Pour cette 4ème édition, près de 1000 personnes s’étaient données rendez-vous dans la banlieue de Washington (Reston, Virginie) pour échanger et faire avancer les connaissances sur le fascia et les applications thérapeutiques. Nous vous proposons à travers cet article, un résumé de ce congrès qui ouvre des compréhensions nouvelles et intéressantes pour notre pratique d’accompagnement mobilisant des touchers manuels du fascia. Ce résumé n’est pas exhaustif car nous n’avons pas pu assister à toutes les conférences, ni voir tous les posters (plus de 150). Il est toutefois possible de prendre connaissance de l’ensemble des communications en se procurant l’ouvrage de synthèse intitulé Fascia Research IV édité par les Éditions Kiener (bientôt disponible) qui a également publié les actes des trois premiers congrès (Fascia Research I, II et III).
Le public international venu de tous les continents, était composé autant de praticiens que de chercheurs et de praticiens-chercheurs. Les matinées étaient consacrées à des conférences plénières et les après-midis à des sessions thématiques parallèles et à la présentation des posters. Nous avons été marqués par l’alliance de rigueur scientifique et de simplicité durant tout le congrès. Des séances pratiques de gymnastique fasciale ont même été proposées pendant les matinées plénières en lieu et place de pauses ! Elles étaient suivies par tous. Ces sortes de « shows à l’américaine » contrastaient fort avec nos habitudes européennes mais il faut reconnaître qu’elles facilitent bien les échanges et les rencontres.
Recherche fondamentale et fascia
L’avancée des réflexions sur la définition du fascia a été présentée par C. Stecco. La notion de « système fascial » serait une terminologie permettant de bien rendre compte des diversités et implications anatomiques et fonctionnelles du fascia (organe, fonction, système). Un groupe en charge de réfléchir à une définition commune satisfaisante s’est constitué au sein de la société de recherche sur le fascia (Fascia Research Society). Il est intéressant de noter que la Fascia Research Society vient d’être contactée par le journal “Terminologica Anatomica” qui fait référence en matière de nomenclature anatomique et qui, préparant sa mise à jour 2016, souhaite savoir si une définition stabilisée du fascia est aujourd’hui disponible. Cette prise de contact formelle a été très appréciée, comme acte de reconnaissance de la qualité des connaissances récentes produites par cette communauté scientifique de recherche sur le fascia.
Des travaux en embryologie (Schuenke) confirment l’origine mésodermique commune de tous les fascias du corps, même si des différencs fonctionnelles et de composition existent. Au cours de l'embryogénèse, les fascias assureraient la création d'une continuité corporelle d'ensemble et dirigeraient l'organogénèse.
Des observations histologiques (C. Stecco) montrent des caractéristiques propres à différentes catégories de fascia, qui font notamment apparaître que seul le fascia superficiel (ou sous-cutané) contiendrait des récepteurs endocannabinoïdes. Ceci impliquerait que les techniques fasciales douces seraient plus susceptibles d’activer le système endorphinique que les thérapies travaillant sur les fascias profonds (A. Stecco). Il s’agit d’une hypothèse fondée sur quelques comparaisons histologiques qui reste à confirmer.
Le rôle du fascia dans la nociception, la proprioception et l’intéroception a été largement abordé. Nous avons par exemple eu confirmation de l’existence d’une sensibilité fasciale à l’appui d’une étude expérimentale in-vivo (Mense) qui a mis en évidence l’existence de terminaisons nerveuses libres, porteuses d’une sensibilité nociceptive. A partir d’une inflammation induite expérimentalement dans le fascia thoraco-lombaire cet auteur a montré l’existence de remaniements neuronaux pouvant expliquer un envahissement de la douleur dans d’autres territoires du corps (douleur diffusant dans le membre inférieur lors d’une inflammation du fascia thoraco-lombaire).
Une revue de la littérature sur les fascias musculaires (Schleip) indique que tous contiennent des fibres nerveuses sans myéline (conduction lente de l’information et forte réceptivité au toucher), que les fibres nerveuses myélinisées (conduction rapide de l’information) à proximité des vaisseaux sanguins sont surtout d’origine sympathique, et que les fascias musculaires contiennent, autour de ces fibres nerveuses, des récepteurs de Golgi, de Paccini, et parfois même de Ruffini, suggérant une participation du fascia musculaire dans la proprioception. Il semble que les terminaisons libres, très nombreuses dans le fascia, participeraient elles-aussi à donner au fascia une fonction dans la proprioception.
Des résultats expérimentaux d’étude de la douleur fasciale ont été présentés (Schilder) : lors d’injections de solution saline dans la peau, le muscle et le fascia, il apparaît que la douleur est plus intense et plus étendue pour le fascia sous-cutané. Parmi les trois tissus étudiés (muscle, derme et fascia sous-cutané) c’est celui pour lequel la part affective de la douleur est la plus forte. Cette recherche a fait l’objet d’une publication dans le numéro 155 de la revue “Pain”.
La continuité fonctionnelle tissulaire a également été à l’honneur avec la projection des derniers films de J.C. Guimberteau et les réflexions de ce dernier sur cette observation in-vivo. Cette approche de la matière vivante est probablement la plus proche de ce que le toucher manuel de relation proposé par la Méthode Danis Bois permet de percevoir sous la main : un univers fibrillaire en mouvement permanent, ininterrompu, tridimensionnel, d’une grande variété et au comportement imprévisible et aléatoire. Un nouveau modèle de compréhension de la biomécanique fibrillaire et une évidente objectivation des ressentis et des vécus manuels.
Rôles du fascia dans la mécanique musculaire et les tendinopathies
Sur le plan embryologique le fascia semble jouer un rôle dans l’organisation et la fragmentation de la masse musculaire et concourt à l’individualisation des muscles (Schuenke). Sans la présence des fascias, la masse musculaire est absente et/ou ne s’individualise pas, alors qu’en l’absence de myoblastes le fascia se développe harmonieusement. La présence de cellules souches dans le fascia semble avérée et lui donnerait des capacités de régénération (auto-renouvellement) à caractère multipotent : par exemple, l’épimysium pourrait se transformer en cartilage et le paraténon en os.
Le muscle a été présenté comme un organe connecté (Yucesoy) : l’épimisyum avec son environnement et les fibres musculaires avec la matrice extra cellulaire (tissu interstitiel). Ces interactions musculo-fasciales affectent substantiellement la mécanique musculaire et ses capacités de force et de mouvement. L’auteur a même indiqué que lors d’un mouvement de contraction, c’était moins le muscle qui se contractait que le fascia et le tissu interstitiel connectif.
L’acide hyaluronique est un des composants principaux de la matrice extracellulaire formant le système fascial. Les travaux présentés par (Rhagavan) indiquent que la « raideur » du fascia (viscoélasticité) serait liée à la sécrétion d’acide hyaluronique par certains fibroblastes spécialisés (fasciacytes) du tissu fascial, avec des répercussions sur les possibilités de glissement et de mouvement des fascias dans tous les plans. Des expérimentations faites par injection d’acide hyaluronique indiquent que 1) cette raideur fasciale pourrait être un des facteurs principaux de la spasticité (défaillance du relâchement musculaire correspondant approximativement à une contraction réflexe d'un muscle en réponse à son propre étirement), 2) la présence d’acide hyaluronique permettrait de réduire les manifestations périphériques impliquées dans la spasticité. Un intérêt évident pour les thérapies manuelles et gestuelles en neurologie puisque l’immobilité change le métabolisme de l’acide hyaluronique.
L’implication des myofibroblastes (cellules musculaires lisses intra-fasciales) dans la raideur et la tension de la matrice extra cellulaire a également été évoquée (Hintz). Les fibroblastes en devenant myofibroblastes sous l’effet de contraintes mécaniques ou du stress activent la production de TGF-β1 (rôle dans différentes pathologies humaines, comme la fibrose ou rôle antagoniste dans le développement tumoral). L’activation de la TGF-β1 dépend aussi de l’organisation du maillage de la matrice extra-cellulaire. Plus le tissu est tendu, plus les cellules (et notamment les fibroblastes) se dotent de capacité contractiles. Il semblerait que ceci soit régulé par des protéines porteuses de type LTBP-1.
Concernant le rôle des fascias dans les tendinopathies, des chercheurs (Kjaer et A. Stecco) ont mis en évidence les décalages entre les symptômes et les résultats de l'imagerie d’une part et entre la modification des tissus et la douleur perçue d’autre part. Ainsi, 34% des tendons asymptomatiques montrent des changements histo-pathologiques. La douleur ne proviendrait probablement pas du tendon chez la majorité des patients.
A. Stecco a insisté sur la disproportion entre les études menées sur le tendon (6920) et celles sur le paratendon (37). La littérature indique d’une part que les tendons douloureux chroniques présentent une croissance interne des nerfs sensoriels et sympathiques du paratendon avec libération de substances nociceptives. D’autre part, la dénervation du paratendon du tendon d’Achille suffit à soulager la douleur de la majorité des patients. Et enfin, le début des lésions et de l’inflammation se ferait au niveau du paratendon et non dans le tendon lui-même. Des observations macro et microscopiques (A. Stecco) mettent en évidence 1) que le paratendon est plus vascularisé et innervé que le tendon, ce qui peut expliquer son rôle dans l’inflammation, les lésions et les douleurs tendineuses, 2) qu’il y a une continuité entre le fascia crural, le paratendon du tendon d’Achille et l’aponévrose plantaire et enfin 3) qu’il apparaît un épaississement du fascia crural et de l’aponévrose plantaire dans les tendinites d’Achille chroniques. Les modifications de viscoélasticité expliqueraient la variation du glissement aponévrotique et par conséquent de l'amplitude des mouvements. Il est ainsi proposé que le traitement de la tendinopathie d’Achille soit global et prenne en compte le fascia crural, le tendon et son paratendon ainsi que l’aponévrose plantaire.
Les traitements manuels des fascias
Plusieurs études des effets d’un traitement fascial (comparé à une intervention classique adhoc) sur la raideur fasciale confirment la pertinence thérapeutique d’un toucher manuel du fascia : évolution de la viscoélasticité du tendon d’Achille et des fascias plantaires qui se traduit par une plus grande flexibilité des tissus (Frenzel) ; amélioration à long terme du syndrome du canal carpien et restauration de la fonctionnalité de la main (Pratelli).
La dernière matinée a été consacrée à la présentation de méthodes d’objectivation des traitements du fascia. Nous avons particulièrement été intéressés par les possibilités qu’offrent les nouvelles technologies (échographie, élastographie) pour observer les effets des thérapeutiques manuelles ou gestuelles sur le fascia. Il devient possible d’observer très finement les effets spécifiques des différentes techniques. Une session de formation à ces nouveaux outils de recherche était d’ailleurs proposée lors de ce congrès.
Le fascia et les méthodes d’évaluation des travaux de recherche
Une partie de ce congrès a été consacrée à la formation à la recherche. Nous avons ainsi eu la chance d’assister à une intervention de T. Findley sur la meilleure manière de réaliser et de présenter un résumé au prochain FRC qui aura lieu en 2018. À partir d’exemples de résumés retenus pour cette édition et de son expérience personnelle d’auteur, il a présenté de façon encourageante et décomplexée les lignes directrices pour la publication. De quoi motiver tous les praticiens et chercheurs présents !
La représentation de la France
La France était bien représentée lors de ce Congrès, à travers les présentations orales et les posters de praticiens-chercheurs ostéopathes et fasciathérapeutes.
Une équipe du CEESO de Lyon (repésentée par M. Locatelli et J. Gentil-Bécoz) a présenté une communication orale sur l’effet d’une technique endothoracique de myofascial release (MFR) sur le système nerveux autonome auprès d’une population asymptomatique et un poster sur les effets immédiats de techniques d’énergie musculaire (MET) sur la performance musculaire des quadriceps lors des sauts verticaux.
Une autre ostéopathe du CEESO, S. Delval, a présenté un poster issu de son mémoire d’ostéopathie. Ce poster présentait une hypothèse physiologique du mode d’action de la technique manuelle de Recoil. Son efficacité clinique pourrait être due à une oscillation mécanique transmise par le fascia.
Une équipe de l’IHDEO de Nantes représentée par B. Quéran a présenté une étude montrant qu’une technique de pompage thoraco-abdominale appliquée à des souris présentant un ostéosarcome n'accélérait pas le développement de la tumeur primaire ni la création de métastases.
Une équipe franco-belge a présenté 4 travaux portant sur la fasciathérapie MDB, effectués en lien avec, ou dans le cadre du CERAP :
- Le Dr B. Payrau a présenté une étude clinique montrant que la fasciathérapie MDB a, sur l’anxiété, des effets identiques à l’hypnose et à la réflexologie, et supérieurs à la musicothérapie ou l’absence de traitement.
- A. Lieutaud a présenté les résultats préliminaires de la thèse de doctorat en Sciences Sociales de C. Courraud montrant les impacts du toucher psychotonique utilisé en fasciathérapie MDB sur le toucher thérapeutique en kinésithérapie.
- P. Rosier et C. Dupuis ont chacun présenté un poster portant respectivement sur les effets de la fasciathérapie sur la récupération somatique et psychique du sportif de haut niveau et sur l’évaluation des effets de la fasciathérapie sur les douleurs de la fibromyalgie.
Atelier pratique post-congrès
Deux journées post-congrès avaient été organisées pour que les structures le souhaitant puissent proposer des ateliers pratiques (workshops) proposant aux participants de mettre en pratique ou de prolonger les connaissances acquises pendant le congrès et de découvrir des approches nouvelles manuelles, gestuelles ou instrumentales.
Notre workshop a réuni plusieurs nationalités de praticiens (américains, allemands, néo-zélandais, canadiens, français) et a été particulièrement apprécié.
Rendez-vous en 2018 pour le prochain FRC !
Pour aller plus loin ou retrouver des informations sur cet événement :
Site du FRC 2015 : http://www.fasciacongress.org/2015
Site de la Fascia Research Society : https://fasciaresearchsociety.org
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