Fasciathérapie Méthode Danis Bois et tonus fascial

Fascia B. DEMAIO
Auteur(s) :

Cyril Dupuis - Assistant chercheur, formateur en thérapie manuelle des fascias.


Pour citer cet article : DUPUIS, C. (2022). Fasciathérapie Méthode Danis Bois et Tonus Fascial. Réciprocités, 11, 4‑13. https://doi.org/10.5281/zenodo.10029949


Résumé

L’évaluation de la tonicité corporelle et sa régulation a depuis très longtemps constitué une approche thérapeutique très répandue. L’origine de ce tonus est de mieux en mieux comprise, et l’implication du fascia dans ce phénomène semble incontournable. Les recherches actuelles sur le fascia tendent à confirmer les intuitions des fondateurs des thérapies manuelles et gestuelles. Sa place dans la physiologie et notamment dans la régulation du tonus myofascial, ainsi que son lien avec la vie psychique devient de plus en plus évident. Ainsi, les actions somato-psychiques de la fasciathérapie.

Mots clés :  fascia, fasciathérapie, tonus, lien corps esprit, psychotonus


Introduction

Depuis la haute antiquité, voir la préhistoire, l’homme a utilisé la palpation pour évaluer l’état de santé de ses congénères (Wikipédia, 2016). Ces techniques palpatoires permettent d’évaluer la souplesse, la texture, la température, la présence de zones indurées, la pulsatilité des tissus et ainsi estimer le caractère normal ou non des tissus. A partir de ces informations, de nombreuses techniques à visée thérapeutique ont été déployées au fil du temps.

La fin du 19e siècle et le début du 20e ont connu un essor des thérapies manuelles, d’abord avec Still pour l’ostéopathie et Palmer pour la chiropraxie, puis avec nombre de leurs disciples par la suite. En France, du milieu du 20e siècle à aujourd’hui, de nombreuses thérapies manuelles ont vues le jour. Elles ont toutes comme point commun d’utiliser la palpation des tissus pour établir un diagnostic. Nombre de ces praticiens décrivent des modifications de la densité ou de la tension des tissus (Luomala et al., 2014).

Mais quels sont ces changements de la qualité des tissus qu’il est possible d’évaluer à la palpation ? A la lecture de la littérature, on retrouve principalement les termes grosseur, texture, souplesse, tension, densité, épaisseur, chaleur, résistance. Une catégorisation rapide permet de conserver 4 grands paramètres : la densité, l’élasticité, la tension et la température. Pour les 3 premiers paramètres, il faut relever que ces perceptions ne sont pas limitées aux tissus musculaires, et sont également perçues dans des zones viscérales. Nous allons voir que le fascia est impliqué dans la régulation de ces 3 paramètres « mécaniques ».

Mais le fascia, qu’est-ce que c’est ?

Lors du développement des connaissances anatomiques, le fascia a très longtemps été « la substance blanche qu’il faut retirer afin de "voir quelque chose" » (Schleip et al., 2012). Bichat, au XIXe siècle, a été le premier à lui consacrer un ouvrage (Bichat, 1827) et il s’étonnait déjà que cette structure ne fasse l’objet d’aucune étude en tant qu’organe à part entière. Le fascia était ainsi un simple tissu d’enveloppe, au mieux, et a parfois été considéré comme un simple « tissu de remplissage » (Guimberteau et al., 2005).

Plus tard, ce sont les praticiens qui ont constaté empiriquement que les fascias connectaient les organes les uns aux autres. Ceci a ouvert la voie à des approches thérapeutiques manuelles prenant en compte ces chaines myofasciales. Certains chercheurs évoquent même l’image du corps constitué d’un seul muscle répartit dans 500 enveloppes fasciales, alors que d’autres font des structures fasciales denses un véritable « ectosquelette » mou, permettant les insertions musculaires (Shaw, 2007).

Plus récemment, les observations de Guimberteau sur le tissu conjonctif in vivo ont mis en évidence son omniprésence, sa structure fibreuse et aqueuse ainsi que sa continuité totale à l’intérieur de l’organisme (Guimberteau & Armstrong, 2015). Cette omniprésence et ces capacités architecturales ont également été confirmées par des études d’embryologie ayant montré que la genèse des organes se faisait sur une base conjonctive préexistante et garante de la forme (Schuenke, 2015).

Ainsi, le fascia est aujourd’hui considéré comme un organe à part entière (le 80e organe du corps humain (Moody, 2018)) et les spécialistes le considèrent même comme un véritable système aux fonctions multiples (Courraud, 2019a).

Les paramètres mécaniques du fascia

Nous allons nous pencher sur les paramètres "mécaniques" relevés par les praticiens : la densité, l’élasticité et la tension. Pour ce qui est de la tension, la tentation est forte de l’attribuer aux muscles. Et il est fort probable qu’ils soient à l’origine de la majorité des tensions physiologiques du corps humain. Cependant, la transmission de ces tensions et leur répartition sont entièrement dédiées au fascia comme nous allons le voir.

Les chaines myofasciales et la biotenségrité

Dans le début des années 80, Busquet est un des premiers à décrire et à systématiser un ensemble de chaines musculaires (Busquet, 1982). En 2001, c’est Myers qui publie un livre sur les chaines anatomiques et qui ajoute la notion de continuité myofasciale (Myers, 2001). Ces concepts, qu’ils soient issus de la pratique clinique ou de l’observation anatomique ont été repris par de nombreux auteurs, spécialistes du fascia ou non (Chauffour & Guillot, 1985 ; Kabat & Knott, 1953 ; Struyf-Denys, 1978 ; Tittel & Opitz, 1963).

De plus, dans l’intimité de l’unité myofasciale, c’est la partie conjonctive (et donc fasciale) qui est chargée de transmettre, d’orienter et de répartir les contraintes mécaniques (Falla et al., 2014). Cette répartition se fait dans les différentes parties d’un même muscle, puis dans le groupe musculaire et s’étend même jusqu’aux muscles antagonistes, dans un véritable réseau fascial de régulation des forces de tension (Rijkelijkhuizen et al., 2007; Stecco, 2014).

Une manière inhabituelle et relativement révolutionnaire d’envisager la transmission de forces par le fascia est l’application du modèle de la tenségrité au vivant : la biotenségrité. Levin a été un des pionniers de cette approche (Levin, 1980). La notion de tenségrité a été empruntée à l’architecture, Wikipédia proposant comme définition « la faculté d'une structure à se stabiliser par le jeu des forces de tension et de compression qui s'y répartissent et s'y équilibrent. » (Wikipédia, 2021).

La biotenségrité envisage ainsi le corps comme un ensemble de structures en compression (l’os) dans un environnement tensionnel (le fascia). De cette manière, la tension est distribuée dans toute la structure et de manière omnidirectionnelle. A chaque fois qu’une partie du corps bouge, c’est l’ensemble qui s’adapte à cette modification.

Aujourd’hui, cette continuité anatomique et fonctionnelle est acceptée sans discussion par l’ensemble de la communauté scientifique. Il est donc aisé et pertinent d’envisager une évaluation manuelle et une régulation de cette tension tissulaire. Nous allons voir que l’origine de cette tension n’est plus envisagée d’un point de vue uniquement musculaire, mais inclut aussi le fascia pour différentes raisons.

La contractilité fasciale

La capacité de contraction du fascia est depuis longtemps évoqué par les thérapeutes manuels et notamment dans les travaux de Bois (Bois & Berger, 1989). L’existence de cellules musculaires lisses (myofibroblastes) dans les fascias, ainsi que leur influence sur la biomécanique du corps ont été mises en évidence en laboratoire (Schleip et al., 2005, 2006; Schleip & Klingler, 2019). Cette contraction peut être soit physiologique, pour adapter ou répartir les contraintes musculaires, soit pathologique comme dans la lombalgie commune (Hodges & Danneels, 2019; Wilke et al., 2017), la capsulite rétractile (Bunker, 2011; Bunker & Anthony, 1995) ou la maladie de Dupuytren (Badalamente et al., 1983; Tomasek et al., 1986).

Ces capacités contractiles permettent d’adapter le tonus fascial de manière autonome, sans passer par la commande musculaire. In vitro, il a été montré que ces myofibroblastes se contractaient en présence de cytokines liées au stress, ce qui pourrait expliquer en partie le lien « top-down » entre la vie psychique de la personne et son tonus fascial. Ce lien avait été évoqué très tôt par Bois, notamment dans son ouvrage « Concepts fondamentaux de fasciathérapie et de pulsologie » (Bois, 1984).

En plus de cette contractilité due à des cellules spécialisées, il existe dans le fascia, notamment aréolaire, une tension, maintenue par les fibroblastes sur les fibres de collagène (Langevin et al., 2013; Reed & Rubin, 2010). Ce tonus maintenu dans la matrice extracellulaire (MEC) crée une sous-hydratation, notamment dans le système micro-vacuolaire (Guimberteau et al., 2005). Dans ces mêmes études, il a été observé que lors d’une inflammation, les fibroblastes se relâchaient, laissant pénétrer de l’eau et enclenchant le phénomène d’œdème.

Ces phénomènes d’adaptation dynamique autonome des fascias et de régulation du tonus de la MEC sont probablement ce que perçoivent les thérapeutes manuels lorsqu’ils décrivent un relâchement des tissus. Pour le fasciathérapeute, c’est également un point de repère pour évaluer l’efficacité de son geste thérapeutique et orienter son traitement, dans le but d’optimiser la régulation du tonus corporel (et psychique comme nous le verrons plus loin).

Thixotropie et mécanotransduction

La thixotropie est la capacité d’un matériau à passer d’un état visqueux (type gel) à un état liquide (type solution). On parle parfois de propriété gel/sol. Dans le corps humain, c’est majoritairement l’acide hyaluronique (AH), présent dans la MEC, qui présente cette caractéristique (Leon, 2018) et qui affecte la mécanique musculaire (Behm, 2018), tendineuse (Kjær, 2004) et fasciale (Stecco et al., 2021). Au repos, l’AH a tendance à se gélifier, alors qu’avec le mouvement, la chaleur ou l’acidité, il devient plus liquide. Ces modifications de caractéristique mécanique ont été liées à l’hydratation des tissus (Barbucci et al., 2006). Ainsi, plus l’AH retient l’eau, plus il est fluide ; alors que quand il relargue l’eau, il augmente sa viscosité. Cette capacité est à mettre en lien avec le tonus des fibroblastes, que nous avons vu précédemment, qui module l’hydratation de la MEC et donc sa viscosité.

Ces modifications de viscosité peuvent expliquer la perception de « fonte » des tissus, de glissements facilité des différents plans, décrite par les thérapeutes manuels lorsqu’ils travaillent sur le fascia (Chaitow et al., 2012).

La mécanotransduction est la transformation d’un stimulus mécanique en un signal biochimique. Il a été montré que les cellules sont sensibles aux caractéristiques mécaniques de leur environnement (forme, déformation, viscoélasticité et tensions de la MEC) (Borghi et al., 2016). Les stimuli mécaniques peuvent déclencher dans la cellule une modification de la structure des protéines, une modification de leur fonction et enclencher des signaux de communication intercellulaire par la sécrétion de cytokines (Borghi et al., 2016; Chiquet, 1999; Sarasa‐ Renedo & Chiquet, 2005). Grâce à une meilleure compréhension de ces phénomènes, il devient possible d’envisager les effets des thérapies manuelles non seulement sur l’équilibre mécanique du corps humain (Langevin, 2006), mais également sur son fonctionnement au niveau cellulaire et par voie de conséquence sur la fonction des organes eux-mêmes (Ingber, 2008). Ainsi, une stimulation mécanique en un point du corps peut être transmise à l’ensemble par les caractéristiques biotenségrales et modifier le fonctionnement cellulaire d’un organe, à distance du stimulus.

Le psychotonus

Au milieu du siècle dernier, Thomas et de Ajuriaguerra ont étudié le lien qu’il pouvait exister entre le tonus musculaire et le tonus psychique (Thomas & de Ajuriaguerra, 1949). Plus récemment, Bois a repris ces travaux et les a enrichis de son expérience et des nouvelles données sur le fascia et son lien avec la vie psychique (Bois, 2006). Ceci l’a conduit à proposer la notion de psychotonus, véritable architecture tonique de la personne. Le tonus est ainsi envisagé comme « un trait d'union majeur entre le monde corporel et le monde psychique. [...] Il est comme une corde tendue entre le psychisme et le corps qui interagissent en permanence » (ibid.). Cette théorisation ancrée dans la pratique venait formaliser l’expérience de modifications cognitives, très fréquemment rapportée par les patients aux praticiens.

Les recherches récentes ont permis de confirmer le lien privilégié qu’il existe entre le fascia et la vie psychique du sujet. Leur tension est connue pour altérer l’humeur et le champ émotionnel (Bordoni & Marelli, 2017) et leur sensibilité affecte particulièrement la vie émotionnelle (Schilder et al., 2014).

Ces nouvelles connaissances donnent une vision encore plus large des régulations induites par la modulation du tonus corporel. Le tonus est ainsi à l’interface de la modulation de la vie cellulaire, de la communication entre les grands systèmes, de la motricité et de la vie cognitive et émotionnelle. Le psychotonus peut donc raisonnablement être envisagé comme une force vitale, dédiée à l’adaptation globale de la personne, à son milieu et ses besoins physiologiques. La richesse des interactions du fascia avec tous les grands systèmes, y compris psychiques, peut ainsi légitimer l’approche holistique de la fasciathérapie (Courraud, 2019b). C’est son toucher « psychotonique » qui est très probablement à l’origine des effets tant somatiques que psychiques du traitement en fasciathérapie (Courraud et al., 2015, 2021).

Conclusion

Nous avons pu voir, au fil de cet article, que la connaissance empirique des caractéristiques mécaniques du corps que l’homme a développé et affiné depuis plus de trois millénaires est depuis quelques décennies revisitée, et en grande part validée, par la science. Ainsi, l’expérience manuelle (et donc sensible) que les thérapeutes ont acquis au fil du temps se voit aujourd’hui validée scientifiquement. L’imagerie médicale moderne, "objective", vient confirmer, voir épauler la palpation du praticien, plus "subjective" (Mariappan et al., 2010).

En parallèle, la place qui est faite au fascia dans les thérapies manuelles est croissante, et ses nombreuses fonctions viennent apporter des réponses aux approches qui se questionnaient sur le mécanisme d’action de leurs interventions (Avison, 2021; Finando & Finando, 2011; Simmonds et al., 2012).

La fasciathérapie voit ainsi les intuitions de ses fondateurs en grande partie validées par les recherches scientifiques actuelles sur les fonctions du fascia. La modulation du tonus, perçue par la main du fasciathérapeute, peut ainsi être liée à différents phénomènes adaptatifs physiologiques, mis en évidence par la science. De plus, à l’instar de la recherche sur le microbiote qui a ajouté la notion de psychobiote, la fasciathérapie ajoute à la notion de tonus corporel le concept de psychotonus, véritable interface entre vie somatique et vie psychique.

Pour ce qui concerne l’actualité de la recherche en fasciathérapie, une étude exploratoire (Bertrand et al., 2019 ; Dupuis & Courraud, 2021), chapeautée par le CERAP et destinée à mesurer l’élasticité du fascia thoracolombaire avant et après traitement de fasciathérapie MDB, a été menée à l’hôpital universitaire Fernando Pessoa. Les premiers résultats étant encourageants, une seconde étude, de plus grande envergure, devrait être menée en collaboration avec l’université Fernando Pessoa (Porto, Portugal) et devrait enrichir les connaissances en lien avec le tonus et l’impact de la fasciathérapie sur cette caractéristique physique du fascia.

Cyril Dupuis

Sources: 

Réciprocités N°11
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La revue "Réciprocités"

Cet article est issu de notre revue :

Numéro 11 - Fascias, fasciathérapie et somato-psychopédagogie