent à des moments où l’élève ne se sent plus concerné et impliqué dans son processus d’apprentissage et, à l’inverse, j’ai constaté que la reconnexion à lui-même favorise motivation et discipline.
Dernièrement, j’ai chéri l’idée de la classe comme une ‘Communauté de Présence’ : « Jour après jour, dans le temps maternel de la constance, se tisse une toile de ‘Communauté de Présence’ qui touche à peine des fragments de recherche de soi, de l’autre, des apprentissages, du monde ; une atmosphère dans laquelle moi et mes élèves, agissons, réagissons, découvrons, apprenons et nous laissons embarquer par la volonté de découvrir ou même de nous donner la permission de nous surprendre nous-mêmes… » (Ibid., p. 216-217).
Le processus d’interaction entre moi, la classe et l’élève se construit progressivement en cheminant à travers questionnements, constatations, découvertes, qui engendrent de nouvelles questions, par la mise en valeur des intérêts de tout un chacun et dans la manière d’habiter l’espace commun où nous vivons.
Ainsi, je me rends compte que plus je suis capable d’être présente à moi-même, plus je le suis avec le groupe-classe et avec chaque élève en particulier. Et ce fait favorise même la proximité de l’élève à lui-même.
Relation à la pratique pédagogique
Comme premier point j’identifie que le développement des capacités perceptives développées au cours de cette formation « favorise l’utilisation de méthodologies plus justes à un moment précis, dans un compromis entre ce qui avait été planifié et ce qui apparaît juste et adaptée. ». (Ibid., p. 214).
Ceci me conduit à poser la question de la temporalité : « Pour cela il est en effet nécessaire de respecter la temporalité singulière de chaque élève, à partir de ce lieu de confiance, qui ne force pas et ne pousse pas, mais qui respecte l’évolution savante que le mouvement interne m’avais appris. Il est curieux de remarquer que, quand j’installe cette confiance, les emplois du temps sont respectés et qu’au contraire, quand je me sens tendue et préoccupée par délais et échéances, les durées ne sont pas respectées. » (Ibid., p. 215)
J’ai retrouvé l’importance de l’implication et la curiosité comme moteurs et impulsions de l’apprentissage et je défends une « épistémologie de la curiosité », indissociable de l’acte d’apprendre/enseigner et qui s’appuie sur l’écoute du Sensible.
En conclusion, je soutiens que la formation en Psychopédagogie Perceptive m’a donné une meilleure gestion de l’immédiateté dans l’acte d’apprendre et que le développement des capacités perceptives m’a fait prendre conscience sur la importance de respecter la singularité et la temporalité de l’élève.
En guise de conclusion : influence réciproque entre les mouvements de (trans)formation personnelle et professionnelle, dans le contexte de la Psychopédagogie Perceptive
J’ai donc compris que l’établissement de la relation à mon Corps Sensible et au silence, ainsi que le dévoilement des lieux existentiels dans mon processus de transformation, ont engendré un autre état d’Être dans mon métier.
Le sentiment d’unité du « corps que je suis, la Maria Clara est dans la Maria Clara », la découverte de lieux inhabités dans « la maison de mon Être », la nouvelle relation au silence m’ont permis une nouvelle présence incarnée qui a fait écho dans la relation à mes collègues, à mes élèves et à la communauté éducative en général. Mon corps, scène de l’apprentissage, confisqué métaphoriquement par un corps-cocon, un corps-château, un corps-forêt, mais aussi un corps-fenêtre, m’a fait le cadeau d’une sensation d’apaisement, d’acceptation de la vie et d’un goût pour la simplicité. Tout cela s’est répercuté, évidemment, dans mes relations a posture relationnelle à mes collègues, à mes élèves, dans ma pratique d’enseignante et même dans la manière dont je me positionne actuellement dans ma profession.
Je me suis aussi aperçue que la relation au silence permettait de mieux entendre les mots et donc de communiquer avec les autres d’une manière plus douce et assertive. Je me suis aperçue encore que les qualités d’engagement et de sérénité contactées dans le silence se diffusaient dans l’atmosphère de la salle de cours, condition essentielle pour l’acte enseigner/apprendre.
Par ailleurs, le retour réflexif sur mon histoire de vie professionnelle avant la formation en Psychopédagogie Perceptive m’a confronté à des attitudes tantôt d’ouverture, de joie et d’enthousiasme, tantôt de réactivité agressive et génératrice de conflits relationnels. J’avais un regard généreux et humain sur ma profession, mais il était idéalisé, non viable ni concret. Le souhait intense de « je vais changer l’école » qui correspondait au témoin d’adolescent du « je vais changer le monde », sans bases, ni fondements a donné lieu à la compréhension du fait que le changement possible, concret et viable, était le mien et j’ai pris conscience que ma relation au corps Sensible avait été le médiateur de ce processus de transformation.
Le cheminement à travers ces lieux existentiels du déracinement/enracinement, acceptation/non acceptation, centrage/tolérance, simplicité, a été à l’origine de ma transformation personnelle. J’ai constaté son influence ma posture en tant qu’enseignante. J’ai constaté, d’un autre coté, une relation de réciprocité, une influence continue entre ces deux mouvements : le personnel et le professionnel, entre moi et les autres acteurs éducatifs, ‘un état d’être en moi’, qui se prolonge par ma relation avec l’autre dans une dynamique d’interactivité mutuelle. J’ai chéri l’idée d’un « état d’être à l’école » et d’une « communauté de présence » comme le courant d’un fleuve, une résonance des présences, qui m’unit aux élèves dans la salle de classe et très sagement nous conduit.
Le développement des capacités perceptives et la relation au corps ont contribué à mettre en marche une pédagogie plus performante et attentive par laquelle l’acte d’enseigner/apprendre se produit dans un climat de curiosité impliquée, d’ouverture à la connaissance, d’une volonté d’apprendre semblable à la volonté de vivre.
Je sais maintenant que je suis capable de mieux conjuguer dans la pratique pédagogique la partition de fond, des programmes avec la pertinence de ce que la danse de l’immédiateté me propose. Finalement, je comprends qu’enseigner est aussi un mouvement, celui de la vie. La perception de ce mouvement de vie, à travers la relation à mon corps Sensible et la capacité d’écoute ont été pour moi essentielles.
Pour conclure j’aimerais souligner les deux points suivants :
- D’une part, l’apport de la psychopédagogie perceptive à la formation de l’enseignant. Je formule le souhait que cette discipline émergente puisse être intégrée institutionnellement dans la formation de l’enseignant.
- D’autre part, les liens entre (trans)formation personnelle et (trans)formation professionnelle. Mon travail de recherche m’a montré l’impact de l’introspection sensorielle et de l’écriture en post immédiateté dans ce processus de transformation de la personne et de l’enseignante.