Cet article fait suite à mon travail de master sur les apports de la somato-psychopédagogie pour l’enseignant du primaire. Le choix de ce sujet et cette idée de soutenir l’enseignant, de l’aider dans ses missions auprès des élèves, découle de constats que j’ai pu faire sur le terrain scolaire, et cela, grâce à ma double appartenance professionnelle. En effet, je suis à la fois enseignante en maternelle et somato-psychopédagogue. J’ai souvent constaté que l’enseignant est mal préparé à la réalité quotidienne et qu’il se trouve démuni face aux difficultés pédagogiques et relationnelles. Avec les collègues qui partagent la même approche, nous appliquons avec un certain succès des outils de la somato-psychopédagogie. Cependant, ces applications nécessitaient d’être formalisées et leurs effets méritaient d’être validés.
Dans la suite de cet article, je développerai d’abord ma démarche théorique, en m’appuyant principalement sur le contexte social et institutionnel de l’école. Je ne décrirai pas, dans le cadre réduit de cet article, la présentation du paradigme du Sensible et de la somato-psychopédagogie, bien développé dans les travaux du Cerap. Puis je décrirai les propositions pratiques de la somato-psychopédagogie, telles que je les ai mises en place. Et enfin, je présenterai mes objectifs, la méthodologie que j’ai utilisée et mes résultats de recherche.
Pour une meilleure lisibilité, les citations empruntées au verbatim des entretiens seront placées entre guillemets et inscrits en italique.
Ma démarche théorique
La première démarche du champ théorique consistait à préciser les difficultés rencontrées par les enseignants, principalement dues à un manque de formation. J’en ai rencontré dans deux domaines : l’un concerne la tâche éducative grandissante et l’autre les compétences pédagogiques et relationnelles nécessaires à l’accomplissement de ce métier.
L’enjeu d’éduquer dans un climat social d’incivilité
D’une part, le climat social actuel dans lequel s’inscrit l’école est marqué par un climat d’incivilités et de violences largement médiatisées. Dans ce contexte, l’enseignant doit davantage aujourd’hui socialiser l’enfant, c’est-à-dire l’amener à intégrer et respecter les règles du « vivre ensemble ». Cette appellation regroupe des savoirs-être à éduquer chez les élèves, comme l’apprentissage de la civilité ou le développement des compétences sociales : le respect, l’écoute de l’autre et l’empathie ou du moins un premier « sens de l’autre ». Cette éducation au « vivre ensemble » est devenue primordiale pour prévenir et réguler la violence à l’école. Ces violences prennent cependant plusieurs formes et chacune pointe le rôle pivot de l’enseignant pour régler les problèmes.
- Les indisciplines et violences envers l’enseignant. Il s’agit la plupart du temps d’insoumissions qui laissent l’enseignant démuni et même dans un sentiment d’insécurité : « Les élèves, en se soumettant moins, apparaissent aux yeux des enseignants comme moins contrôlables et donc plus inquiétants. Perdre le contrôle d’une situation donne des raisons tout à fait légitimes de se sentir en insécurité » (Favre, Larès, 2007, p. 13). Dans cet état de fait, l’enseignant ne peut plus se référer à l’autorité « traditionnelle » qui impliquait la soumission des élèves. Favre et Larès proposent donc aux enseignants d’adopter un autre mode d’autorité qui n’impliquerait plus la soumission des élèves et ne se situerait plus dans un rapport de force : « Les rapports de force avec les jeunes sont de plus en plus perdants pour ceux qui, en tant qu’autorité, sont chargés d’éducation. Ils sont donc à éviter et à remplacer par un autre type d’autorité. » (Favre, Larès, 2007, p. 13). Une autorité qui rétablit l’élève dans un statut de sujet participant aux activités parce qu’elles prennent un sens pour lui. Mais, selon Favre et Larès, adopter cette autorité sans soumission exige de l’enseignant d’être suffisamment solide pour accepter l’imprévisible et le non-contrôle. Cela implique qu’il reste présent à lui-même, très à l’écoute de ses émotions et de celles des élèves, et capable d’empathie. C’est donc un apprentissage spécifique à mettre en œuvre.
- Les violences entre élèves. Elles sont très fréquentes et pourtant sous-estimées. Une étude de l’Institut Universitaire de Formation des Maitres Nord-Pas de Calais (Carra, et alii ; 2006) s’appuie sur les rares enquêtes menées dans le primaire pour montrer que ces violences entre élèves sont importantes en nombre. Cette étude laisse également ressortir que la qualité de relation que l’enseignant établit avec les élèves joue un rôle sur la perception de la violence par les élèves. Ainsi, les bonnes relations enseignant-élèves constituent un point important. Il ressort également d’une étude de Mottot que l’agressivité de certains élèves est liée à un grand besoin de sécurité : « L’agressivité est généralement plus forte chez les individus dont le mode de traitement dogmatique des informations est dominant (difficultés à accepter les déstabilisations cognitives et l’altérité liés à un besoin très fort de sécurisation » (Mottot, 2008, p. 26). Nous voyons bien le rôle que l’enseignant joue face à ce climat. Afin d’éviter certains comportements agressifs, il est donc primordial que l’enseignant sache construire un climat de classe sécurisant. Une action sur ce type de violence passe également par des choix pédagogiques supprimant l’esprit de compétition et valorisant les vécus communs.
La mission d’enseigner demande des compétences relationnelles
Le second constat concernait les lacunes dans la formation pratique et pédagogique. En effet, enseigner n’est pas seulement un acte technique qui s’apprend. Enseigner est une mission complexe qui demande des compétences techniques – la didactique – et relationnelles – la pédagogie.
Cette dimension pédagogique s’appuie sur la gestion de la classe avec d’abord la mise en place d’un cadre de fonctionnement qui sous-entend une autorité de l’enseignant sur les élèves. Elle inclut également la création d’un climat de classe sécurisant, favorable à la motivation et aux apprentissages car apprendre peut être déstabilisant au moins dans certaines étapes. En effet, comme le pointent de nombreux pédagogues, apprendre demande d’abord de déconstruire des représentations existantes au profit de nouvelles. Il faut donc que l’élève se sente suffisamment en sécurité, sinon l’ancienne représentation est privilégiée et l’apprentissage ne se fait pas. La qualité de relation que l’enseignant établit avec ses élèves joue également un rôle important, Bourgeois et Galland montrent par exemple l’influence du respect, de l’équité et du soutien du maître : « Comme la motivation est largement un processus relationnel et affectif, je peux aussi m’interroger sur le degré de respect, d’équité et de soutien que je manifeste à mes élèves, sachant que ce sont des éléments auxquels leur motivation scolaire est très sensible. » (Galland, 2006, p. 2).
Certains auteurs de la littérature spécialisée, comme Nimier, expliquent que pour construire un bon climat l’enseignant doit parvenir à gérer ses états d’être et ses émotions, il doit savoir rester calme et garder un état de relâchement. Il doit savoir adopter une double posture, par une implication dans l’ambiance de classe tout en ayant le recul nécessaire pour analyser les situations : « C’est cette capacité à cette sorte de dédoublement : vivre pleinement et se regarder vivre, qui est indispensable à tout formateur à tout enseignant. » (Nimier, 2008, pp. 2-3). Cela demande à l’enseignant de savoir être en relation à la fois avec lui-même et avec les élèves afin de percevoir en lui-même leurs demandes et leurs besoins. Cette perception empathique est capitale autant pour la qualité des relations que pour la qualité du climat de classe. Comme de nombreux professionnels de la relation, il a aussi besoin de construire une qualité de présence à lui, il doit pouvoir ‘en imposer’, toucher ses élèves et communiquer avec eux.
Prairat souligne l’importance de ces compétences relationnelles pour l’enseignant : « Je crois que le métier tel qu’il est en train de se dessiner va solliciter des compétences relationnelles et psychologiques très fortes pour les éducateurs de demain et qu’il va être évidemment crucial de leur offrir une formation en conséquence. » (Prairat, 2004, p. 29). Or, ces compétences relationnelles ne sont pas nécessairement présentes naturellement chez tous, leur faiblesse est l’origine d’une souffrance chez les enseignants ainsi que d’une perte d’efficacité auprès des élèves.
Les insuffisances de la formation actuelle des enseignants apparaissent alors nettement. D’une part, l’éducation nationale met en avant l’importance de la part éducative du métier dans les textes, mais, dans la pratique, les maîtres doivent encore se « débrouiller » avec leur bon sens et leurs outils. D’autre part, contrairement à la didactique, la dimension pédagogique est peu abordée. Debarbieux, comme de nombreux auteurs dans la littérature spécialisée, le dénonce : « La formation des jeunes enseignants est dramatiquement dépourvue de tous les aspects pédagogiques du métier qui devraient accompagner la transmission des savoirs, particulièrement auprès des publics difficiles. » (Debarbieux, 2006).
Il me parait clair que, face à ce contexte, la somato-psychopédagogie pourrait fournir des outils qui semblent pertinents a priori, aussi bien pour l’enseignant lui-même, pour la relation enseignant élève que pour les élèves.
Les propositions de la somato-psychopédagogie
Pour l’enseignant
La somato-psychopédagogie propose des pistes de travail autour de ces problématiques car son projet formatif est « de favoriser l’enrichissement de la dimension perceptive, mais aussi cognitive et comportementale des interactions que la personne déploie avec elle-même, avec les autres et avec le monde qui l’entoure. » (Bois, 2006). Cet enrichissement est très conceptualisé dans le cadre de l’expérience du Sensible (Bois & Austry, 2007). Cependant, mon étude pose la question d’un transfert possible dans une sphère professionnelle spécifique.
L’enquête que D. Bois a menée pour son étude doctorale, ainsi que de nombreux travaux des chercheurs du Cerap (voir les autres numéros de Réciprocités), font ressortir qu’il devient possible de garder une présence à soi dans la vie quotidienne. En effet, avec de l’habitude, une personne peut, avec quelques minutes d’introspection, atteindre une première relation d’attention à soi. Cette pratique n’a évidemment pas toute l’amplitude d’un travail de transformation personnelle qu’offre le Sensible dans les conditions habituelles : une introspection sensorielle dure vingt minutes. Mais dans la vie professionnelle, l’objectif consiste à installer simplement une relation de soi à soi qui ouvre à des états d’être et des savoirs-être relationnels plus riches. Il est alors tout à fait possible d’utiliser les outils de la somato-psychopédagogie en dehors des conditions habituelles d’un somato-psychopédagogue grâce à cet objectif minimal. La relation à soi, la présence à soi deviennent plus facilement accessibles, sans avoir besoin d’années d’entrainement. Cette présence permet à l’enseignant d’abandonner ses stratégies de contrôle, de relâcher ses tensions et de devenir plus solide, plus stable et moins soumis au stress. Elle peut lui permettre d’être plus adaptable car le déploiement de la ‘panoplie gestuelle’ permis par la gymnastique sensorielle s’accompagne progressivement d’une plus grande souplesse face aux événements. Un sentiment de confiance en soi peut naître lorsque la solidité, la stabilité et la plus grande adaptabilité qui se développent peu à peu en pratiquant la somato-psychopédagogie, envahissent la vie professionnelle.
Pour la relation enseignant - élèves
Les travaux de D. Bois l’amène à affirmer « que les capacités empathiques, sont tout à fait éducables et en particulier qu’elles s’améliorent considérablement quand on développe les capacités perceptives de son propre corps » (Bois, 2006, p.138). En restant à l’écoute de son intériorité, l’enseignant accède en même temps à une écoute de l’état des élèves et de l’ambiance dans la classe, il pourra également mettre en œuvre des qualités empathiques dans sa relation aux élèves.
Pour les élèves
L’étude réalisée par M. Roman (2010), dans son mémoire de master sur les apports de la psychopédagogie perceptive pour l’enfant, montre que la somato-psychopédagogie est très efficace sur les enfants et que tous les outils sont applicables : les effets sur l’enfant sont analogues à ceux produits sur des adultes lors de l’expérience du Sensible. Cependant, les élèves en classe ne sont pas dans la même situation que les jeunes patients ; ils ne sont pas suivis individuellement lors de séances complètes par un praticien comme le sont les enfants dans cette étude.
Mon questionnement
Je sentais que de garder un lien avec mon intériorité pendant la classe améliorait la relation avec les élèves, qui devenait plus facile, et mon travail plus agréable et moins fatiguant. Ce phénomène semblait s’amplifier encore lorsque j’appliquais avec mes élèves des outils de la somato-psychopédagogie comme l’introspection ou la gymnastique sensorielle. Cependant cette impression restait floue. L’objet de ma recherche consistait à faire un panorama des transferts, des applications possibles et de leurs effets, sur le terrain de l’école. Cette recherche m’a même permis de découvrir des effets que je n’avais pas remarqué jusque là.
En me basant sur ces développements théoriques, j’ai formulé ma question de recherche se formule ainsi :
Quels sont les apports de la somato-psychopédagogie pour l’enseignant de l’école primaire, dans sa posture ?
Naturellement, les objectifs de recherche découlent directement de la formulation de la question de recherche, il s’agit d’identifier les apports de la relation au Sensible pour l’enseignant :
- Déterminer l’apport de la relation au Sensible de l’enseignant pour lui, dans sa posture
- Définir les outils que l’enseignant peut transférer en classe avec les élèves, dans quelles conditions et avec quels effets
- Cerner l’aide que peut obtenir des transferts de la somato-psychopédagogie dans sa mission d’éduquer les élèves au ‘savoir vivre ensemble’
Pour mieux saisir les résultats de ma recherche, je présente maintenant le cadre pratique de ma recherche qui décrit l’utilisation d’outils de la somato-psychopédagogie en classe de primaire.
Applications d’outils de la somato-psychopédagogie en classe
La somato-psychopédagogie est une méthode visant l’enrichissement perceptif par le média du corps (Berger, 2006 ; Bois, 2006 ; Bois, 2009 ; Bois & Austry, 2007). Elle propose des mises en situations spécifiques au cours desquelles des facultés attentionnelles sont particulièrement sollicitées. La gymnastique sensorielle (Noël, 2001 ; Eschalier, 2009) et l’introspection sensorielle (Bourhis & Bois, 2010) peuvent s’utiliser avec des adaptations, l’entretien verbal trouve également une place après les petites pratiques proposées. L’enseignant a du temps pour les mettre en œuvre en les intercalant avec d’autres disciplines du programme scolaire, car il garde ses élèves toute la journée.
Les pratiques
L’introspection sensorielle prend la forme d’une ‘relaxation’. Une telle pratique peut sembler étrangère au contexte scolaire, cependant certaines techniques de relaxation ou de méditation font l’objet d’initiatives dans des écoles en Europe (par exemple, Burnett & Williams, 2010).
La durée de cette introspection dépend de l’âge des élèves et de leur familiarisation avec cette pratique. Cela va de deux minutes en début d’année scolaire, pour évoluer progressivement jusqu’à dix minutes selon les jours. L’enseignant peut explorer différentes modalités perceptives comme l’écoute du silence, la perception de la chaleur, celle du poids du corps. Comme il est, lui-même, en relation avec le Sensible, il peut guider les élèves et adapter son accompagnement en s’appuyant sur ses perceptions. Par sa présence, sa qualité de relation à son intériorité, ses paroles et sa voix, il leur faire vivre une expérience Sensible, même dans ces conditions restreintes.
La gymnastique sensorielle. Les mouvements sont adaptés en fonction de l’âge des élèves, car le schéma corporel est en cours d’élaboration à l’âge de l’école primaire. L’enseignant commence par demander des mouvements linéaires, comme le conseille I. Eschalier, « l’expérimentation de la lenteur, des mouvements linéaires et de la coordination de base est un choix pertinent pour le débutant » (Eschalier, 2009, p. 69). Les élèves restent simplement assis à leur place, la mise en œuvre de ces exercices est donc simple et rapide. L’enseignant guide ces mouvements avant arrière ou haut bas, par des consignes simples et il exécute le mouvement en même temps. L’expérience sensorielle est donc riche et complète : l’enfant fait et ressent les gestes en même temps qu’il voit son enseignant exécuter ces mêmes gestes en miroir, et qu’il entend les explications.
Pour mettre en place ces exercices, surtout en début d’année, il faut les « imposer avec autorité » ce qui semble spécifique à l’enfant, comme le constate également M. Roman : « Parfois, la gestion efficace d’une séance demande d’installer un rapport d’autorité avec l’enfant. » (Roman, 2010, p. 152). Cette autorité ne place pas pour autant l’enfant dans une posture de soumission passive ; l’enseignant doit expliquer aux élèves que ces exercices sont utiles pour qu’ils se sentent mieux et qu’ils puissent travailler dans de meilleures conditions.
Une verbalisation du ressenti. Après les pratiques, un temps est accordé pour que les élèves décrivent leurs perceptions corporelles et leur état d’être.
Cette verbalisation a plusieurs enjeux pour les élèves :
- Développer l’attention aux perceptions car les processus cognitifs sont d’autant plus sollicités qu’il y aura une intention de verbalisation.
- Apprendre à parler de son ressenti, ce qui est opportun autant du point de vue de l’enrichissement du lexique que de l’éducation d’une attitude envers soi-même.
- Valider les effets de la pratique, ce qui la légitime et peut devenir une motivation intrinsèque pour participer par la suite à ces séquences d’introspection ou de gestuelle. D’ailleurs, beaucoup d’élèves s’approprient ces pratiques et les continuent en dehors de l’école.
- Valider son ressenti pour lui donner de l’importance, une valeur. Cette verbalisation participe donc avec la perception, à construire un référentiel perceptif ou ‘une conscience corporelle’ selon l’appellation de Pès qui précise : « Développer le ressenti corporel et verbaliser devraient constituer les deux faces d’une même pièce » (Pès, 2007, p. 9).
Méthodologie de ma recherche
Les participants à ma recherche
J’ai choisi trois enseignantes, expertes ou connaissant suffisamment la somato-psychopédagogie pour la mettre en pratique dans leurs classes. Je les ai interrogées sur leur expérience lors d’un entretien semi-dirigé avec un guide d’entretien. J’ai retranscrit leur témoignage dans les verbatims.
Béa : Béa est une femme de 45 ans, enseignante à l’école primaire depuis vingt ans. Elle s’est spécialisée dans l’enseignement des enfants de neuf à douze ans, présentant des difficultés d’apprentissage voire une déficience intellectuelle légère. Elle a, par ailleurs, étudié la somato-psychopédagogie qu’elle pratique depuis seize ans, et elle a toujours enrichi son métier d’enseignante des apports de la somato-psychopédagogie.
Ann : Ann est une femme de 38 ans, enseignante à l’école primaire dans le privé depuis quinze ans et ses élèves sont âgés de neuf à dix ans. Elle n’est pas formée à la somato-psychopédagogie, elle ne possède donc pas de connaissances théoriques approfondies sur la méthode. Mais depuis cinq ans, elle se fait suivre en relation d’aide manuelle et participe régulièrement à des ateliers de gymnastique sensorielle et d’introspection sensorielle. Elle a surtout une expérience de l’application des outils de la méthode dans sa classe de CM1 (élèves de neuf à dix ans), car elle les a transposés à mesure qu’elle les découvrait. Je l’ai estimée apte à témoigner de son expérience.
Puis je me suis également placée comme sujet d’étude, en me faisant interviewer par deux collègues co-chercheurs avec ce même guide d’entretien. Je suis enseignante en maternelle et pratique la somato-psychopédagogie depuis douze ans.
Les enseignantes ayant participé à ma recherche ont des élèves d’âge différents, des types de classes différents et donc des conditions d’exercice très différentes, ce qui est assez représentatif de la variété de situations à l’école primaire.
La méthode de relevé des données
J’ai construit un guide d’entretien à partir de mon expérience du terrain, c’est-à-dire à la fois de ma connaissance du métier d’enseignante et de mon expérience des transpositions des outils de la somato-psychopédagogie dans ce milieu. J’ai répertorié cinq secteurs à explorer :
- Une présentation de la personne interviewée.
- Les effets de sa relation au Sensible.
- La relation avec la fonction d’enseignant avec les apports du Sensible.
- L’utilisation en classe des outils de la somato-psychopédagogie et les effets constatés.
- L’utilisation des principes pédagogiques de la somato-psychopédagogie dans la classe.
L’analyse des données
Comme je suis présente à toutes les phases de ma recherche, en tant que chercheur, enquêteur, analyste et même sujet de la recherche, je devais éviter les écueils de cette ‘multi-implication’. J’ai donc choisi une méthode d’analyse éprouvée et rigoureuse basée sur la méthodologie de Paillé et Mucchielli (2008). Afin de rester au plus près de la teneur des témoignages, j’ai opté pour une analyse thématique, car, comme le soulignent P. Paillé et A. Mucchielli : « La thématisation est la transposition d’un corpus de données en un certain nombre de thèmes représentatifs du contenu analysé et ce, en rapport avec l’orientation de recherche » (Paillé, Mucchielli, 2005, p. 124). J’ai pu ainsi faire une reformulation signifiante des témoignages recueillis. J’ai ensuite fait des regroupements catégoriels en phase avec mes premières rubriques : les outils utilisés en classe, les apports pour l’enseignant, les impacts résultant du cumul.
Les résultats de recherche
L’analyse des données a fourni des résultats sur les dimensions suivantes :
- Les effets sur les élèves et le climat de classe
- Les effets sur l’enseignant
- Les effets sur la relation enseignant/élèves
- Les effets sur la relation des élèves entre eux.
Le tableau suivant résume l’ensemble de ces résultats. Les flèches symbolisent les liens de « cause à effet » entre les différentes parties prenantes de la recherche
Les résultats de recherche laissent apparaître que les pratiques en classe de l’introspection ou de la gymnastique sensorielle agissent sur le climat de classe. L’enjeu n’est pas seulement d’améliorer les conditions de travail des enseignants mais de faciliter l’apprentissage. En effet, le développement de la perception semble favoriser d’autres outils de la cognition comme l’attention, la mémorisation de l’orthographe par exemple. La pédagogie de la gymnastique sensorielle s’applique également avec pertinence dans certains apprentissages psychomoteurs comme le graphisme ou l’écriture. Le résultat inattendu qui ressort de mon analyse est qu’avec les expériences Sensibles vécues en commun en classe, ainsi que grâce à la réciprocité que l’enseignant établit avec les élèves, ceux-ci sont éduqués autrement, ils accèdent à une altérité, un sens de l’autre qui a un impact positif sur leurs comportements.
Effets sur les élèves et le climat de classe
Le développement des autres outils de la cognition
L’éducation de la perception a une action sur d’autres outils de la cognition comme l’attention et la mémorisation.
La pratique d’exercices de gymnastique sensorielle est extrêmement favorable au développement de la motricité fine et donc aux apprentissages grapho moteurs. Par exemple, pour apprendre à de jeunes élèves à tracer un carré, l’enseignant commence par leur faire effectuer cette forme gestuellement dans les conditions propres à la gymnastique sensorielle : lenteur, participation globale de tout leur corps, intention linéaire, séquençage des déplacements avec un temps de posture entre chacun, répétition de l’ensemble de la figure trois fois pour entraîner, mémoriser et intégrer la forme. Il accompagne chaque mouvement à la fois par son propre mouvement et verbalement en leur donnant des explications pendant toute l’effectuation du geste.
D’autres activités cognitives demandant une mémorisation et un entraînement, répondent très bien à cet apprentissage par le geste sensoriel (Bullinger, 2004 ; Bois, 2006). Intégrer l’orthographe d’un mot, par exemple, demande la mémorisation de l’enchaînement gestuel pour l’écrire. D’ailleurs, de nombreuses personnes disent devoir écrire un mot pour se souvenir de son orthographe !
La création d’un climat propice aux apprentissages
Ces pratiques mobilisent et développent la perception et l’attention. Une étude de Pès montre qu’un travail sur le ressenti corporel améliore l’attention (Pès, 2007, p. 9). Ces pratiques construisent ainsi un climat de classe propice aux apprentissages car elles favorisent le calme et l’écoute. Ainsi, lorsque les élèves sont trop dispersés, l’enseignant peut leur proposer d’exécuter des mouvements simples, pendant quelques minutes, ce qui a pour effet de mobiliser leurs capacités attentionnelles. Ou, pour rétablir le calme en classe, l’enseignant peut utiliser des petits exercices dérivés de l’introspection juste pendant quelques instants, comme l’écoute du silence en fermant les yeux.
Un apprentissage de l’empathie
Après quelques minutes d’introspection ou de gymnastique sensorielle, les tensions et les conflits s’apaisent, les moqueries cessent ce qui est révélateur d’un autre type de relation entre les élèves. De plus, les élèves entraînés à des attitudes d’écoute peuvent répondre à la demande de l’enseignant pour soutenir un élève qui va être interrogé. Cette étude montre que c’est non seulement une aide pour l’enfant interrogé, mais ça constitue pour les autres une éducation à écouter l’autre vraiment, à le soutenir sans jugements. C’est le début d’un apprentissage empathique. Tous les enseignants pourraient utiliser ce protocole inspiré de la pédagogie de la somato-psychopédagogie, car il n’exige pas un rapport au Sensible.
Ces pratiques créent également un premier niveau de relation des élèves avec eux-mêmes ce qui favorise une forme de résonance avec l’enseignant, une réciprocité.
Apports pour la personne de l’enseignant
Ces résultats confirment ce que j’avais constaté dans ma pratique d’enseignante.
Les autres enseignantes interrogées dans cette recherche n’ont pas la même expertise de la somato-psychopédagogie, cependant, elles confient toutes ressentir la nécessité de relancer, d’entretenir leur lien au Sensible par des pratiques régulières. Ainsi, elles ont développé une relation à elles-mêmes utile dans le cadre professionnel. Cette relation à soi ne fonctionne pas de façon binaire par ‘présence/absence’, c’est plutôt une gradation qui va d’un simple rapport attentionnel à ses perceptions corporelles jusqu’à la mise en lien avec le Sensible. Elle peut prendre toutes les nuances, un peu à la manière du réglage du son de la radio.
L’enseignant se transforme progressivement par ses rapports renouvelés avec le Sensible. Cette transformation n’est pas linéaire, des attitudes, des comportements nouveaux apparaissent d’abord ponctuellement dans la sphère professionnelle : « Je me surprenais à pouvoir répondre de manière très douce à un enfant où a priori, je me serais fâchée quatre à cinq ans plus tôt. Donc cela a été des petits moments ponctuels comme ça » ; avant de devenir une nouvelle façon d’être. Parallèlement à ce changement de comportements en profondeur, des changements apparaissent immédiatement dés que l’enseignant retrouve la relation à lui-même ou avec le Sensible.
Les résultats attendus concernent : le mieux-être, la perception, l’empathie pour finalement déboucher sur une autre façon d’interagir globalement avec les élèves et d’être en relation avec eux. Ces deux derniers points sont très importants dans la posture pédagogique.
Mieux-être, moins de stress
L’enseignant se sent plus calme, ancré et posé, avec la sensation d’être habité d’une « espèce de force tranquille qui fait que rien ne peut nous ébranler ou nous atteindre ». Ce sentiment de solidité intérieure et de stabilité procure un état de confiance. Un état de mieux-être s’installe pendant l’activité professionnelle, avec moins de pression et de stress venant du contexte professionnel.
Le simple fait de garder une attention posée sur soi, permet de moins se disperser, de se sentir plus efficaces et surtout de beaucoup moins se fatiguer. Il y a ainsi une sorte de spirale positive, l’attention et la relation à soi se nourrissant mutuellement. Cette relation à soi entraîne une présence à soi renouvelée qui a des répercutions sur la manière de vivre son métier : « Tout va être facile, sans heurt (…) Ce n’est plus la même fonction. »
Meilleure capacité à percevoir l’état des élèves
L’enseignant est capable de capter le niveau d’attention de ses élèves, leur disponibilité ou leur saturation face au travail scolaire. C’est une perception empathique qu’il a développée avec la somato-psychopédagogie et qui répond au attentes de Pujade–Renaud à propos des techniques corporelles : « Il s’agirait moins de fournir par là à l’enseignant un supplément de pouvoir que tout à la fois un instrument d’analyse des situations et une possibilité d’une ouverture de la sensibilité » (Pujade-Renaud, 1983, p. 147). Cette perception se révèle une aide précieuse pour gérer les situations pédagogiques. En effet, l’enseignant apprend à capter l’état de fatigue ou de saturation de ses élèves et, ainsi, sentir s’ils ont besoin de faire une pause ; il peut alors mieux s’ajuster et s’adapter à leurs possibilités en revoyant ou différant ses exigences. Percevoir ainsi quand les capacités de concentration des élèves baissent, permet également d’anticiper des changements d’activité et d’éviter ainsi une agitation dont la régulation exigerait beaucoup d’énergie. L’élève est ainsi écouté, pris en compte, ce qui est essentiel, car, comme le souligne De Koninck, « l’élève doit sentir qu’il est au cœur des préoccupations pédagogiques de son enseignant » (De Koninck, 1996, p. 130). C’est déjà un premier niveau d’écoute et de respect.
Meilleure communication par les mots et l’utilisation du non verbal
L’enseignant peut parler à partir de ce lieu du Sensible, il trouve les mots et les réponses appropriés dans les situations relationnelles difficiles, il est moins réactif émotionnellement, sa voix devient plus douce. Cependant, le ton, l’intensité et le débit de la parole s’ajustent selon les circonstances, la fermeté cohabite avec cette douceur.
Il exprime dans ses attitudes toute sa présence à lui-même pour appuyer son message verbal. Cette part non verbale de la communication démontre mieux que les mots la réceptivité d’une personne, sa présence attentive à l’autre. Ainsi, par sa gestuelle, ses postures, ses attitudes il traduit ses intensions vis-à-vis de l’élève, l’intention de le concerner, « S’il n’ose pas alors tu fais un mouvement vers lui pour qu’il sente que tu es complètement là pour lui », d’accueillir sa réponse, « Je me mets en état de convergence pour accueillir », et met ainsi ses élèves plus en confiance.
Possibilités nouvelles d’interagir avec les élèves
Les possibilités nouvelles d’interagir avec les élèves et l’ambiance de la classe ressortent comme un point fort de l’apport de la somato-psychopédagogie. Les qualités relationnelles et humaines acquises ou déployées par la relation au Sensible interagissent sur l’état des élèves. Les états d’être de l’enseignant ont également une influence ; quand l’enseignant est très calme, les élèves ont de fortes chances de l’être aussi, mais lorsque ceux-ci s’agitent, si l’enseignant est agacé et s’énerve, il amplifie en retour l’agitation dans la classe. En étant en relation au Sensible, l’enseignant gère mieux ses états d’être et ses émotions. Le climat de la classe qu’il construit est comme imprégné de sa proximité avec le Sensible, il ‘maintient naturellement’ les élèves dans un état de calme, de confiance et de sécurité. Ce climat favorise chez les élèves une disponibilité aux apprentissages.
Aussi, en cas de besoin, pour apaiser la classe, l’enseignant peut s’appliquer des petites stratégies lui permettant de retrouver rapidement un premier niveau de relation à soi et s’apaiser lui-même dans le cadre souvent remuant d’une classe. Ce sont de petits protocoles, des ‘raccourcis’ pour revenir à l’intériorité et au Sensible. Ces stratégies, extrêmement simples, consistent à revenir aux perceptions corporelles, par exemple : « Je fais un rassemblement, comme une convergence que je fais en moi » ; ou encore : « Il suffit de me poser, comme si je faisais une mini- introspection : juste les ancrages, me poser puis relâcher. » La difficulté ne réside pas dans la technique de retour à soi mais dans le fait d’y penser. Le travail se situe peut-être davantage au niveau d’une ‘gymnastique attentionnelle’, c’est un entrainement. Ces stratégies ont une action très rapide à la fois sur l’enseignant et ses élèves : « En trente secondes, j’ai un silence de plomb dans la classe. » Elles sont d’autant plus rapides et efficaces qu’elles sont pratiquées fréquemment.
Déploiement des qualités relationnelles
L’enseignant est alors plus disponible pour écouter ses élèves ; il mobilise plus de souplesse, de douceur et de proximité dans la relation avec eux : « Je me mets aussi plus en contact de leur profondeur, de leur sensibilité. » La pratique régulière des outils de la somato-psychopédagogie semble déployer les qualités et compétences humaines non encore actualisées, comme les travaux de G. Lefloch qui avance : « Le rapport au sensible offre l’opportunité au sujet de déployer ses potentialités d’être relationnel » (Lefloch, 2008, p. 193).
Ce déploiement des compétences relationnelles améliore la qualité des relations avec les élèves, qui devient plus profonde, plus intense, plus fluide. Cette modification produit un ‘effet Pygmalion’ positif car les a priori ont moins de poids, l’élève est écouté tel qu’il est. En cela, c’est aussi une aide à l’apprentissage.
Les impacts résultant du cumul
Les impacts ne relèvent pas uniquement des pratiques ; même si elles modifient l’état d’être de l’enseignant et le comportement des élèves, elles ne suffisent pas comme le constate une enseignante : « L’introspection tous les jours, je la pratiquais déjà. Mais ce n’est pas suffisant ! ». Ces impacts résultent probablement de tout le contexte, c’est-à-dire à la fois des pratiques communes vécues en classe, de la relation que l’enseignant garde ou établit avec son intériorité, de la qualité des relations enseignant-élèves. Ces résultats ont émergé à l’analyse des données et montrent bien ces effets sur les élèves et sur le mode d’autorité de l’enseignant.
Impacts sur les élèves
L’impact sur les élèves fait parti des émergences de cette étude, les pratiques en classe, la posture de l’enseignant ainsi que le climat de réciprocité qui en émerge agissent favorablement sur le climat de classe mettant les élèves en confiance, les amènent à une éducation empathique et les initie à une posture de sujet.
Le Sensible procure aux élèves un état de sécurité indispensable
Le climat de classe ainsi construit est sécurisant, il « est contenant d’une autre qualité qui fait que l’élève, va être plus en sécurité, plus en confiance », ce qui est indispensable car apprendre reste un moment de déstabilisation ce dont Mottot fait état : « Ce dont il faut que le professeur se soucie, c’est que l’élève se sente en sécurité pendant ces périodes de déstabilisation. » (Mottot, 2008, p 27). Les élèves, se sentant davantage sécurisés, accèdent avec moins d’entraves aux apprentissages.
Le Sensible a une portée psycho-sociale en classe
Les relations des élèves entre eux changent progressivement en qualité, ils sont moins souvent en conflits, ils sont même bienveillants. Ils développent peu à peu une écoute, un ‘sens de l’autre’ et de son existence, l’entraide en est un exemple : « Une disponibilité à aller aider l’autre, quand il n’arrive pas à faire son travail quand il y en a un qui est train de ranger, l’autre va venir l’aider. » Ils apprennent, sur la demande de l’enseignant, à se mettre au service de l’autre : « Se mettre en empathie avec celui qui va faire et l’aider. » Les pratiques communes où l’attention est guidée sur la perception de soi, sur l’attention à l’autre, favorisent cet apprentissage empathique. Or, celui-ci est un des axes de l’éducation non violente, car, comme le montrent les travaux rapportés par Mottot, le déficit d’empathie est un des facteurs de la violence des élèves : « Au cours des travaux sur les élèves violents, nous avons isolé trois indicateurs prédictifs de la violence (…) un déficit d’empathie. » (Mottot, 2008, p. 27). La socialisation par le Sensible s’effectue beaucoup plus naturellement dans une sorte de compréhension mutuelle, sans devoir être imposée.
L’enseignant, par sa façon d’être avec les élèves, joue une part active dans le développement des leurs compétences relationnelles et sociales ; les travaux de M. Tremblay laissent en effet penser que les élèves apprennent par imitation, ils s’identifient à la façon d’être et de communiquer de l’enseignant : « On peut penser que ce n’est pas au rôle d’enseignant comme tel que les élèves vont vraiment désirer s’identifier, mais plutôt à sa manière globale de communiquer, à sa manière d’être une personne avec les étudiants. » (Tremblay, 1999, p. 145). Les qualités relationnelles que l’enseignant développe, son empathie, sont formatives et formatrices. Ces attitudes se retrouvent dans la relation enseignant-élèves courantes, mais plus encore pendant les intériorisations, où la réciprocité actuante préside aux échanges. Cette action éducative du Sensible est intéressante à l’école.
Éduquer à une posture de sujet, moins soumis à ses émotions
Certains enfants continuent chez eux les pratiques apprises à l’école. Par exemple, ils ont pris l’habitude de faire une introspection rapide pour se calmer quand ils ont du mal à s’endormir. D’autres s’en servent pour revenir à eux et se calmer au lieu d’entrer en conflit avec leur entourage. Faire ainsi est remarquable, l’enfant est entrainé à une forme de conscience témoin qui lui permet de prendre acte de son état et de mettre en œuvre une pratique adaptée alors même qu’il est sous l’emprise d’une émotion !
Ainsi savoir écouter son intériorité et la valider, permet à l’élève de se positionner en tant que sujet et c’est cette compétence qui est transférable dans d’autres contextes. L’enfant sujet devient alors capable de modifier son comportement social et relationnel. Cette fonction éducative du Sensible agit même de façon rapide puisque ces élèves n’ont pratiqué que quelques minutes par jour pendant quelques mois.
Un nouveau mode d’autorité en classe
Le cumul des pratiques du Sensible et des postures et attitudes de l’enseignant induisent un nouveau mode d’autorité avec des caractéristiques propres : anticipation, action indirecte sur le comportement des élèves, accompagnement à un autre comportement avec participation active des élèves à l’ambiance de la classe. Cet impact des outils de la somato-psychopédagogie est très prometteur pour l’enseignant et pour l’école elle-même.
Une anticipation
L’enseignant peut percevoir l’état de ses élèves ce qui lui permet d’anticiper les moments d’agitation, évitant ainsi que le climat de classe ne se détériore, ce qui demanderait ensuite plus d’efforts et de contrainte pour ‘rattraper’ la situation.
Une action du Sensible sur le comportement des élèves
Avec sa présence à lui-même, ses attitudes, ses stratégies, et par les pratiques qu’il propose en classe, l’enseignant crée un climat de classe qui a un effet « contenant » et apaisant sur les élèves : « C’est comme si au lieu du contrôle, il y avait un volume et que c’est ce volume qui contenait. » Cette action se substitue à l’exercice d’une autorité, le climat ainsi établi, semble être un cadre qui amène au respect de soi et des autres.
L’accompagnement à un autre comportement
Le comportement scolaire des élèves se régule sans « rapport de force ». Ce rapport de force est, en général, vécu comme une violence de l’école sur l’enfant. Ainsi, l’enseignant accompagne ses élèves à devenir plus disponibles et à mieux recruter leurs capacités de concentration, de mémorisation et d’apprentissage. Au lieu de réprimander les actes agressifs, il peut proposer des exercices afin de mettre les élèves impulsifs et réactifs au contact d’états d’être nouveaux qui désamorcent la violence.
Ce mode accompagnant, que l’on peut rapprocher d’un nouveau mode d’autorité, un « troisième type d’autorité » (Reynaud, 2007, § 63), est non seulement favorable à l’élève mais il rejaillit également sur la manière dont l’enseignant vit son métier : de manière plus facile, moins fatigante. Cette transformation de l’autorité répond aux difficultés que rencontrent les enseignants débutants.
Une participation des élèves
En proposant aux élèves d’écouter le silence ou même d’écouter le bruit qu’ils font, « automatiquement, puisqu’ils écoutent, ils se taisent », l’enseignant fait ainsi une demande de silence détournée qui « est un tout autre voyage pédagogique ». Les élèves ne vivent plus le silence comme une contrainte mais comme une « action positive », rejoignant ainsi les recommandations de Burnett : « Dans les écoles, le silence est associé au pouvoir, le professeur demande aux élèves de se taire. Ce qu’il faut, c’est faire comprendre que le silence est une activité positive à savourer. » (Burnett, 2010). L’enseignant place ainsi les élèves en tant que sujets impliqués et concernés par le maintien des conditions de travail au lieu d’être soumis à son autorité.
Conclusion
Ce travail de recherche m’a donné l’occasion prendre la mesure des transferts possibles et de leurs effets autant sur le climat de classe que sur les apprentissages, sur les élèves que sur l’enseignant lui-même, sur les relations enseignant –élèves que sur celles entre élèves.
La connaissance de ces résultats a amélioré ma pratique de classe et il serait très intéressant de faire profiter de ce savoir-faire à d’autres enseignants, sous une forme qui reste à déterminer.