Résumé d'une communication orale au congrès de l'AIFRIS 2015, Porto, sur les résultats partiels d’une recherche doctorale de l’Université Fernando Pessoa de Porto (CERAP), menée sur le thème de l’accompagnement de personnes licenciées à travers un dispositif de pédagogie perceptive.
Le monde du travail et ses nombreuses restructurations engendrent de nouvelles exigences pour l’individu. Celui-ci se voit contraint de gagner en autonomie et responsabilisation, capacité de prise de décision, sens de l’initiative. Il est aussi amené à mobiliser des ressources d’adaptation face à un environnement instable et imprévisible. Ces différents enjeux rejoignent particulièrement le cas des licenciés qui sont alors soumis à des choix déterminants pour l’avenir de leur carrière. C’est là parfois beaucoup d’exigences pour des personnes souvent en situation de deuil, de rupture identitaire, en perte de confiance et d’estime de soi, voire de motivation. L’intervention sociale dans ce contexte se doit alors de favoriser chez le demandeur d’emploi une posture proactive afin de lui permettre de préserver son statut de sujet et de rester / devenir acteur de sa carrière.
La pédagogie perceptive, pratique innovante de l’accompagnement au changement centrée sur le rapport au corps, vise un enrichissement des manières d’être à soi, aux autres et à ses actions. Elle favorise l’accès à un ‘éprouvé de soi’, source de nouvelles configurations de sens pour sa vie. Cette pratique constitue un aboutissement du vaste champ de pratiques et de modèles théoriques développé par le Pr Danis Bois. Elle est aujourd’hui proposée dans différentes institutions à visée éducative, sociale, formatrice, comme méthode d’accompagnement des publics mais aussi comme outil pour les professionnels, de gestion du stress, de retour à soi et de consolidation de leur présence, afin de répondre au mieux aux missions qui leur sont confiées dans un environnement social souvent chaotique. La recherche qui sera présentée a été conduite auprès de 11 personnes au chômage, au travers d’un dispositif d’accompagnement en pédagogie perceptive constitué de 3 séances individuelles de 1h30 chacune et 5 séances de groupe de 3 heures. L’accompagnement a été mené autour d’objectifs visant à la fois la relance des ressources de motivation de la personne, la construction de la confiance et de l’estime de soi, ainsi que le déploiement de son potentiel et de sa singularité dans la mise en œuvre de son projet professionnel. Des entretiens semi-directifs ont été réalisés avant et après le suivi du dispositif, orientés principalement sur la manière dont la personne vit sa situation de chômage, la dynamique de sa recherche d’emploi et l’évolution de son projet professionnel. L’analyse qualitative a produit 11 récits phénoménologiques rendant compte des apports du dispositif d’accompagnement et des dynamiques de changement en cours pour chaque personne. Une analyse herméneutique transversale a mis à jour des modalités processuelles par lesquelles les personnes ont pu rebondir suite au licenciement, en développant un rapport plus conscient et assumé à leur intériorité, pour gagner en assurance, capacité d’action et créativité. Les différents résultats seront présentées.
Communication complète
Cette communication présente une recherche doctorale en sciences humaines et sociales, option psychopédagogie perceptive, de l’université Fernando Pessoa de Porto, sur le thème de la transition professionnelle. Il s’agit d’une évaluation des apports d’un dispositif d’accompagnement en pédagogie perceptive auprès d’une population de personnes en situation de recherche d’emploi suite à un licenciement.
La problématique de la transition professionnelle est un thème d’actualité. Elle apparaît de nos jours au coeur des préoccupations du monde du travail et du développement des carrières. On assiste en effet ces dernières années à une transformation de l’organisation du monde du travail. Le caractère prévisible et progressif des parcours professionnels d’autrefois tend aujourd’hui à être remplacé par l’hétérogénéité et l’incertitude face à l’avenir. Le modèle dominant pour un individu est moins l’inscription dès son entrée dans le monde du travail au sein d’une même entreprise jusqu’à l’âge de la retraite, que la cumulation de plusieurs emplois, l’exercice de fonctions, voire de professions différentes, l’alternance entre formation et emploi, l’alternance entre période d’emploi et période de chômage. Ainsi, ce contexte multiplie pour les individus les situations de transition.
La recherche présentée est centrée sur une situation spécifique de transition professionnelle, la période de chômage suite à un licenciement. Les personnes confrontées à cette situation rencontrent différents enjeux et nécessités auxquels elles sont contraintes de répondre. Il s’agit notamment, face au contexte actuel insécure du marché du travail, de développer son « employabilité », terme désignant les capacités individuelles à trouver un emploi ou à s’y maintenir : la capacité à être autonome et responsable, le sens de l’inititiative, la capacité à mobiliser des ressources d’adaptation face à un environnement changeant et imprévisible, la capacité à inventer sa carrière… C’est là beaucoup d’exigences pour des personnes pour la plupart en situation de deuil, de rupture identitaire et en perte de confiance et de valorisation d’elles-mêmes, voire de motivation.
Dans ce contexte, un dispositif visant l’acccompagnement de la personne dans son processus de transition apparaît pertinent sinon nécessaire. La pédagogie perceptive est une discipline académique agréée par le ministère portugais de la recherche et de l’enseignement supérieur. Elle se définit en tant que pédagogie de la perception centrée sur le rapport à soi et à son corps. Elle vise l’enrichissement des facultés d’apprentissage de la personne sur la base d’un enrichissement perceptif corporéisé. Elle favorise l’accès à un ‘éprouvé de soi’, source de nouvelles configurations de sens pour sa vie. Cette pratique constitue un aboutissement du vaste champ de pratiques et de modèles théoriques développé par le Pr Danis Bois. Elle est aujourd’hui proposée dans différentes institutions à visée éducative, sociale, formatrice, comme méthode d’accompagnement des publics mais aussi comme outil pour les professionnels, de gestion du stress, de retour à soi et de consolidation de sa présence, afin de répondre au mieux aux missions qui leur sont confiées dans un environnement social souvent chaotique.
La recherche a été conduite auprès de 11 personnes, au travers d’un dispositif d’accompagnement en pédagogie perceptive constitué de 3 séances individuelles de 1h30 et 5 séances de groupe de 3 heures, échelonnées sur deux mois. L’accompagnement a été mené autour d’objectifs tels que la relance des ressources de la personne, la construction de la confiance et de l’estime de soi, le déploiement de son potentiel et de sa singularité dans la mise en œuvre de son projet professionnel. L’approche corporelle a été l’outil principal des séances, sous la forme d’une médiation manuelle pour les séances individuelles et d’une médiation gestuelle pour les séances de groupe. Des entretiens semi-directifs ont été réalisés avant et après le suivi du dispositif, orientés sur la manière dont la personne vit sa situation de chômage, la dynamique de sa recherche d’emploi et l’évolution de son projet professionnel.
Les apports significatifs de la psychopédagogie perceptive
Une analyse qualitative des entretiens menés a fait ressortir des apports signifiants du suivi en pédagogie perceptive sur le processus transitionnel des participants. Le lien avec un enrichissement du rapport au corps apparaît très fortement dans les témoignages. Voici les principaux apports :
- L’adoption d’une nouvelle posture, plus ouverte et redressée, participant d’un gain d’assurance dans ses démarches de recherche et d’une meilleure capacité à faire valoir son parcours et ses compétences professionnelles
La plupart des participants expriment avoir consolidé leur confiance au cours du suivi, se sentir plus sûrs d’eux-mêmes et avoir acquis une nouvelle capacité à reconnaître leurs compétences. Leur projet professionnel prend alors de la valeur et ils osent davantage s’affirmer dans leurs démarches. L’adoption d’une nouvelle posture apparaît particulièrement signifiante de ce changement.
« Disons comme j’ai monté ma hauteur, j’ai aussi monté le but » Emmanuelle, 52 ans, assistante de Président de Conseil d’administration
« Et tenir la tête, aussi ça je cherche […] au moment où je le fais, je me sens plus sûre de moi, je me sens mieux. » Laura, 56 ans, manager relationnel
« C’est aussi de pouvoir ressortir ce côté génial de ma carrière plus aisément […] j’ai mon parcours, et mon parcours il est bien et personne ne peut le casser entre guillemets. […] Je l’accepte en fait, et je l’accepte et j’en suis fière et je vais montrer que j’en suis fière […] ça veut dire que si j’ai des prochains entretiens, parce que ouais j’ai tendance aussi à rester en bas avec ma tête, mais ce sera de la relever, de la relever plus. » Simone, 36 ans, attachée de recherche clinique
- Une plus grande connexion à soi-même pour une reconfiguration de son système motivationnel, centré sur ses propres valeurs et aspirations plutôt que sur des motifs extérieurs
Les séances ont également permis aux participants de développer un rapport plus proche à eux-mêmes et ainsi de mieux connaître leurs propres valeurs, aspirations et compétences. Certains expriment dans ce sens avoir rencontré leur propre « force ». On observe alors le déploiement d’une nouvelle motivation, la personne agissant sur la base de ses aspirations et son propre vécu, et non selon des motifs extérieurs.
« Le fait de proposer, le fait de mieux préciser ce que je souhaiterais faire, et puis de le justifier, de l’expliquer, de montrer pourquoi je pourrais faire ça, alors ça, ça me motive beaucoup. […] là c’est moi qui détecte l’endroit où je sens que je pourrais être utile et apporter quelque chose […] je sens une motivation qui vient plus de ce que j’aimerais moi […] donc c’est l’emplacement de la motivation en fait, c’est pas quelque chose qui m’attire sur l’extérieur, ça vient plus de l’intérieur. » Emmanuelle, 52 ans, assistante de Président de Conseil d’administration
« Ce qui est plus clair pour moi aussi, depuis peu, c’est vraiment par moments une sensation vraiment de force et pis de… de puissance qui est là à disposition. […] c’est comme cette motivation qui est plus naturelle pis qui vient de l’intérieur. » Noémie, 44 ans, assistante de direction
- L’acquisition d’outils de gestion du stress utilisables dans son quotidien
Plusieurs témoignages vont dans le sens d’une diminution de l’anxiété liée à la situation d’incertitude, mais aussi d’acquisition d’outils de gestion du stress afin de faire face à diverses situations spécifiques de la recherche d’emploi, tels que le passage d’entretiens ou la réalisation de téléphones importants. Le développement d’un meilleur ancrage corporel et la référence à ses appuis corporels sont évoqués comme supports de cette gestion du stress.
« Il y a cet exemple de cet entretien d’embauche, […] J’ai pu m’asseoir, j’étais déjà assise, mais j’ai pu m’asseoir […] je m’en suis bien sortie, mais le fait de me sentir bien sur mes bases, m’a permis de changer tout de suite de fusil d’épaule, et de me dire, houlà, on respire et on y va, mais faut changer et faut expliquer autrement. Ça m’a donné de l’assurance, à ce niveau-là. […] Sans perdre pied. » Emmanuelle, 52 ans, assistante de Président de Conseil d’administration
« Quand je sens qu’il y a des montées de stress qui viennent […] je pense à mes points d’appui, et pis ça me permet justement comme de redescendre et pis de retrouver une, je sais pas une consistance. Quand il y a le stress c’est comme si, enfin c’est vraiment dans la dispersion pis y a plus rien, à quoi me tenir. Pis là je retrouve justement matière et de quoi me poser. » Noémie, 44 ans, assistante de direction
- Un gain de proactivité dans ses démarches
On observe au final une meilleure capacité d’action chez plusieurs participants, ces derniers ayant reconstruit leur confiance et leur estime d’eux-mêmes, rejoint leurs propres motivations et acquis des outils de gestion du stress pour une meilleure adaptation aux situations imprévues. On observe alors le passage d’une posture passive et sous la dépendance de besoins extérieurs à une posture agissante et créatrice d’opportunités et de nouveaux possibles.
« J’avais plus envie de proposer que d’attendre. » ; « Donc c’est aussi un peu, il y a aussi un peu, bon ben maintenant, tu n’as plus grand chose à perdre, vas-y, qu’est-ce qu’il peut t’arriver ? Tandis qu’avant j’étais plus, pfff, on va m’assommer. » Emmanuelle, 52 ans, assistante de Président de Conseil d’administration
« L’inconnu, c’est toujours quelque chose qui m’a fait peur, et c’est tout là le changement […] j’ai des retenues, si vous voulez, mais pas peur par rapport à l’inconnu. J’ai envie d’essayer, j’ai envie d’aller voir, j’ai envie maintenant de conduire sur l’autoroute, je vais le faire, j’ai envie de reprendre une nouvelle activité, je vais le faire aussi. » Laura, 56 ans, manager relationnel
En conclusion,
cette recherche rend compte de l’intérêt d’une prise en compte du corps dans l’accompagnement des personnes confrontées à une situation fragile et incertaine, telle que le chômage. Les résultats font en effet apparaître le rôle du corps comme moyen de renforcement des capacités d’être et d’agir des individus. En développant un rapport plus conscient et assumé à leur intériorité corporelle, ces derniers gagnent en assurance, capacité d’action et adaptabilité. Confrontés à une situation de rupture professionnelle, il s’agit alors de leur permettre de réinvestir leur parcours, mais surtout de se réinvestir dans leur parcours.
Ainsi, dans le contexte de l’intervention sociale, cette recherche ouvre sur de nouvelles perspectives d’accompagnement, visant à restituer à l’individu « sa part de subjectivité et d’intentionnalité dans un monde saturé par l’indécidable » (Masdonati, Zittoun, 2012, p. 233).