Faire de la recherche avec et depuis son corps Sensible : dix ans de recherches en psychopédagogie perceptive

page de couverture du livre de M. Quidu
Auteur(s) :

Eve Berger - Professeure auxiliaire invitée de l’UFP, professeure assiciée à l'UQAR, docteure en sciences de l'éducation

Professeure associée de l’Université du Québec à Rimouski (UQAR)

Didier Austry - Professeur associé invité à l’Université Fernando Pessoa, docteur en sciences

Docteur en sciences, coach en écriture individuelle et collaborative

Anne Lieutaud - Professeur auxilliaire invitée de l'UFP, Docteure en sciences sociales

PhD Sciences sociales option psychopédagogie, chercheure et consultante indépendante

Cet article est également publié dans Quidu, M., 2014, Le corps du savant dans la recherche scientifique: approches épistémologiques. Lyon: ENS Éditions (Collection sociétés-espaces-temps)1

Faire de la recherche avec son corps, de manière assumée et épistémologiquement située ; mener son activité de chercheur en affirmant dans les procédures de recherche la place de son propre corps, non seulement comme ancrage évident de son incarnation et indiscutable outil de l’activité, mais aussi comme appui actif et conscientisé de la production du savoir ; plus encore, mener ses recherches depuis son corps, dans un rapport ouvert et créateur optimisant l’accès au sens… Voilà les principes qui ont présidé en juin 2004 à la création du Cerap2 – Centre d’Étude et de Recherche Appliquée en Psychopédagogie Perceptive –, dirigé par le Pr. D. Bois3.

Au terme de cette (presque) première décennie de travaux, notre contribution à cet ouvrage est pour nous, chercheurs du Cerap, l’occasion d’opérer une synthèse des résultats, en termes épistémologiques et méthodologiques, d’une pédagogie universitaire qui place délibérément et officiellement le rapport au corps du chercheur au centre de la formation à la recherche, comme de l’activité de recherche elle-même. Nous avons ainsi inventorié les préoccupations, regards, instruments, compétences ou encore modalités de compréhension spécifiques que ces chercheurs ont développés en lien avec leur corps. Ce qu’il en ressort est riche, mais un thème qui traverse et relie toutes nos observations nous a semblé crucial : la capacité de ces chercheurs à s’ouvrir à l’émergence d’un sens neuf (quelle que soit la nature de ce sens : sensation, sentiment, compréhension, idée…) – et donc à l’inconnu, à l’inattendu, à l’imprévu – en s’appuyant explicitement et méthodiquement sur la perception qu’ils développent de leur corps vivant. L’importance d’une telle capacité, qui renvoie directement à la dimension de création dans la recherche, nous a convaincus d’en faire le fil conducteur de notre présentation.

Bien des psychologues des sciences estiment que la propension à générer des analogies insolites et des images riches est indispensable à toute forme de créativité, et que cette compétence est un don généreux que la nature réserve à une élite chanceuse (Simonton, 2004, p. 7). Nos propres observations laissent pourtant penser qu’il y a des dimensions éducables à la créativité, des facultés qui peuvent s’apprendre ; il existe une façon de se former, sinon à être créatif, du moins à adopter une posture d’ouverture à l’émergence de la nouveauté, voire à créer les conditions de cette émergence. Nous verrons comment certains des chercheurs du Cerap s’appuient concrètement sur leur « pratique du rapport au corps » pour mettre en œuvre cette posture et ces compétences, dont l’originalité est d’être tout autant et dans un même mouvement corporelles et intellectuelles, l’indissociabilité de ces deux versants signant une identité épistémique et méthodologique singulière. Notre propos ici est de tenter de restituer cette originalité. Mais auparavant, prenons le temps de comprendre comment un laboratoire en vient à se donner une telle orientation scientifique.

Genèse d’une identité épistémologique : quand des professionnels du corps Sensible se forment à la recherche

Le Cerap fut créé en 2004 pour offrir un espace de recherche académique à un champ de réflexion qui était né de trois décennies de formation professionnelle en fasciathérapie4 et somato-psychopédagogie5. Ces approches, nées sous l’impulsion de D. Bois respectivement au début des années 80 et au début des années 2000, ont pour point commun de faire reposer leur méthodologie d’accompagnement sur une pédagogie originale de la sensibilité corporelle. Cette pédagogie, appliquée tout autant au cours de la formation des praticiens que dans le processus qu’ils proposeront ensuite à leur public, vise l’enrichissement des capacités de perception des personnes. Via des mises en situation spécifiques associant toucher, mouvement et parole, les personnes sont invitées à entrer en relation avec leur corps selon des modalités inhabituelles, qui leur font rencontrer des sensations plus fines et plus profondes que celles offertes par l’usage quotidien du corps. Ce vécu corporel riche de nuances nouvelles, D. Bois l’a appelé « corps Sensible » (Bois, 2001, 2006, 2007 ; Bois, Humpich, 2006 ; Bois, Austry, 2007 ; Berger, Bois, 2008), soulignant ainsi la capacité humaine d’actualiser et de déployer un potentiel de sensibilité corporelle non encore exploré.

Les perceptions liées à l’expérience du corps Sensible sont généralement décrites comme des changements d’état de la matière corporelle, qui passe par exemple de la tension au relâchement, de la densité à la malléabilité, de l’opacité à la perméabilité, de la restriction à l’‘étalement’ intérieur… ; ou comme des sensations de grandissements ou d’étalement ‘de l’intérieur’ ; ou encore comme des ‘mouvements sans déplacement’ animant l’intériorité du corps, pouvant prendre l’aspects de ‘vagues’, lentes et rythmiques. Le « Sensible » ne se résume cependant pas à ces phénomènes et sensations, mais inclut également la modalité perceptive capable de nous informer de leur existence. Cette dernière ne relève pas des sens habituellement décrits, il s’agit de l’éveil d’une autre faculté de sentir, qui ouvre à un rapport à son corps plus intime, plus ressenti, plus éprouvé. La quantité de sensations disponibles, mais surtout leur nature et leur qualité changent : c’est un autre champ phénoménal spécifique qui apparaît à sa conscience, et qui comporte son propre univers de sens.

Les professionnels qui se sont formés à ces approches6 exercent pour la plupart dans les domaines de la santé, de l’éducation, de la formation ou des arts. Ils ont découvert que les rythmes, orientations ou amplitudes des mouvements internes du corps participaient des modalités par lesquelles l’humain est affecté par ses expériences diverses ; que ces mouvements internes traduisaient aussi une capacité d’y répondre, d’y réagir, d’y participer ; de générer même un état intérieur autonome des circonstances extérieures ou affectives de la vie, ouvrant ainsi la voie à des ressources cognitives, relationnelles et comportementales différentes de leur mode réactionnel habituel.

À la fin des années 90, comprendre mieux les implications et les enjeux professionnels, psychologiques, voire existentiels de cet « enrichissement perceptivo-cognitif » (Bois, 2007), devint progressivement pour notre équipe une question scientifique : que pouvions-nous dire, au-delà des observations empiriques de terrain, des processus mis en jeu par l’expérience du corps Sensible ? Que révélaient-ils, par exemple, quant à l’éducabilité de la perception, la plasticité des représentations, ou encore les modalités possibles de l’accès au sens ? C’est dans ce contexte que dès 2001 furent créés au Portugal7 les premiers programmes universitaires de 3ème cycle et, avec eux, les premiers travaux de recherche en psychopédagogie perceptive8. Depuis, l’expérience du corps Sensible est devenue le centre d’un vaste programme de recherches9 qui étudie ses dimensions perceptives, affectives, cognitives et relationnelles, ainsi que ses applications professionnelles et sociales.

Les modalités et effets de l’implication du corps des chercheurs dans la conduite de la recherche sont aujourd’hui mieux connus, grâce au travail de réflexivité et d’explicitation mené par certains d’entre eux autour de ces questions (Berger, 2009a ; Austry, Berger, 2009 ; Berger, Austry, 2011 ; Lieutaud, 2007). La question est ici la suivante : en quoi et comment l’expertise du rapport au corps Sensible est-elle à la fois un appui, un lieu d’apprentissage et un outil pour aider un chercheur à développer sa capacité à s’ouvrir à l’émergence, voire un moyen de la « convoquer » (Bois, 2007) dans sa pratique de la recherche ?

Les éléments de réponse que nous allons développer ne prennent cependant tout leur sens que dans un champ plus large de questionnements autour de la place du corps du chercheur dans la recherche, notamment en recherche qualitative puisque c’est là que s’inscrit la quasi-totalité des recherches menées au Cerap, s’appuyant résolument sur le caractère référentiel de l’expérience humaine.

Catégorisation des statuts, positions et fonctions du corps dans la recherche qualitative

Notre posture et notre expertise de chercheurs du Sensible nous amènent à poser un regard spécifique sur la place du corps dans la recherche telle qu’elle est entrevue dans les controverses habituelles. Cette section est consacrée à une catégorisation des statuts et fonctions possibles du corps dans la recherche à partir de cette posture, pour mettre en contraste nos apports et originalités.

Il y a d’abord pour nous une évidence, presque naïve, que tout chercheur a bien un corps et que ce corps, son corps, est un partenaire incontournable de la recherche, comme nous venons de l’esquisser. Pourtant, si le corps du chercheur fait question, c’est parce qu’il est diversement invoqué, dans le quotidien courant de la recherche, en tant que support, vecteur, parfois en tant que handicap ou limitation ; mais aussi, de façon plus élaborée, les scientifiques interrogés par Csíkszentmihályi et son équipe (1996) évoquent-ils cette sensation d’être portés par la justesse d’un sens nouveau, parlant plus ou moins explicitement de leurs sensations corporelles. Le renvoi aux sens corporels est récurrent et se trouve confirmé par les études que nous avons pu mener auprès de nos praticiens spécialistes de la perception du corps, lorsqu’ils deviennent chercheurs.

Pour déterminer la place ou l’absence de ce corps dans la recherche qualitative, une façon de procéder est de parcourir les grandes étapes du processus de la recherche – la définition fine de la question de recherche et le contact avec la littérature ; la phase de collecte des données, qui repose sur une familiarité avec et une plongée dans son terrain de recherche ; la phase d’analyse de ces données, descriptive ou interprétative ; enfin, la phase de restitution, par l’écriture – pour y chercher quelle place, ou fonction, le corps prend ou non au cours de ces quatre phases. L’enquête peut se faire à partir de la littérature sur la recherche de terrain, parce que cette question autour de la place du corps est devenue assez présente à la fin des années 80 (Favret Saada, 1981 ; Schwartz, 1993 ; Cefaï, 2003 ; Olivier de Sardan, 2000 ; Pinçon & Pinçon-Chariot, 1997).

C’est très certainement dans la phase de terrain que la question du corps a été le plus souvent abordée. Cela semble naturel puisque, dans cette phase, le chercheur est bien présent en tant que personne vivante dans le milieu qu’il veut étudier… Les questions qui reviennent alors tournent autour des effets, positifs ou négatifs, de l’immersion et de l’implication sur le chercheur lui-même (Cefaï, 2003, 2006 ; Olivier de Sardan, 2000), dans ses dimensions affectives ou émotionnelles par exemple (Laé, 2002 ; Memmi & Arduin 1999 ; Payet, Rostaing & Giuliani, 2010) ou de l’influence négative de cette immersion sur la qualité des données recueillies (Olivier de Sardan, 2000 ; Schwartz, 1993).

Dans la phase d’analyse, où le chercheur est très souvent face à lui-même, la mise en jeu du corps semble peu évoquée. En revanche, c’est là que les discussions autour de la subjectivité comme obstacle/aide dans l’approche et l’interprétation des données sont les plus importantes. Nous pensons par exemple à la discussion de Paillé sur les qualités réflexives et les ressources singulières sur lesquelles le chercheur peut s’appuyer (Paillé, 2006b) ou à la position de Bourdieu sur l’objectivation de la subjectivité du chercheur (Bourdieu, 2003).

Enfin, encore moins étudiée, nous semble-t-il, est la place du corps dans la dernière phase de restitution et d’écriture. Nous pouvons évoquer les travaux de Sansot (1985, 1987) ou les recherches de Todres (2007) sur la nécessaire mobilisation de la sensibilité du chercheur, en particulier corporelle, qui peut ouvrir au chercheur de nouvelles perspectives dans son écriture.

On pourrait aussi évoquer quelques travaux concernant les phases plus transversales de créativité, comme la problématisation de la question de recherche ou les étapes d’analyse, qui donnent au corps une place centrale. Par exemple, pour Moustakas, « la question de recherche et la méthodologie découlent de phénomènes internes, perceptifs, signifiants et inspirants » (1990, p. 11) ; Rogers, de son côté, évoque « l’immersion totale et subjective » du chercheur qui « laisse son organisme réagir à sa place » (1998, p. 157).

Ces premières analyses suggèrent une catégorisation naturelle des positions du corps suivant une gamme allant de la moindre place à la plus grande place qu’il peut jouer dans le processus de recherche : le corps obstacle, le corps médium, le corps partenaire, enfin le corps sujet. Cette catégorisation rappelle l’échelle des positions que peut adopter un chercheur de terrain, proposé par D. Cefaï : « Le partage entre pur observateur, observateur comme participant, participant comme observateur, pur participant, se déploie selon une échelle du moins au plus ‘impliqué’, ou du plus au moins ‘détaché’. » (2006, p. 43) Même si les frontières entre certaines de ces catégories peuvent paraître floues, la propriété significative de chaque catégorie pointe cependant un engagement ou un processus spécifique.

Une première remarque est que notre catégorisation ne fait pas mention d’un point zéro qui marquerait l’absence ou le refus du tout corps, comme présenté par M. Quidu à propos de Bachelard : « La corporéité du savant étant à l’origine d’erreurs et de préjugés, il convient de rompre avec elle dans un procès de spiritualisation. La vérité comme ‘repentir intellectuel’ s’apparente alors à une dématérialisation charnelle. » (Quidu, 2011, p. 108) Nous pensons qu’il n’est pas nécessaire de discuter ici un point de vue tellement radical qu’il nous semble esquiver le problème.

Première catégorie : le corps obstacle

Cette première catégorie est la seule à marquer de manière négative le rôle du corps dans la recherche. Elle cerne l’idée qui veut que le chercheur de terrain ne soit pas tant un être désincarné qu’il ne semble « gêné » par son corps, par tout ce qu’il véhicule comme affects, émotions, habitus, représentations (un exemple, Memmi & Arduin, 1999)

Elle vise tout un courant qui, nonobstant la volonté de prendre en compte le corps du chercheur, voit celui-ci comme devant être inspecté, dévoilé, réfléchi, par un regard de biais, en quelque sorte, pour pointer les effets négatifs non prévus, les implicites non reconnus, conséquence de sa mise en jeu dans la pratique de terrain. Historiquement, ce courant a pris de l’ampleur avec les travaux pionniers de Bourdieu (1972, 1979) et sa notion d’habitus.

L’intérêt du concept de l’habitus est de voir le corps non pas comme une machine, ou un organisme biologique, mais comme à double face (Héran, 1987) : porteur d’un sens pratique (idée d’intelligence pré-reflexive et d’automatisme) et incarnation d’un pouvoir social dominant, « l’histoire à l’état incorporé, devenue habitus » (Bourdieu cité par Memmi, 2009, p. 77). Le fait d’envisager le corps comme « corps social » conduit Bourdieu à proposer une posture réflexive méthodologique pour le chercheur, l’objectivation participante (Bourdieu, 2003). Ce que Bourdieu vise est la mise à jour, l’objectivation, des enjeux symboliques et de l’héritage social, dans lesquels le chercheur est pris. L’objectif est alors, non pas tant d’aider le chercheur pour une meilleure efficacité sur le terrain, que de l’éclairer plutôt dans son exploration théorique en lui offrant même de se réconcilier avec lui-même ; Bourdieu va jusqu’à évoquer une conversion de toute la personne (Ibid., p. 56).

Nous comprenons bien l’intérêt de ce type de « travail sur soi » pour le chercheur de terrain, pour avoir nous-mêmes bien souvent côtoyé ce genre de confrontation/transformation délicate du chercheur au contact de sa recherche (Lieutaud, 2012). Mais, reste le fait que, chez Bourdieu, même si le corps est à la fois support d’habitudes motrices et incarnation d’une domination sociale, il n’est pas pris en compte pour lui-même : « Le corps, reflet et instrument de la domination, n’est donc ni capable de produire des effets sui generis, ni un lieu crédible de travail sur soi, ni une ressource appropriable. » (Memmi, 2009, p. 86).

Nous pourrions dire alors que voir le corps comme un obstacle est l’obstacle même qui empêche d’aborder le corps dans sa réalité propre. Et cette première réalité, comme elle apparaît dans la littérature, est de saisir le corps comme support, médium, ancrage de notre rapport au monde et aux autres et donc en particulier de notre rapport au terrain de recherche.

Deuxième catégorie : le corps médium

La deuxième catégorie cerne les recherches où le corps commence à jouer un rôle, mais un rôle passif. Les travaux qui décrivent ce rôle s’appuient sur les grandes recherches de terrain, dans la mouvance de l’école de Chicago, comme la pénétration par Sanchez-Jankowski de gang de rues ou l’étude des clubs de jazz par Becker, parmi les plus célèbres. Dans la littérature sociologique française, on peut citer notamment Wacquant (2003) qui, pour mener dans recherche dans un club de boxeur, s’est astreint à devenir lui-même pratiquant.

Dans sa postface, très exhaustive, au recueil d’articles sur L’enquête de terrain, Cefaï (2003) s’est longuement attaché à décortiquer les implications de cette posture, en termes de compétences mobilisées par le chercheur. La première est la perception, comme organe sensoriel, mais aussi comprise comme ouverture au terrain, et comme finesse d’écoute. Une compétence que Laé invoque de même : « La question se pose alors de savoir s’il ne faut pas valider entre la parole et l’observation, ce sens que l’on peut appeler la perception. » (Laé, 2002, p. 253)

Pour Cefaï, la perception est déjà plus qu’organe des sens, elle est polymorphe, imprégnation au monde, rapport personnel : « (…) des tonalités affectives, des postures expressives ou des rythmes kinésiques, des intervalles proxémiques ou des timbres sonores (…). » (2006, p. 53). On sent ici toute l’influence d’un arrière-plan philosophique inspiré de Merleau-Ponty. La perception devient le premier médium du corps entre le chercheur et son terrain, mais cette perception comme compétence est toujours difficile à maitriser : « (…) Il (le chercheur) doit recourir aux savoir-voir (…), aux savoir-dire et aux savoir-faire qui viennent avec le métier, qu’aucune technologie ou méthodologie ne peut transmettre formellement, qui ne s’enseignent que par l’exemple et ne s’apprennent qu’en exercice. » (Cefaï, 2003, p. 518). Cette insistance sur les « savoirs… » nous montre que la confrontation avec le terrain n’est pas seulement intellectuelle, mobilisant des représentations ou des changements de représentations, mais qu’elle est mobilisation en acte du corps, dans ses dimensions pratiques et sensori-motrices, une prise par corps du terrain.

Le premier but de cette implication est « l’imbibition » (Cefaï, 2006) par le chercheur de sa recherche : « Le corps est le médium du travail de terrain. L’ethnographie se démarque d’une science qui ‘manipule les choses et renonce à les habiter’ : l’ethnographe, comme le peintre, ‘apporte son corps’ (Merleau-Ponty, 1964, p. 9). » (Cefaï, 2006, p. 50). Renahy, qui a travaillé deux ans en usine pour sa recherche, souligne l’importance de cet apprentissage : « La découverte corporelle du quotidien de mes enquêtés n’avait pas pour but de faire de moi un ouvrier, mais de mieux percevoir la réalité pratique de la vie ouvrière, et ainsi de passer d’un savoir intellectuel à un savoir éprouvé (…). » (Renahy & Sorignet, 2006, p. 25)

Ensuite, le deuxième objectif est l’acceptation du chercheur par le milieu où il enquête. Renahy le faisait remarquer, de même que Sorignet, dans le même article, à propos de sa recherche dans une école de danse : « Le temps de l’audition, le processus de création, le déroulement d’un spectacle ne peuvent être compris qu’en mettant en exergue les ressorts de ma présence singulière en interaction avec les autres danseurs. Le partage par le biais de l’expérience corporelle du quotidien des danseurs enquêtés a progressivement banalisé ma présence. » (Ibid., p. 28)

Ainsi, le corps du chercheur est donc médium, médium dans son rapport pratique au monde, mais aussi dans son rapport aux enquêtés. La même imprégnation corporelle dans l’action se comprend aussi comme imprégnation inter-corporelle, avant d’être même inter-subjective. Cette double implication semble engendrer un autre effet, essentiel pour la suite de la recherche. L’engagement du chercheur sur son terrain, auprès des enquêtés, participe de l’émergence de phénomènes non forcément visibles, comme l’avance Schwartz : « Mais l’enquête déclenche aussi des ‘paroles privées’, elle peut ouvrir un accès à la dimension de l’intime et faire émerger des régions subjectives de l’expérience vécue, par où l’on peut se frayer un chemin pour tenter de comprendre le rapport des individus à leur vie et à ce qu’ils y mettent en jeu. » (1993, p. 266). On retrouve le même argument chez Cefaï : « Mon corps est cet organe d’exploration du monde, qui (…) provoque l’émergence de phénomènes d’interaction qui le laisse perplexe. » (2003, p. 545).

Schwartz suggère donc qu’il y a un lien entre implication et émergence, entre imprégnation et compréhension. En prolongeant ce point, il apparaît que le corps n’est pas seulement médium de compréhension, mais que sa mise en jeu offre au chercheur un nouveau partenaire, un partenaire dans la mise en sens. Le corps n’est plus seulement un médium, mais devient acteur, partenaire de la recherche, parce que, lui-même, porteur de sens. Ceci débouche sur notre troisième catégorie.

Troisième catégorie : le corps sensible ou le corps partenaire

C’est encore la recherche de terrain qui nous sert d’exploration de ce troisième niveau d’engagement du corps. Le corps devient partenaire du chercheur quand sa pleine sensibilité est mobilisée, quand il commence à être présent au chercheur comme organe vivant et ressentant et pas seulement comme support de présence ou support de relation au monde et aux autres.

C’est encore Cefaï qui nous met sur la voie quand il décrit l’importance du ressenti comme arrière-scène de la perception du chercheur : « Elle est autant de l’ordre du ressentir que du sentir. Elle se joue au travers d’un engagement émotionnel dans les situations, qui fait passer par des épreuves de sens, par les phases d’angoisse et d’enthousiasme initiales, par les crises de désarroi et de désespoir et par les moments de bonheur et de plaisir qui scandent le terrain. » (Cefaï, 2003, p. 537). La perception n’est plus seulement prise d’informations, aussi subtiles soient-elles, mais elle emporte aussi avec elle toute une vie « ressentante » et « pensante » qui bouscule ou mobilise le chercheur. Le corps est partie prenante dans toutes les interactions entre chercheur et enquêtés, entre chercheur et terrain ; il est aussi partenaire en ce qu’il possède ou aide à posséder tout un « langage » de terrain, langage silencieux mais bien présent. Cefaï parle ainsi « de grammaires des situations et des interactions auxquelles se conforme l’engagement expérientiel et pragmatique des acteurs. » (Ibid., p. 538).

Laé parle de manière poétique de cette emprise du monde sensible sur le chercheur et du chercheur sur le monde, et leur lien profond avec la naissance du sens : « Des choses arrivent – silences, regards, poses, saut de mots, replis –, autant d’éléments peu formels qui surviennent sans ordre. Toute enquête est chargée de degrés d’affection, une vision du proche sous un mode perceptif, une façon de connaître immanente aux perceptions. L’enquêteur se trouve porté par des émotions – surprises, chocs, affects –, qui exercent une force constante dans l’intelligibilité qui suivra. » (Laé, 2002, p. 253)

Cefaï parle d’accord entre aisthesis et pathos, accord qui nous amène aux rives du sens : « L’aisthesis et le pathos ne s’éprouvent pas seulement dans l’accord du sentir et du ressentir, la Stimmung qui, dans l’être-affecté par une atmosphère ou une ambiance, inaugure le processus de compréhension de l’enquête. » (2006, p. 54)

On pourrait évoquer ici les recherches de P. Sansot (1986, 1995) et son approche sensible en recherche : son attention au corps, à la gestuelle, aux petits gestes du quotidien mais aussi à tout ce qui affecte, tout ce qui fait de la vie quotidienne et de la culture populaire une vie sensible. Le sensible est, pour Sansot, ce niveau où « se produit la conjonction la plus élémentaire et la plus énigmatique (la plus admirable) du sens des sens », « sphère de signification (…) jamais extraite des empreintes sensorielles » (Sansot, 1986, cité par Le Pogam, 1995, para 26). Ses travaux sont aussi intéressants en ce qu’ils prônent une unité entre la posture de recherche, un certain regard sur le monde, le style de recherches entreprises et l’écriture même de cette recherche. C’est l’un des exemples qui montre que la place du corps n’est pas seulement à prendre dans la pratique de terrain mais à tisser le long des autres étapes du processus de recherche. La sensibilité, le corps sensible, est pour Sansot ce qui nourrit la pensée même et qui imprègne tout autant son écriture. Le Pogam parle à son propos d’écriture émotionnelle et d’écriture poétique : « Une écriture dont le style établit cette alliance difficile entre l’expression poétique et le regard concret sur les êtres et les choses. » (Le Pogam, 1995, para 36).

Sentir et penser, sensible et sens, chiasmes phénoménologiques, on voit bien que le corps peut-être mobilisé dans des capacités presque inhabituelles et pourtant essentielles au chercheur. En conclusion, comment ne pas évoquer à cette occasion, comme le fait Cefaï, le Merleau-Ponty du Visible et l’Invisible, pour qui le corps du chercheur devient chair, chair qui porte le monde en elle, mais chair aussi porteuse de sens : « Mais l’enquêteur comprend aussi en explorant les ‘plis du monde’, en se livrant à une ‘palpation charnelle’ où son corps de chair, comme organe du se mouvoir, du sentir et du ressentir, déploie des mondes de spatialité et de temporalité incarnés, rencontre d’autres corps de chair dans des rapports de ‘chiasme’ ou d’’entrelacs’, au sens de Merleau-Ponty, et aperçoit à l’horizon des séries de profils qui se spatialisent et se temporalisent à ses entours, des configurations d’expérience des enquêtés inédites, lestées de sens practico-sensible. » (Cefaï, 2003, p. 548)

Mais rien ne nous dit comment ces attitudes, ce ressenti, cette faculté de sentir, peuvent être mobilisés dans la pratique de recherche. Cefaï nous rappelle « qu’aucune technologie ou méthodologie ne peut (les) transmettre formellement », qu’ils ne s’enseignent « que par l’exemple et ne s’apprennent qu’en exercice » (Ibid., p. 518) et fait aussi remarquer que cette sensibilité « ne s’acquiert sur un mode charnel qu’au prix d’une longue fréquentation des sites » (Ibid., p. 537).

Cette manière d’envisager le corps comme « sujet »10 est souvent porté par un arrière-plan phénoménologique et ses notions de corps propre ou de corps chair (Husserl, 1982, 2001 ; Merleau-Ponty, 1965 ; Depraz, 2001), lié au courant dit de la phénoménologie pratique (Depraz, 2004 ; Depraz, Varela, Vermersch, 2003 ; Spiegelberg, 1992 ; Van Manen, 2007 ; Vermersch, 2012), mais pas uniquement. Dans la mouvance proche, il y aurait également à prendre en compte les travaux de Varela sur la neurophénoménologie, qui associent expérience en première personne et étude en troisième personne (Varela, 1996 ; Varela & Shear, 1999 ; Petitmengin, 2005) et où le corps du chercheur est mis au premier plan (Quidu, 2011, p. 121 et suivantes).

Il existe aussi tout un courant ancré dans le monde du soin, qui allie recherche qualitative et engagement du chercheur. Ce courant s’appuie cette fois sur les théories du care (Paperman, Laugier, 2005 ; Tronto, 2009) et sur une attention privilégiée au corps du chercheur (Finlay, 2005 ; Todres, Galvin & Dahlberg, 2007) : le prendre soin, un prendre soin de l’autre, qu’il soit malade et/ou enquêté, réclame en effet du même coup un prendre soin de soi. Nous présentons brièvement les travaux de L. Todres (2000, 2005, 2007) comme exemplaires de ce type de recherche.

Todres a construit sa méthodologie de recherche à partir de son expérience du Focusing (Gendlin, 1997, 2006), une pratique d’accompagnement de la personne issue des travaux de Rogers et les prolongeant dans une pratique corporelle. Todres décrit comment cette pratique est à la fois un outil dans ces entretiens de terrain, comme critère et maintien de la qualité de l’entretien (Todres, 2007, chap. 3) et un appui dans son travail d’analyse et d’interprétation, comme critère de justesse (et non pas de véridicité).

Ce que Gendlin appelle le « sens corporel », ou « ressenti » (felt sense), rappelle le chiasme sensible/sens de Merleau-Ponty, mais l’accent est mis non pas sur la perception, mais sur un ressenti venant du corps. Pour Gendlin, il s’agit d’un sens par lequel le corps, au-delà de ce qu’il capte par les cinq sens, reflète la situation dans son ensemble : « Votre sens corporel constitue la situation où vous vous trouvez. Il ne s’agit pas d’un objet perçu devant ou même derrière vous. Le sens corporel est la situation, une interaction en soi, et non un mélange de deux choses. » (Gendlin, 2008, p. 43). Ce lien, ce felt sense est la source d’une compréhension renouvelée de la situation courante. La démarche de création de sens par le focusing investit le corps vivant, l’habite profondément, dans une invitation à pénétrer l’expérience que l’on peut en faire, dans un rapport au corps vivant.

Todres s’en sert comme support dans les différentes phases de la recherche, de l’analyse à l’écriture (Todres, 2007, chap. 2). L’appui sur le « felt sense » lui sert de critère de justesse ou de réajustement, ou encore de source de nouvelles idées, de sortes d’intuitions où aller chercher, qu’elle décrit ainsi dans une suite d’étapes qui constitue un protocole d’accès au sens.

Ce processus de compréhension basé sur le « sens corporel » nous intéresse car il montre une façon d’aborder le corps « vivant » dans le processus de la recherche. Todres en tire la leçon : « Le corps vivant apporte l’intimité nécessaire à la production de connaissance comme pratique signifiante. Mise en mots et incarnation sont ainsi les éléments d’une procédure dans laquelle leur mise en action produit plus de possibilités élaborées de connaissance. » (Ibid., p. 39 ; notre traduction). Cependant, dans la procédure décrite, le corps semble servir de support à la mise en sens, de paysage d’arrière-plan, mais sans être encore interrogé pour lui-même.

Le corps Sensible, que nous avons esquissé en première partie, semble prolonger cette évolution des places du corps dans la recherche par une cinquième catégorie. Dans le cadre de cet article, nous avons choisi de cibler l’approche sur ce qui fait peut-être sa plus grande originalité : l’émergence du sens neuf, tel que les chercheurs formés dans les cursus de psychopédagogie perceptive l’expérimentent.

Qu’un sens nouveau et éclairant émerge à partir des perceptions corporelles constituant le corps Sensible est un phénomène bien connu que vivent les personnes accompagnées en pédagogie perceptive, et plusieurs études pointent sur cette dimension du vécu des participants (Bois, 2007 ; Large, 2007 ; Bertrand, 2010 ; Florenson, 2010 ; Bourhis, 2012 ; Marchand, 2012 ; De Letter-Guillaume, 2012 ; Dubois, 2102). Les praticiens experts de cette pratique qui deviennent chercheurs connaissent donc ce processus d’émergence sur un plan personnel, pour l’avoir vécu et le vivre encore régulièrement. Pour autant, peu de travaux ont à ce jour exploré la dynamique du rapport au corps Sensible du chercheur, telle qu’elle s’exprime précisément au sein même de son activité de recherche. Citons la recherche d’E. Berger (2009a), qui a étudié une dynamique de sens émergent dans une posture radicalement en première personne, c’est-à-dire qui prend sa source dans le chercheur qui s’est pris lui-même pour objet d’étude. Même si le contenu du sens émergent était ici personnel, et non pas une connaissance scientifique, l’auteure y a particulièrement explicité et modélisé la manière dont elle s’était appuyée sur son corps Sensible pour habiter les dimensions épistémologiques et méthodologiques de son travail de recherche. Plus directement centrée sur le processus de recherche tel que vécu par les chercheurs du Sensible, A. Lieutaud (2008, 2012 ; Lieutaud, Ouellet, sous presse), explore spécifiquement la dynamique perceptive et cognitive très particulière du chercheur, dans sa vocation de produire de la connaissance nouvelle. C’est l’ensemble de ces travaux qui alimente la suite de notre texte.

L’émergence du sens neuf au contact du corps Sensible

Au contact du corps Sensible, un premier niveau de sens émergent se trouve dans les sensations elles-mêmes : l’univers du corps Sensible est en effet un univers expérientiel particulièrement vivant et donc porteur de sens en tant que tel, en tant qu’il est source d’un éprouvé de soi changeant et donc à réactualiser en permanence, informant le chercheur à chaque instant de ses états internes, de ses réactions, de ses résonances face à ce qu’il rencontre au cours de sa recherche.

Mais l’expérience d’émergence de sens neuf dont nous parlons va plus loin : elle recouvre le surgissement et la saisie d’une information nouvelle qui vient surprendre la structure perceptive et cognitive du chercheur, parfois jusqu’à remettre en question certaines représentations fondamentales qu’il avait, soit de son objet de recherche, soit de sa problématisation en cours, soit encore de sa lecture ou de son interprétation des données. Cette information peut être ‘vraiment’ nouvelle (le chercheur découvre à ce moment-là quelque chose qu’il ne savait pas, ou qu’il n’avait pas encore vu), ou déjà connue, mais apparaissant dans une clarté inédite telle, que le chercheur a l’impression de la comprendre réellement pour la première fois. Dans tous les cas, le sens neuf émergent représente une sorte d’à-coup dans la pensée, une rupture de continuité, et c’est justement cette rupture qui fait sa force : ‘quelque chose’ s’arrête dans le chercheur, parce que le sens émergent défie son anticipation perceptive et cognitive, l’invitant du même coup à un processus de réflexion. Voici, pour illustrer ce phénomène, un passage de (Berger, 2009a, pp. 307-308), décrivant la manière dont l’auteure vit l’émergence d’une nouveauté au contact de son corps Sensible : C’est à ce moment-là que survient la légère tachycardie. Je ne suis pas sûre que mon cœur batte réellement plus fort mais il y a une mobilisation dans la région du cœur, comme si mon cœur se disait : « tiens, il se passe quelque chose ». En réalité ce n’est pas le cœur seulement. La mobilisation est en fait partout, elle « prend » tout mon corps ou, plus exactement toute ma matière. Ma matière se concentre très légèrement à l’intérieur d’elle-même, elle « se tend », elle se mobilise. Il y a une intensification progressive de la sensation. Mais ce n’est pas seulement une question de « quantité » de sensation, ce n’est pas tant que la sensation soit particulièrement forte ou spectaculaire, non, c’est plutôt qu’elle me concerne profondément, c’est une sensation qui m’appartient, elle n’est pas étrangère à moi, elle n’est pas juste bonne, ou douce, ou forte […], elle est importante. […] Cette mobilisation interne m’informe qu’il se passe quelque chose d’important. En quoi est-ce important ? C’est nouveau. C’est autrement. Ça n’est pas comme d’habitude. Il y a un contraste. Il y a un étonnement. Du corps avant tout. Il y a un état que mon corps ne connaît pas. Ça me dit que c’est important, mon corps est informé, il capte que c’est important, très important même, avant de savoir pourquoi, en quoi, de quoi c’est fait ce qui est important.

Cette caractéristique de nouveauté nous paraît fondamentale, tout d’abord parce que c’est elle, en grande partie, qui donne au sens qui surgit son importance pour le chercheur, ensuite parce qu’elle ouvre sur la dimension de création. D. Bois décrit ainsi ce moment si particulier : « À cet instant, il y a un foisonnement d’’Eurêka’, de faits de connaissance, qui m’apprend quelque chose de neuf à propos de mon expérience. Je dirais qu’au contact de cette expérience de création, le senti et le pensé s’entrelacent sans qu’il y ait prédominance de l’un sur l’autre. » (Bois, 2007, p. 36)

Indépendamment des contenus eux-mêmes, le sens neuf apparaît au chercheur sur le mode du surgissement spontané, en l’absence de toute intervention de son intention volontaire : le chercheur ne cherche pas ce sens, il ne le fabrique pas, il ne le construit pas, il n’y réfléchit pas ; le sens n’est le produit d’aucune activité de réflexion, il vient ; le chercheur n’a rien fait directement pour cela, à part, bien sûr, se tourner vers la possibilité que du sens vienne. Par cette caractéristique, l’expérience rappelle ces propos de F. Varela : « Quelque chose, jailli de nulle part, émerge soudain à la conscience. […] Leur signe de reconnaissance est le sentiment de certitude qui résulte de leur immédiateté. […] De cette certitude et de cette immédiateté découlent un certain nombre d’autres caractéristiques : le lien avec la numinosité et avec l’émotion, le caractère non analytique et gestaltiste de l’expérience, la relation préverbale et prénoétique qu’entretiennent l’intuition et la créativité. » (Varela, 2001, p. 7)

À ceci près que le sens dont il est question ici, justement, n’est pas « jailli de nulle part » : il est au contraire vécu comme prenant clairement sa source dans le ressenti corporel présent au moment du surgissement, comme si ce ressenti produisait le sens. Cependant, si le surgissement est saisissant par son immédiateté, l’étude d’E. Berger montre qu’elle a aussi – et paradoxalement – l’impression d’assister à l’élaboration de la forme du sens. La sensation productrice du sens émergent est elle-même déjà le fruit de tout un processus perceptif, que le chercheur a appris non seulement à reconnaître mais aussi à accompagner pleinement, dans un soutien attentionnel qui devient le berceau possible de l’émergence du sens neuf. Cette expérience profondément corporelle du sens interpelle quant au changement de catégorie d’activité qu’elle représente : une transmutation d’une sensation corporelle en une véritable expérience de compréhension, voire d’illumination11, sans médiation réflexive apparente de type traduction, déduction, inférence… Les sensations corporelles, à la fois expressions et témoins du fait que le corps est vivant, s’intensifient dans ces moments d’émergence de la nouveauté ; c’est justement cette intensification du ressenti corporel qui à la fois annonce la nouveauté, et attire l’attention du chercheur sur le fait qu’« il va se passer quelque chose », l’invitant à se tourner vers ce qui s’annonce.

L’expérience d’émergence étant décrite, entrons maintenant plus avant dans les compétences qui, parce qu’ils s’y sont formés, permettent aux chercheurs œuvrant avec les outils du Sensible de dépasser l’aléatoire « hasard heureux » pour installer et maintenir l’ouverture à l’émergence tout au long de leur recherche, voire de la convoquer par des procédures réglées. Ces dernières, certes, ne peuvent jamais garantir l’émergence : leur but est de créer des conditions pour la solliciter, l’accueillir et enfin la transformer, au travers des processus d’élaboration théorique et de socialisation par l’écriture.

Les compétences en question peuvent être classifiées en suivant trois ‘périodes’ du processus d’émergence : 1. créer corporellement les conditions de l’émergence du sens neuf ; 2. laisser le sens émergent se déployer sans influencer son devenir par sa volonté propre, tout en l’articulant avec la démarche de recherche ; 3. se laisser ‘altérer’ par le sens neuf, c’est-à-dire laisser à son contact les représentations liées à l’objet ou à la démarche de recherche s’enrichir, voire se renouveler. Au terme de ces trois sections, nous envisagerons pour finir les liens qui unissent, pour un chercheur en relation avec son corps Sensible, le processus d’émergence à l’écriture scientifique.

Créer les conditions de l’émergence

Nous l’avons compris, favoriser l’émergence créatrice commence par établir un rapport perceptif avec son corps Sensible, ce qui, justement, ne se donne pas spontanément dans les conditions habituelles de rapport au corps, trop automatisé pour pouvoir susciter ou accueillir de la nouveauté. La possibilité de dépasser cet écran d’habitudes repose sur un apprentissage perceptif spécifique et, notamment, sur l’installation de « conditions extra-quotidiennes » d’expérience pour modifier les cadres habituels de notre rapport au corps (Bois, Humpich, 2007 ; Bois, 2007).

Les conditions extra-quotidiennes de rapport au corps en pratique

Ces conditions visent explicitement à former la personne à se tourner vers les manifestations du vivant au sein de son intériorité corporelle et à y exercer une qualité toute particulière d’attention, de présence et de proximité à l’expérience qui en résulte. Cet entraînement perceptif, les chercheurs du Cerap l’ont développé au cours de leur formation professionnelle préalable, dans trois types de situations d’apprentissage : le toucher manuel de relation, la gymnastique sensorielle et l’introspection sensorielle12. Dans les trois cas, la personne est invitée à fermer les yeux pour suspendre momentanément la prédominance des informations visuelles et autoriser l’accès à d’autres sources sensorielles, et pour se tourner ainsi vers le « lieu de soi » où les phénomènes du corps Sensible se manifestent.

Un intérêt nouveau se dessine alors de la part de la personne pour des aspects d’elle-même et de son expérience qu’elle ne connaissait pas : au-delà des contenus de perception, elle apprend à augmenter et affiner la qualité de son attention, à ouvrir sa conscience perceptive, à rester présente à son expérience, à se laisser toucher par son propre éprouvé. Les conditions pour qu’une nouveauté puisse émerger, puis être saisie, sont réalisées.

Le statut épistémique des conditions extra-quotidiennes : une mise à distance du sens commun de l’expérience

Les conditions d’apparition de l’expérience du corps Sensible ont donc un double objectif : activer les manifestations du vivant dans le corps du chercheur, et permettre à ce dernier d’entrer en relation avec ce qui se joue dans l’intimité de son corps quand cette activation se produit. Si l’on ne considérait que le premier point, la recherche sur et depuis le Sensible pourrait presque être considérée comme une recherche expérimentale, au sens où sont délibérément installées, voire contrôlées, les conditions d’apparition du phénomène que l’on souhaite étudier. Mais nous ne sommes pas dans un dispositif expérimental : ce qui est étudié n’est pas un ensemble d’indicateurs qu’un observateur extérieur pourrait mesurer en étant suffisamment bien appareillé pour cela13, mais un vécu singulier qui ne se produit pas dans les conditions naturelles de rapport au corps. Les conditions extra-quotidiennes de rapport au corps prennent donc tout leur sens épistémique en tant qu’acte équivalent, sur le plan de l’expérience de soi via la perception de son intériorité corporelle, à la réduction scientifique consistant à mettre entre parenthèses ce qui a trait au ‘sens commun’ ou à la ‘pensée vulgaire’ (Berger, Vermersch, 2006).

Pour autant, le rapport au Sensible peut devenir quotidien pour une personne donnée, au sens d’une ‘nature seconde’ obtenue par l’entraînement et la pratique experte ; au sens également où cette personne consacre éventuellement du temps tous les jours à la mise en œuvre des cadres pratiques qui lui permettent de l’entretenir et de continuer à l’explorer. Mais ce processus reste extra-quotidien au sens où, même installé jour après jour, il est non usuel, jamais machinal, non premier au sens bachelardien du terme. Que le chercheur entretienne son rapport aux phénomènes du Sensible tous les jours ne change rien au fait que leur survenue repose sur l’intégration des conditions extra-quotidiennes dans ses modes d’action et de perception.

Accueillir le sens émergent et le laisser se déployer

Quand les conditions extra-quotidiennes sont réalisées, une émergence apparaît toujours : au minimum, celle des sensations internes relatives au corps Sensible, changeantes, mouvantes, émouvantes. C’est en accueillant ces perceptions sans cesse renouvelées et en les laissant se déployer sans entrave que le sens neuf, s’il doit surgir, pourra surgir. Mais avant d’en arriver là, encore faut-il savoir être cette terre d’accueil de sa propre expérience corporelle interne, avec toute sa nouveauté, son évolutivité, sa résonance.

Ainsi, au cours de ses expériences renouvelées de présence attentive aux manifestations de son corps Sensible, le chercheur développe des compétences spécifiques qu’il peut ensuite transférer à son activité de recherche. Ces compétences, que nous allons maintenant présenter, peuvent être résumées par les deux concepts élaborés par D. Bois et développés dans différentes recherches au Cerap : savoir installer en soi une attitude de « neutralité active » (Bois, 2007 ; Bois, Humpich, 2006 ; Bois, Austry, 2007) ; garder vis-à-vis des différents événements de la recherche une juste « distance de proximité » (Bois, 20009 ; Austry, Berger, 2009 ; Berger, 2009a ; Berger, 2009b), permettant d’être à la fois acteur et spectateur de son expérience de chercheur (et ouvrant donc à une réflexivité renforcée).

La neutralité active

La neutralité active est l’attitude intérieure qu’il faut développer en soi pour être capable à la fois d’accueillir les phénomènes du Sensible quand ils se manifestent et de les laisser se déployer, sans influencer leur devenir par sa volonté propre tout en restant à leur contact étroit : « La part de neutralité correspond à un ‘laisser venir à soi’ les phénomènes en lien avec le mouvement interne, sans préjuger du contenu précis à venir. […] Le ‘laisser venir à soi’ est un ‘savoir attendre’ qui consiste d’abord à ne pas anticiper ce qui va advenir. […] La part active consiste à procéder à des réajustements perceptifs permanents en relation avec la mouvance que l’on accueille. […] La posture de neutralité active procède d’une infinité de précautions afin de ne pas peser sur les phénomènes qui émergent de la relation au Sensible. » (Bois, Austry, 2007, p. 10).

Du même coup, c’est aussi l’attitude que forge, et que forme, le rapport au corps Sensible. Au-delà, cette attitude peut être vue comme une aptitude beaucoup plus générale d’accueillir un phénomène ou un événement nouveau, une situation ou une information nouvelle, sans laisser nos cadres habituels de représentation restreindre le potentiel d’apprentissage qui y est contenu. Dans la pratique de la recherche, cette attitude apparaît comme une ressource face à la traditionnelle recommandation scientifique qui préconise de savoir repérer et déloger ses projections, représentations, jugements, opinions, a priori, bref, tout ce qui peut venir faire obstacle à la neutralité ou à l’objectivité – équivalent de qualité – de l’observation. La question reste de savoir comment s’y former et sur ce point, les prescriptions théoriques manquent de méthodologie pragmatique. Concrètement, comment faire pour maintenir son attention à la fois ancrée et ouverte, stable et libre, vigilante et disponible ? Pour suspendre ce qui peut gêner le processus de découverte en cours, rester dans une attente ouverte, orientée mais non focalisée, de quelque chose qui va venir mais dont on ne sait rien, sans cesser de renouveler la réduction propre à toute recherche ?

C’est là précisément que les chercheurs du Cerap ont développé, dans leur pratique professionnelle, des compétences transférables comme telles dans la recherche : écouter la dynamique intracorporelle de leurs patients ou élèves les a formés à cet acte intérieur double, qui consiste à maintenir une attention soutenue à ce qui se joue à un instant donné, tout en restant ouvert à tous les possibles puisqu’on ne sait jamais ce qu’il y aura à accueillir. Ces deux mouvements de l’esprit, contemporains bien qu’apparemment paradoxaux, sont facilités par l’accompagnement concret de la vie corporelle interne, qui apporte une dimension de matérialité à l’acte attentionnel qu’il demande par ailleurs : l’attention a un « lieu » où se poser et un support clair à sa propre dynamique.

Sur le plan de la recherche, les implications sont importantes : un chercheur qui a développé une certaine neutralité active de l’esprit peut s’y appuyer pour suspendre ses représentations et allants de soi qui font obstacle à sa recherche, tout autant que pour accueillir ce qui peut naître d’inconnu, de neuf, d’imprévu, tant dans le processus d’élaboration théorique que dans la phase d’analyse et d’interprétation des données : « ce point d’appui fait que l’attention du sujet se stabilise, qu’il se tient ainsi dans une attente ouverte aux frontières du connu et de l’inconnu. » (Bois, Austry, 2007, p. 10).

Distance de proximité

Quand le chercheur est dans une attitude de neutralité active, sa conscience se trouve placée, vis-à-vis de l’expérience qui se déroule ou de la tâche scientifique qu’il exécute (observation, lecture théorique, entretien de recherche, interprétation…) ni « trop dedans » ni « trop dehors ». C’est sans doute le point clé de la posture permise par le rapport au corps Sensible : un positionnement de la conscience pleinement et clairement situé « ni dedans ni dehors », permettant au chercheur de n’être ni fusionné avec son expérience, ni distant d’elle, permettant la distance de recul nécessaire à la recherche mais aussi, dans le même temps, la proximité avec sa recherche sur laquelle son implication peut se déployer (Cefaï, 2006 ; Paillé, 2007 ; Berger, 2009b ; Austry, Berger, 2009 ; Lieutaud, Ouellet, sous presse), ainsi que la saisie du sens dès son émergence.

La distance de proximité est ce positionnement où le chercheur peut sentir ce qui vient sans en influencer l’émergence : la distance juste d’un esprit à la fois présent aux phénomènes et réflexivement présent à lui-même de manière spontanée et sereine, au cours même de l’expérience. Dans cette posture, le chercheur est capable de maintenir une présence conjointe, tout au long d’un moment vécu donné, à l’expérience qui se déroule et à lui-même dans cette expérience. D. Bois traduit cette co-présence par l’expression : « maintenir ensemble le ‘je’ qui vit et le ‘je’ qui observe ». Dans cette posture, le chercheur peut, en temps réel, prendre acte à la fois qu’il sent et de ce qu’il sent, qu’il perçoit et de ce qu’il perçoit, qu’il pense et de ce qu’il pense.

Se laisser altérer par le sens neuf : la réciprocité actuante

Savoir créer les conditions de l’émergence de sens neuf et, quand elle se produit, savoir l’accueillir, sont les premiers pas d’un processus créatif qui comporte une suite : se laisser « altérer » par l’émergence, au double sens de se laisser changer (quelque chose de soi est modifié, transformé) et de rencontrer « de l’autre » (un autre dans soi, un autre de soi, autrui dans l’échange – tout ce qui peut être différent, nouveau), et donc au sens profond de « devenir autre ». Sans cette étape, l’émergence ne pourrait prendre le statut de réelle information, de sens neuf et plein, c’est-à-dire capable d’infléchir la courbe de la recherche, la compréhension qu’a le chercheur de son objet, son interprétation de ses résultats ou tout autre aspect pouvant s’enrichir du sens émergent.

Cette question de l’altération au contact de la nouveauté émergente se joue, dans le paradigme du Sensible, dans la capacité à instaurer avec chacun des composants de la recherche une « réciprocité actuante » (Bois, 2006 ; Berger, 2009a ; Bourhis, 2009)

Ce concept désigne, au départ, la modalité de présence à soi et à autrui qui s’installe entre deux personnes quand elles situent leur relation d’échange sur la base d’un rapport partagé au corps Sensible. Proche de l’empathie, elle s’en distingue par la symétrie instaurée entre les personnes en présence, là où l’empathie est souvent entrevue comme un mouvement de se mettre à la place d’autrui. D. Bois et M. Humpich soulignent à ce propos que « dans la réciprocité, [ce mouvement] est contrebalancé par le mouvement de laisser autrui entrer en soi. La nuance peut paraître anodine mais ne nous y trompons pas, elle signe une différence de taille, celle-là même qui permet d’installer une présence à soi dans l’acte de connaître l’autre. […] Là où l’empathie s’offre comme un pont invisible et impalpable entre la subjectivité du chercheur et celle des participants à sa recherche, la réciprocité se déploie comme un liant sensible dont la texture peut être aperçue, dont la tenue peut être évaluée, dont la fonction de vecteur des ‘informations circulantes’ peut être régulée en temps réel. » (Bois, Humpich, 2006, pp. 482-483).

Le terme « actuante » souligne la part active des protagonistes de l’échange : chaque personne en présence fait ce qu’il faut pour accueillir l’autre dans ou depuis son rapport au Sensible, ce qui relève d’un véritable acte relationnel ; le terme renvoie également au fait que cette modalité de relation étant basée sur la perception des réactions corporelles internes à ce que dit, fait ou est l’autre, il y a en permanence actualisation de l’échange en fonction de ces données internes corporéisées.

Le processus de réciprocité actuante, utilisé et modélisé au départ dans la pratique professionnelle de terrain, a été ensuite appliqué à toutes les étapes de notre démarche de recherche : le rapport au terrain, le rapport au savoir théorique, le rapport aux participants, le rapport aux données. Il devient la marque de l’implication du chercheur, une posture du début à la fin de la recherche et, plus encore, le processus par lequel le chercheur se met à l’écoute de la résonance en lui de tout acte et élément de sa recherche14.

Par exemple, au cours de l’entretien de recherche, le chercheur installe une réciprocité actuante avec les participants à la recherche, dans l’objectif est d’une part de créer des conditions de confiance propices à l’émergence d’informations signifiantes pour la question de recherche, et d’autre part de procurer au chercheur des indicateurs internes de la pertinence de ses propres relances comme des réponses des personnes interviewées. Au cours de l’analyse des données, le chercheur ne se contente pas de retranscrire et d’annoter ses données, il y a ‘quelque chose’ qui se passe entre lui et ses données ; les données résonnent en lui, lui résonne aux données, et le moment de l’altération correspond au moment où l’information importante se détache et où le chercheur l’accueille et s’en saisit. Voici, à titre d’exemple, un extrait de P. Large (2007), montrant comme la réciprocité actuante avec ses données lui permet de trouver le niveau juste de son travail d’analyse, entre phénoménologie et théorisation15 : « Je me suis aperçu qu’il n’était pas si facile de déterminer des thèmes. Je vais donc décrire […] mon apprentissage. À mon premier essai, […] je ne croyais pas être dans un mode interprétatif, [pourtant] je n’avais pas déterminé des thèmes, mais des catégories, ou alors des rubriques. Je n’avais pas choisi le bon niveau de généralité. […] À mon deuxième essai, je suis resté beaucoup plus près du texte, reprenant pratiquement ses mots. C’était bien plus phénoménologique, mais je ressentais un sentiment d’insatisfaction, sentant que la thématisation n’était pas aboutie. Ce n’était pas pour moi assez synthétique. […] Au troisième essai, j’ai retrouvé un plus juste milieu de dénomination des thèmes. […] J’ai ressenti sensoriellement comme une mise en relief des thèmes par rapport au texte. Ils semblaient se détacher au-dessus du texte. […] Sensation incroyable, l’analyse thématique me remettait dans mon corps, qui me donnait une information de justesse que [j’ai pu] réutiliser comme guide dans la suite, pour le reste de la thématisation. Cet exercice d’analyse thématique a été pour moi l’occasion d’une véritable transformation. […] Je l’ai vécu expérientiellement et j’ai senti dans ma chair l’effet de cette justesse quand ma pensée est accordée à la parole et à la pensée de l’autre. »

La restitution du processus d’émergence dans l’écriture scientifique

Pour clore cet article, abordons les liens entre processus d’émergence et écriture avec cette question : comment restituer le processus d’émergence d’un sens neuf dans l’écriture scientifique ?

Nous ne parlons pas ici de l’écriture qui élabore à partir d’une émergence de sens, mais bien de l’écriture qui vise à restituer le processus lui-même. Il nous semble important d’aborder cette étape, souvent négligée dans la formalisation des processus de recherche alors qu’elle est partie prenante du processus créatif nourrissant la recherche : même quand l’émergence a joué un rôle important dans la recherche, la priorité est donnée à la formalisation des contenus et idées innovants qui ont émergé, plus qu’au processus émergent lui-même, dont les ressources et potentialités sont alors inévitablement tronquées. La recherche radicalement en première personne de Berger (2009a) montre que l’exposé de cette part plus informelle, plus floue, plus diffuse, est possible. Nous pensons qu’elle a un rôle crucial à jouer dans l’amplitude que peuvent prendre les explorations et innovations de la recherche, quel que soit le champ scientifique concerné, puisqu’elle est un outil majeur d’objectivation de la subjectivité notamment corporelle du chercheur à l’œuvre, dans le cours même de son processus réflexif conscient et inconscient.

À ce stade de nos explorations, il nous apparaît que le compte-rendu des moments d’émergence créatrice doit parfois être mené, par exemple quand le processus d’émergence est lui-même l’objet de la recherche et que le chercheur souhaite en donner à ‘voir’ une illustration vécue (comme dans Berger, 2009a), ou quand la restitution du processus peut contribuer à la validité méthodologique de la recherche, en tant qu’elle démontre le degré et l’effort de réflexivité du chercheur. Voici un exemple de ce dernier cas de figure (Ibid., p. 240) :

Ce sont également ces compétences qui m’ont permis […] de repérer les moments où je versais dans la défense de mes attachements à ma pratique ou, au contraire, les occasions où j’approchais le piège d’une théorisation n’ayant plus suffisamment d’ancrage dans mon expérience. Ces moments ne pouvaient échapper à ma vigilance, non pas seulement par vérification régulière et volontaire de ma posture, mais aussi par le fait que je ressentais immédiatement une limitation de mes capacités de neutralité active ; j’avais perdu soit la neutralité, soit l’activité consistant à maintenir les conditions de la neutralité. M’apercevant de cela au cours de mes rendez-vous quotidiens d’introspection sensorielle, je pouvais vérifier sur le champ si l’origine de ce défaut de neutralité active se trouvait dans un glissement de ma posture de recherche. Ensuite, ayant à ma disposition des outils techniques pour y remédier, je restaurais, le jour même ou en quelques jours, la qualité et l’intégrité de ma neutralité active et me trouvais ainsi à nouveau dans une posture plus juste pour poursuivre l’étape de recherche où je me trouvais.

D’une manière générale, l’écriture du processus de l’émergence doit être la plus fidèle possible au contenu de vécu, si possible sans quitter le rapport vivant à l’expérience qui en a été faite, de façon à ce que non seulement le processus factuel soit restitué, mais aussi la qualité expérientielle qui l’a habité et, in fine, le contenu sémantique en émergence. Nous n’entrerons pas ici dans les enjeux épistémiques et méthodologiques de la description phénoménologique16, et allons nous centrer sur le rôle que peut jouer le rapport au corps Sensible comme facilitateur de l’écriture descriptive.

Le chercheur, pour décrire son expérience du processus d’émergence (comme de toute autre expérience vécue d’ailleurs), se met en relation avec son corps Sensible dans une attitude d’écoute et d’observation intérieures profondes. Une fois ce rapport établi, et depuis ce rapport en quelque sorte, il laisse venir – en fait, re-venir – l’expérience d’émergence qu’il souhaite décrire17. L’écriture devient alors comme ‘autonome’ : les éléments de l’expérience se donnent subjectivement selon une orientation, un rythme qui semblent spontanés, comme si l’expérience subjective ‘choisissait’ son trajet pour se montrer. En suivant ce mouvement, le chercheur peut accéder à des lieux de l’expérience qu’il n’aurait peut-être pas décrit de sa propre initiative, sur un mode plus ‘cognitif’. L’écriture descriptive comporte ainsi une dynamique propre de la conscience, de la pensée et de l’écriture, qui revêt toutes les caractéristiques d’un mouvement tel que celui du vivant qui anime le corps humain. Décrire, c’est donc avant tout suivre un mouvement, qui se joue en partie dans le corps de celui qui décrit, et donne au chercheur le sentiment que son écriture se déploie de l’intérieur.

Conclusion

Au terme de cet article, nous pouvons constater la continuité entre nos recherches et le monde de la recherche qualitative de terrain, mais aussi les spécificités profondes assumées au Cerap. En effet, la place qui y est revendiquée pour le corps du chercheur s’inscrit en partie dans des problématiques déjà explorées : les phénomènes de résonance entre corps du chercheur et terrain ; une affinité avec une phénoménologie et une pragmatique de la recherche de terrain où l’implication du chercheur à travers son corps est voulue et promue (Cefaï) ; des similarités avec des courants de recherche qui utilisent et transfèrent des techniques de mobilisation du corps dans le processus de recherche (Rogers ; Gendlin ; Finlay ; Todres).

Il ressort cependant une véritable originalité de la posture épistémologique et méthodologique adoptée au Cerap : pour le corps et par le corps. Pour le corps : les recherches du Cerap mettent à jour, modélisent et affinent tout l’intérêt de travailler sur les potentialités perceptives de l’humain dans les domaines du soin, de la formation et des arts. Par le corps : au-delà de ces résultats, nos travaux montrent la praticabilité de recherches faites avec son corps ; le corps peut être tout à la fois un support, un médium, un partenaire et un « sujet » plein et entier de la recherche, source de sens et de créativité.

Ce mode de formation à la recherche rencontre aussi certaines limites, nous en sommes conscients. Cette plongée dans les travaux réalisés au Cerap ne nous a pas montré, par exemple, que tous les chercheurs s’appuient sur, ou utilisent, les outils que nous avons décrits. La littérature montre aussi les obstacles, difficultés, limites que ces chercheurs rencontrent18. Ces limites et difficultés appartiennent bien sûr à tout parcours de recherche, augmentées par les exigences de la recherche qualitative (Morse et alii, 2002 ; Patton, 2002) ; il faut bien le souligner, l’appui sur le corps Sensible y apporte la contrainte supplémentaire d’un entrainement et d’une pratique assidus. Le transfert de cet appui dans la pratique concrète de la recherche reste encore une aventure qui fait du Cerap, au-delà de l’enseignement académique, un véritable laboratoire de l’humain en recherche.

Notes

1 Quidu, M. (Ed.) (2014). Le corps du savant dans la recherche scientifique: approches épistémologiques. Lyon: ENS Éditions (Collection sociétés-espaces-temps).

2www.cerap.org

3 Université Fernando Pessoa (Porto). Le Cerap compte aujourd’hui 13 chercheurs effectifs et 18 chercheurs associés (dans 5 pays).

4 Technique manuelle de soin et d’éducation à la santé pratiquée par des kinésithérapeutes et les médecins.

5 Méthode d’accompagnement de la personne aujourd’hui reformulée sous l’appellation pédagogie perceptive

6 Leur nombre est de plus de 3000, en comptant la France et l’étranger.

7 Les raisons qui ont fait du Portugal le lieu d’accueil de ces programmes, sous la coordination de D. Bois, M. Humpich et M. Leão, relèvent des aléas des rencontres et affinités scientifiques. Nous en profitons pour remercier ici les universitaires qui ont œuvré à l’ouverture de ces programmes.

8 La psychopédagogie perceptive est l’appellation sous laquelle le premier programme de mestrado (appellation portugaise du master) a été validé par le Ministère portugais de l’enseignement supérieur et de la recherche. C’est donc aujourd’hui la discipline universitaire qui a pour objet l’étude des pratiques de terrain correspondantes.

9 Depuis 2004, 58 mémoires de master ont été soutenus, 21 autres sont en cours et 19 doctorants sont en cours de rédaction de leur thèse. Par ailleurs, d’autres travaux de recherche (7 doctorats, 6 master 2) ont été soutenus dans d’autres universités en France, en Europe et au Québec, par des chercheurs en lien avec le Cerap.

10 « sujet » et pas sujet : pour marquer le fait qu’il s’agit d’une image et que nous ne considérons pas le corps comme une personne…

11 Au sens où l’entendent les auteurs qui ont formalisé les étapes du processus créatif (Poincaré, 1908 ; Craig, 1978 ; Csíkszentmihályi, 1996).

12 Pour une présentation simplifiée de ces trois situations, voir (Berger, 2006). Pour une présentation approfondie du toucher manuel de relation, voir (Austry, 2009 ; Berger, Austry, 2009b ; Bourhis, 2012) ; pour la gymnastique sensorielle, voir (Noël, 2001; Eschalier, 2009 ; Schreiber, 2011 ; Devoghel, 2011)

13 Un tel type d’étude existe aussi au Cerap, par exemple (Quéré, Noël, Lieutaud, d’Alessio, 2009) qui analyse les effets physiologiques de l’activation du mouvement interne au niveau de la dynamique vasculaire. Ce genre d’étude ne soulève pas les mêmes réflexions épistémiques.

14 Ce processus, dans toute sa tangibilité, a été modélisé en six étapes successives, correspondant à autant d’actes perceptivo-cognitifs précis (Berger, Austry, 2011).

15 Au passage, cet extrait met en lumière également la manière dont la réciprocité actuante entre en jeu entre le chercheur et ses données.

16 Pour cela, voir notamment les nombreuses publications de Vermersch, par exemple (1997, 1999, 2000, 2012) ; ainsi que (Giorgi, 1997 ; Petitmengin, 2005, 2007, 2009 ; Spiegelberg, 1997 ; Berger, 2009a)

17 Sur la modélisation de cette méthodologie, voir (Berger, Vermersch, 2006 ; Berger, 2009a ; Berger, Paillé, 2011).

18 Voir (Lieutaud, 2008).

Eve Berger
Didier Austry
Anne Lieutaud

Informations de publication: 
in Quidu, M. (Ed.) (2014). Le corps du savant dans la recherche scientifique: approches épistémologiques. Lyon: ENS Éditions (Collection sociétés-espaces-temps).

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