Exploration du processus de transformation de soi au contact de la recherche dans et sur le Sensible

gravure du moyen-âge publiée dans "L'atmosphère : météorologie populaire" (1888) de Camille Flammarion, qui l'a intitulée « Universum » (c) Collective Commons
Auteur(s) :

Anne Lieutaud - Professeur auxilliaire invitée de l'UFP, Docteure en sciences sociales

PhD Sciences sociales option psychopédagogie, chercheure et consultante indépendante

L’histoire de mon sujet de recherche s’origine dans une expérience inattendue qui m’a conduite au cours de mon 2è master de recherche à la remise en question de mes référentiels scientifiques et plus loin, de ma vision du monde. Je me suis inscrite à ce master en psychopédagogie perceptive avec la tranquillité d’esprit que m’apportait mon expérience de scientifique. J’avais exercé le métier de chercheur dans le domaine de l’écologie aquatique et marine pendant plus de sept années. Avec une pratique confirmée de la recherche scientifique, j’avais une bonne maîtrise des méthodologies, analyses et argumentations employées dans mon champ disciplinaire. Ma motivation en me lançant dans l’expérience universitaire au sein du CERAP[1] était autant de contribuer à un projet collectif que de retrouver le plaisir de la recherche que j’avais quitté huit ans plus tôt.

Ma rencontre avec l’épistémologie qualitative et sa pertinence scientifique a eu l’effet d’un choc culturel. J’usais mes résistances argumentatives et émotionnelles sur quatre sujets de recherche successifs : je ne comprenais pas la scientificité qu’il y avait à explorer mon histoire personnelle et la perspective d’approcher ce qui relève de l’intime avec la rigueur froide d’une approche scientifique m’inquiétait. La solution a été d’étudier méthodiquement les difficultés rencontrées par mes collègues chercheurs, praticiens découvrant la recherche. Ce sujet est devenu une exploration du processus de transformation rencontré par le praticien du Sensible qui devient praticien-chercheur, exploration dans laquelle je pouvais mettre ma propre expérience en dialogue. Le présent article s’appuie sur les résultats de cette recherche (Lieutaud, 2008).

J’ai donc interviewé six collègues chercheurs, praticiens du Sensible de métier, en les questionnant sur leur vécu au cours de ce cursus, les difficultés rencontrées, les voies de passage mises en œuvre, les idées préalables qu’ils se faisaient de la recherche etc. J’ai finalement conduit une analyse complète des résultats sur un seul de ces entretiens, celui d’Arnaud (A1 cité par Lieutaud, 2008). Parmi les cinq autres, deux m’ont en fait servi d’entretiens exploratoires. Les trois restants n’ont pas pu être valablement exploités en raison du caractère incomplet des données recueillies.

Je vais présenter les résultats de cette recherche en dialogue avec ma propre expérience et ce que dit la littérature scientifique sur le sujet. Deux parties successives aborderont respectivement ce qui relève du conflit cognitif rencontré au contact de la recherche, et ce qui concerne le processus de transformation, ce qui le révèle, ses mécanismes. Je mettrai chemin faisant en évidence les aspects qui me semblent spécifiques de la dynamique du Sensible[2] et de ses apports.

Devenir praticien chercheur : conflit cognitif  et représentationnel

La problématique de la posture du praticien-chercheur est assez abondamment documentée, notamment dans le monde des sciences de l’éducation (Kohn, Drouard, Albarello, etc.). Quelques travaux infirmiers abordent aussi cette question, à la suite d’Anne Perraut Soliveres, dont la thèse « Infirmières, le savoir de la nuit » a été primée en 2001. Mais peu ont tenté de décrire l’expérience vécue par le praticien qui devient praticien-chercheur. Quelques éléments de réflexion trouvés au sein de publications centrées sur d’autres questions font état de vécus ou de difficultés, en particulier celles qui concernent les recherches – formations.

Certes le doctorant qui rencontre la recherche est confronté au vigoureux apprentissage de l’intransigeante rigueur de la démarche scientifique, à l’exigence de l’écriture, à la pertinence de son questionnement. Mais le praticien, lui, doit passer d’un ensemble de certitudes dans lesquelles s’inscrit sa compétence professionnelle à un questionnement permanent impliquant une distanciation. Pour Bourgeois (2004), « le défi de la formation de praticiens-chercheurs est de leur donner les moyens de penser contre soi » (p. 7). Dans une telle démarche, ce penser contre soi est à la fois une confrontation cognitive entre une structure de connaissance initiale et des informations externes (perspective constructiviste) ou nouvelles (perspective de recherche), et un système de régulation qui favorise une transformation de la structure initiale plutôt que sa régulation homéostatique (p. 6-7).

Savoirs tiers et conflits cognitifs, apprendre à penser contre soi, confrontation et transformation des représentations, tout cela est présent dans mes résultats. Je me propose de les présenter ici sous quatre angles présents dans la littérature : le rapport aux savoirs, qui sous-tend le conflit cognitif, la réflexivité qui peut conduire à ce « penser contre soi », la distance et l’implication qui caractérisent la posture du praticien-chercheur, la transformation des représentations.

La rencontre avec des savoirs tiers, première étape du conflit cognitif

Dans un ouvrage sur la formation à la recherche de professionnels de l’éducation, Drouard (2006) questionne le rapport de l’enseignement à la formation et de la formation à la recherche en proposant une centration sur le sujet formateur-chercheur. Ce faisant, il propose un autre regard sur la circulation des savoirs entre accompagnants, ou « passeurs » expérimentés, et « découvreurs » se formant à la recherche. Selon lui, dans un dispositif de formation par la recherche d’enseignants ayant plusieurs années de pratique de leur métier, l’échange de savoirs ne peut se faire selon le mode bilatéral classique formateur-formé, car l’enseignant apprenant arrive en formation avec un certain bagage professionnel qui va devenir son terrain de recherche. Dans une vision constructiviste et compréhensive, il revisite le triangle pédagogique de Jean Houssaye (savoirs, enseignant, enseigné) en proposant un triangle équilatéral de relations entre savoir, profession et sujet, à l’instar des interactions existant entre savoir, savoir-faire et savoir-être. La recherche apparaît dans la lecture des relations entre les pôles. Par exemple, le pôle du sujet formateur-chercheur est en relation au pôle profession par son bagage professionnel et son expertise du terrain, et au pôle du savoir par son apprentissage de nouvelles connaissances. Dans cette modélisation, la recherche est le produit de l’articulation des trois pôles. Elle n’est pas envisagée comme une nouvelle profession, perspective qui introduirait une dynamique temporelle dans l’expérience d’apprentissage permettant par exemple de situer dans le processus les moments de difficultés ou les solutions trouvées par l’apprenant.

Mes résultats de recherche confirment la réflexion systémique de Drouard. La rencontre avec les savoirs tiers a constitué une problématique centrale pour les praticiens interrogés, notamment par confrontation avec leur bagage professionnel. Ainsi, à propos de sa rencontre avec certains savoirs théoriques comme l’épistémologie ou la méthodologie de la recherche, Arnaud parle de savoirs « externes » indiquant implicitement que ses savoirs à lui sont « internes ». Il découvre par exemple ses propres mécanismes de construction de savoirs : « Savoir des choses de façon expérientielle, à travers l’approche du Sensible, beaucoup de choses que j’ai découvert connaître à l’intérieur de moi qui sont des choses que je valide comme connaissances. Confronter cette connaissance à la connaissance théorique des autres, pour moi ça a été une épreuve » (Lieutaud, 2008, p. 75).  C’est parce que ces savoirs, dits internes, lui viennent de son expérience qu’il leur reconnaît une valeur et les intègre dans sa compétence comme connaissances. Les savoirs tiers lui sont d’abord étrangers, mettent en question son expertise et semblent déconnectés de toute forme d’éprouvé expérientiel. Il en a une représentation déstabilisante. « La recherche c’était réservé à une élite intellectuelle (…) le manque de connaissances théoriques m’a complexé (…) j’ai un peu un rejet de l’élite intellectuelle (…) ça n’a pas été simple pour me sentir en confiance » (ibid., p. 75). Mais au-delà, c’est le rapport à soi, à l’image de soi qui est affectée. « J’ai eu des moments où je me trouvais trop intellectuel, trop loin de la réalité dans ma recherche (…) J’avais l’impression de sortir de qui je suis, de m’identifier à quelque chose que je ne suis pas. De pas me reconnaître en gros » (ibid., p. 76). Mais il observe simultanément et par contraste que son ouverture à des savoirs externes le consolide : « Quand on est pédagogue d’une méthode, on n’est pas obligé d’aller voir les autres, l’important c’est d’enseigner ce que les gens viennent chercher. Dans la recherche il n’est plus seulement question de bien connaître son domaine, mais comment ce domaine je le mets en valeur, en relief, je le reprécise, par rapport à la connaissance extérieure. (…)  Aujourd’hui j’ai l’impression d’avoir évolué et même être plus solide par le contact avec le savoir extérieur. Ça m’a donné du poids à moi, à la méthode que je veux enseigner » (ibid., p. 88). Cette ouverture lui donne un sentiment de développement de compétence  : « Ce que j’acquiers au niveau de la pratique d’enseignant, c’est une plus grande ouverture d’esprit, un sentiment de pouvoir mieux présenter les choses dans un contexte plus global, d’être moins clos sur ma connaissance. (…) Quand j’arrive devant les élèves j’ai l’impression que ce travail de recherche fait qu’ils ont en face d’eux quelqu'un qui est moins ancré sur ses positions (…) qui peut accueillir beaucoup plus de points de vue (…) mieux comprendre (ceux) qui viennent d’autres univers » (ibid., p. 83).

La répulsion d’Arnaud à l’égard des savoirs théoriques, qu’il assimile à la recherche, a certainement été déterminante dans son choix initial d’orientation professionnelle. Le métier de praticien du Sensible, en se revendiquant avant tout d’un savoir-faire expérientiel, ancre chez Arnaud ses valeurs de connaissance de terrain et d’accompagnement corporel de l’humain, avec cette idée implicite et sous-jacente que l’humain ne peut pas être vu à travers une théorie. Son expérience difficile de l’apprentissage des concepts et de l’épistémologie l’a conduit, un temps, à conforter cette assimilation qu’il faisait de la théorie à la recherche, qu’il se représentait donc comme purement intellectuelle et par nature coupée de la réalité du vivant.

Mais paradoxalement, tandis que l’expérience du Sensible se démarque d’un apprentissage cognitif, le Sensible est par nature un lieu de connaissance, puisque c’est au sein de l’expérience qu’émerge la connaissance immanente, qui par contraste avec les savoirs antérieurs, va produire un futur savoir nouveau.

Comme nous le verrons plus loin, au cœur de la crise, le Sensible est à la fois le lieu d’accès à la connaissance nouvelle et le vecteur des solutions et voies de passage. Cette dimension paradoxale de l’expérience du Sensible explique le fait que l’apprenti praticien-chercheur passe d’une posture de rejet des savoirs à celle de s’appuyer sur son expertise dans le Sensible pour accéder véritablement à ces savoirs.

Interroger sa pratique, une délicate rencontre avec la réflexivité et l’incertitude

Si l’on voit bien la difficulté et les gains de l’expérience d’une rencontre avec les savoirs tiers, le déroulement du conflit cognitif et de son dépassement se situe en grande partie dans l’acceptation d’un questionnement permanent, d’une situation d’incertitude qui est inhabituelle et délicate pour qui vient d’un métier fondé sur la solidité d’une expertise.

En sciences sociales, la réflexivité consiste d’abord à s'inclure dans son propre sujet d'étude par le biais de notes personnelles prises dans son carnet de terrain (Cefaï, 2003, p. 524). Le praticien réflexif opère un retour de sa pensée sur sa pratique, sans suivre une méthode particulière. En évoquant une réflexion sur soi, sur sa propre pratique et son positionnement personnel « en tant que praticien », Perraut Soliveres (2001) et Albarello (2004) soulignent que le praticien réflexif l’est doublement, comme praticien et comme personne. Albarello distingue la réflexion sur l’action qui relève du retour analytique sur une action passée, de la réflexion dans l’action qui s’appuie sur l’expertise mise en œuvre dans l’instant. La réflexivité du praticien est motivée par l’amélioration de sa pratique, tandis que celle du chercheur vise la production de connaissances « nouvelles » ou plus précises. Pour Etherington (2006), qui s’intéresse au praticien chercheur de l’accompagnement, la réflexivité du chercheur est liée à la conscience de soi (self-awareness). C’est une capacité à reconnaître ce que l’on pense et ressent, à « créer un processus dynamique d’interaction de soi à soi, de soi aux participants à la recherche, ainsi qu’aux données qui renseignent les décisions, actions et interprétations à tous les stades de la recherche » (Etherington, 2006, p. 34).

L’aptitude au questionnement est souvent considérée comme une prédisposition nécessaire au métier de chercheur. Les chercheurs disent souvent que pour se lancer dans une carrière scientifique il faut des qualités d’ouverture d’esprit, être capable de remettre en cause ce que l’on croit savoir, bien vivre avec la permanence d’idées instables. En tant que praticien découvrant la recherche, Arnaud considère lui aussi que la réflexivité du praticien est un préalable indispensable : « Dans une recherche il faut à mon avis être déjà un praticien réflexif. (…) On se pose des questions, soit à travers des insatisfactions, soit à travers des découvertes, mais il y a la réflexion qui est là, on veut aller plus loin. » (Lieutaud, 2008, p. 98).

Le praticien commence par faire face à la difficulté du sentiment d’incompétence : expert dans son domaine, il devient apprenant dans un champ encore en partie inconnu. Arnaud souligne qu’il a eu du mal à « ne pas s’apercevoir comme quelqu'un de compétent » dans cette expérience. En interrogeant sa pratique, il questionne son expertise professionnelle. C’est un changement de position en même temps qu’un face-à-face avec soi-même : « ça oblige à se mettre à l’épreuve de son terrain et donc à découvrir des choses qu’on n’avait pas vues. C’est un face-à-face. (ibid., p. 77) ». Il doit aller au-delà des affirmations, dépasser aussi ses habitudes argumentatives, pour apprendre la méthodologie du questionnement scientifique. La question de recherche « oblige à préciser sa pensée. Et ça, ça a été difficile. Définir clarifier ce qu’on veut vraiment. Traiter une question plutôt qu’un sujet. (ibid., p. 76) ». Pour cela, il faut accepter les savoirs tiers, apprendre ce que disent les autres, afin de mettre son point de vue en dialogue avec celui des autres : « La recherche ce n’est pas tenir à son point de vue, c’est savoir qu’on est dans un point de vue (…) S’informer du point de vue, c’est important je trouve pour comprendre les autres. (ibid., p. 84) ». Cette démarche transforme sa pensée : « Tout ça, c’est apprendre à réfléchir.(…) La recherche structure la réflexion, plus qu’elle ne fait réfléchir » (ibid., p. 84). Elle élargit sa capacité de compréhension et de réflexion : Quand j’arrive devant les élèves j’ai l’impression que ce travail de recherche fait qu’ils ont en face d’eux quelqu'un qui est moins ancré sur ses positions. » (ibid., p. 83). Sa pratique d’enseignant s’en trouve transformée autant que son métier d’accompagnant et de thérapeute. C’est cette position interrogative liée à la recherche qui a modifié en retour ses objectifs de formation pour y introduire une dimension réflexive : « Pour mes étudiants, maintenant c’est clairement explicité qu’il faut de la réflexion pour devenir praticien » (ibid., p. 84).

L’avantage des experts praticiens du Sensible est que leur formation et leur pratique les ont aguerris à l’introspection sensorielle, une exploration introspective des vécus du corps en temps réel de l’expérience (voir les outils du Sensible abondamment décrits par Berger, 2006, 2009 ; Bois, 2007, etc.), et parfois même à la description phénoménologique de l’expérience (Berger, 2009). Mais la confrontation du praticien à l’apprentissage du questionnement scientifique doit toujours se faire en première personne, avec des pistes de facilitations ou des voies de passage, comme nous le verrons plus loin.

L’implication, source de connaissance et posture de recherche

C’est pour le praticien une double difficulté que de rencontrer un questionnement avec lequel il ne se sent pas encore très compétent, et d’appliquer ce questionnement à sa propre pratique, qui est son espace de compétence. Ruth Canter-Kohn évoque la notion de chercheur de l’intérieur pour caractériser le chercheur qui vit cette situation étrange d’être l’objet de son étude ou d’appartenir au groupe sur lequel il engage sa recherche. C’est à la fois une difficulté et une ressource car cette expertise lui permet « d’entendre et de comprendre des choses incompréhensibles à quelqu'un venant ponctuellement, même si ce dernier, s’immerge, s’engage et parle en son nom propre » (Kohn, 2001, p. 20). Ici c’est l’implication même du praticien-chercheur dans sa pratique et sa communauté de pratique qui peut être source de connaissance.

Ce subtil équilibre de distance et d’implication donne à la posture du praticien-chercheur une originalité propre, même si elle ne lui est pas spécifique puisque le rapport entre la distance et l’implication est également une caractéristique de l’analyse des pratiques. Sans développer ce qui caractérise cette posture, sujet abondamment traité dans la littérature y compris dans le contexte du Sensible (Austry & Berger, 2009 ; Berger, 2009), je reprendrai quelques dimensions qui intéressent mon propos.

Arnaud, dont la pratique d’accompagnant dans le Sensible le rend expert de l’implication, évoque avant tout la découverte de la distance sous la forme de la posture interrogative du chercheur : « Je crois que le chercheur il se méfie de son interprétation même s’il la valide. Mais il a cette distance par rapport à ses propres connaissances. Non pas qu’il s’en méfie, il sait qu’il sait des choses, mais il ne sait pas forcément ce que l’autre veut dire. » (Lieutaud, 2008, p. 81). Son implication est plutôt exprimée sous la forme d’un engagement à aboutir, à franchir les étapes du chemin.

Un autre des participants à ma recherche, que je nomme ici Bernard, avait une difficulté particulière avec l’implication. Praticien de l’accompagnement et du soin sur le mode du Sensible, il possède une grande expertise de la réciprocité relationnelle et perceptive dans l’exercice de son métier. Il reconnaît maîtriser avec aisance dans son geste thérapeutique la qualité et le degré de son implication personnelle. En revanche, dans l’exercice de la recherche, au moment de notre entretien, la notion d’implication n’avait pas de sens pour lui, car il était pris dans une représentation de la scientificité comme devant être seulement « distanciée » et, d’une certaine façon, coupée de l’expérience.

J’ai moi aussi rencontré une difficulté avec l’implication. Celle-ci ne me posait pas de problème dans ma pratique personnelle et professionnelle du Sensible, mais elle en posait dans la démarche de « recherche en première personne » telle qu’explicitée par Vermersch (2000) : « Le point de vue en première personne est celui qu’un sujet peut exprimer à partir de son propre point de vue, grammaticalement en Je. Ce point de vue est unique, en ce sens qu’il ne qualifie que celui qu’un sujet a par rapport à lui-même. » (p. 23). Dans l’exposé de mon point de vue en première personne, moi chercheuse me mets en scène, m’expose. Le « je » que j’exprime n’est pas seulement le « je » méthodologique de Olivier de Sardan (2008). Il ne m’implique pas non plus seulement parce qu’il me concerne, comme tout praticien-chercheur. Il m’implique tout particulièrement parce qu’il m’expose à la lecture des autres, qu’il me met en scène, me porte à la face du monde, chose que je n’avais jamais faite ni su faire de ma vie personnelle ou de chercheur, mais aussi parce qu’il s’agit de l’exposition d’un intime que j’assimile à du privé : le Sensible et le rapport que j’entretiens avec lui. C’est précisément dans cette exposition qui transcende les peurs, les hontes ou les tabous personnels, que se loge la pertinence scientifique d’une telle écriture. En me dévoilant au monde, je me dévoile à moi-même et, ce faisant, découvre des aspects de mon expérience qui viennent éclairer et enrichir la compréhension que je peux déployer autour des vécus exprimés par les participants à ma recherche. En me dévoilant, je me découvre, en me découvrant je produis une connaissance que je n’avais pas et qui me permet d’améliorer, d’élargir, d’étayer par une plus grande assise expérientielle mon amplitude réflexive et de recherche.

Ce qu’il m’a été donné de découvrir à travers la question de l’implication dans la recherche, c’est que pour une personne acquise consciemment ou non à la pensée positiviste, l’expérience de la recherche qualitative et de l’implication de soi peut constituer une rupture épistémologique au sens de Bachelard. Ce qui se joue n’est pas seulement du ressort de la recherche. Il s’agit bien sûr, comme le dit Bachelard, de parvenir à neutraliser ses allants de soi, ses idées premières, ses connaissances précédentes, de les mettre de côté afin de pouvoir accéder à la nouveauté. Cette mise de côté rappelle un peu l’épochè phénoménologique par la mise en suspension recommandée des pensées initiales, des idées « premières » qui nuisent à la disponibilité de l’esprit. En fait, il s’agit surtout d’une question de vision du monde, de référentiel implicite rassemblant valeurs et codes de pratique – auxquels on adhère parfois sans le savoir – en d’autres termes, de paradigme au sens de Kuhn, en 1972. Et pour le dépasser, il faut au minimum franchir les frontières de nos représentations. Mon processus est passé par la rupture épistémologique.

Représentations et prises de conscience, la déstabilisation s’installe

Comme dans toute formation, l’apprentissage de la recherche se heurte à des résistances liées à des habitudes d’apprentissage, des a priori, des croyances, des représentations conscientes ou inconscientes. Simultanément, il invite l’apprenant au dépassement de ses propres limites.

Les représentations

La littérature est immense sur ce sujet dans le champ de la psychologie sociale, de la sociologie et de la psychologie cognitive, des sciences de l’éducation, pour ne citer que les disciplines les plus abondamment référencées. Dans sa thèse sur la transformation des représentations chez l’adulte en formation, Bois (2007) en propose d’abord une définition pour ainsi dire élémentaire : « Par définition, la représentation est là pour "valoir de", valoir à la place de la chose qui peut ne plus être présente. La représentation est faite pour être une "re-présentation" de la chose vue, entendue, sentie. » (p. 83). Mais pour lui les représentations sont en fait constituées d’émotions, de croyances, de valeurs et d’attitudes, complétées des interprétations suscitées au moment de la survenue d’événements, comme des opinions ou des pensées (ibid., p. 66).

Voici ce que l’on peut relever dans l’entretien avec Arnaud (Lieutaud, 2008, p. 74-78) :

  • a priori sur la recherche : « J’avais une idée que la recherche était quelque chose d’isolé du terrain (…) réservé à une élite intellectuelle (…) Je me disais c’est pas comme ça qu’il faut écrire dans la recherche, c’est sérieux. »
  • a priori sur soi face à la recherche : « Honnêtement je ne me sens pas doué (…), je ne suis pas quelqu'un de cultivé (…) Ma difficulté c’est de ne pas m’apercevoir comme quelqu'un de compétent dans ce domaine. » 
  • idées émergeant en début de cursus : « Une recherche c’était très strict. Y avait des règles, y avait des lois, y avait des procédures, un codifié. (…) Ça me paraissait une montagne. La recherche oui c’était … comme je te disais tout à l’heure est-ce que c’est fait pour moi ?  »
  • nouvelles images transitoires de soi : « J’ai eu moi des moments où je me trouvais trop intellectuel, trop loin de la réalité dans ma recherche. (…) J’avais l’impression de sortir de qui je suis, de m’identifier à quelque chose que je ne suis pas. De pas me reconnaître, en gros. »
  • de nouvelles idées sur la recherche, voire des compréhensions nouvelles sur la recherche, comme par exemple : « La recherche structure la réflexion, plus qu’elle ne fait réfléchir ».

Il s’agit ici d’idées préexistant à la situation d’apprentissage (a priori, impressions premières, …) ou émergeant en tout début de cursus, soit des idées nouvelles, révélées au contact de l’expérience.

Les représentations préexistantes sont la plupart du temps des croyances limitantes qui apparaissent par contraste : c’est en découvrant ce qu’est vraiment la recherche qu’on prend la mesure de l’idée qu’on en avait.

L’apparition des représentations nouvelles pendant la formation peut être comprise selon le constructivisme de Piaget : elles naissent dans la confrontation de savoirs internes et de savoirs externes, par assimilation et accommodation, qui se résout dans une « équilibration majorante ».

Il y a également, dans ces représentations émergentes, celles qui se donnent par contraste, sous la forme d’une connaissance immanente – telle que définie par Bois (2007), c’est-à-dire une connaissance qui se donne au cœur de l’expérience perceptive du corps au contact du Sensible – et qui apporte une résolution ou contribue à résoudre la difficulté que constituait la représentation initiale. Ce sont des découvertes, des surprises, en même temps que des prises de conscience. On peut mettre dans cette catégorie un ensemble de découvertes qui révèlent l’idée initiale inverse (Lieutaud, 2008, p. 80-85) : les points de vue, et le fait que la recherche ne consiste pas à tenir à son point de vue, mais à savoir qu’on en a un et qu’il nous oriente ; le point de vue des autres qui peut nous rendre plus fort dans notre propre compétence ; les enjeux que nous plaçons dans nos rapports aux savoirs ; la valorisation comme connaissance des savoirs expérientiels ; la recherche comme facteur de transformation de soi ; l’exigence scientifique qui se répercute dans un gain de précision et d’ouverture du toucher du praticien. Cette découverte-là, exprimée par Arnaud comme une surprise, est emblématique d’une connaissance par contraste révélant l’a priori sous-jacent sur la recherche qui ne peut rien apporter au plan perceptif puisque ce n’est qu’un « truc de pensée » (ibid., p. 76).

La crise

D’après les travaux d’Argyris et Schön, en situation d’auto-apprentissage « le passage de l’inefficacité à l’efficacité implique pour l’apprenant de changer ses stratégies ou représentations habituelles. Il s’ensuit le plus souvent une période de crise ou de confrontation négociée, soit de façon négative en mettant en jeu des routines défensives, des stratégies d’évitement voire des subterfuges, soit de façon positive en profitant de cette crise pour changer et rechercher des solutions en dehors du cadre de référence habituel. » (Bois, 2007, p. 68)

Arnaud évoque des situations de « coping », de révolte, face à la difficulté. Mais il reconnaît ce mécanisme chez lui comme un moyen de se remobiliser pour dépasser la difficulté. Dans mon propre processus, la crise a été longue. Elle a pris des formes variées de phases de colère et de révolte comme, pour Arnaud, de travail intense, de constat d’incompétence, de découragement extrême, de changement de question de recherche… J’étais face à des résistances représentationnelles multiples. J’avais au départ une idée de ma maîtrise de la recherche. Et puis j’ai vu mon incapacité de me prendre comme sujet et objet de recherche. Incapacité qui relevait autant de mes a priori sur la science que de mes a priori sur le regard des autres, et qui plaçait cette résistance sur le terrain des conflits de valeurs : parler de moi était une menace d’un probable jugement externe autant qu’un acte égotique que je réprouvais.

Devenir praticien chercheur : un enjeu et un processus de transformation de soi

Pour Giordan (1998, p. 125), « les informations propres à permettre un apprentissage ne peuvent être assimilées directement, elles vont le plus souvent à l'encontre de la structure de pensée ». Elles nécessitent une « véritable déconstruction de ses conceptions ». C’est lorsque les résistances rencontrent le registre des valeurs que les confrontations internes sont le plus difficile à vivre et que l’enjeu d’apprentissage devient un enjeu de transformation.

Changements et transformations - ce que dit la littérature sur …

… les situations d’apprentissage

Dans le constructivisme de Piaget, la confrontation signe la situation potentielle d’apprentissage, puisque celui-ci commence par étapes dès l’instant où « la situation nouvelle bouleverse le champ actuel en créant un déséquilibre que le sujet devra compenser par une adaptation de laquelle résultera une rééquilibration majorante » (Bertrand, 1998 p. 141). Le déséquilibre peut être le fait d’oppositions ou de résistances aux éléments nouveaux apportés. Il peut aussi résulter d’une lacune dans la structure d’accueil du sujet, que la situation nouvelle révèle (Bourgeois & Nizet, 1997, p. 56). L’adaptation consécutive commence par une phase d’assimilation où le sujet tente d’intégrer ce qui lui est apporté au sein de ce qu’il connaît déjà, suivie d’une phase d’accommodation qui nécessite sa propre transformation pour qu’il puisse accueillir l’information nouvelle autrement incompréhensible. Dans ce mécanisme, les représentations et les a priori peuvent être des obstacles à l’apprentissage en maintenant le sujet au stade de l’assimilation. Le passage de l’assimilation à l’accommodation se fait lorsque le déséquilibre produit par l’information nouvelle est trop grand pour préserver la stabilité de la structure d’accueil. L’accommodation se résout dans l’équilibration, selon un processus que Piaget décrit sous un angle cognitif et analytique qui ne donne pas accès au vécu effectif de la personne.

Le concept de la modifiabilité perceptivo-cognitive conçu par Danis Bois (2007) propose une description de ce processus de passage, sous la forme d’une modélisation du chemin suivi par la personne qui modifie ses représentations, rapports (à soi, à autrui, au monde), comportements, à partir d’expériences perceptives nouvelles puisées dans le rapport au Sensible. Sept étapes se succèdent en deux grandes phases. Les quatre premières forment la phase perceptivo-cognitive du processus de transformation : le fait d’expérience (cadre pratique de l’expérience du Sensible), le fait de conscience (contenu de vécu), le fait de connaissance (le sens qui en émerge), la prise de conscience (signification a posteriori). Les trois étapes suivantes représentent la phase cognitivo-comportementale du processus de changement, c'est-à-dire le transfert du sens au plan des actions et comportements quotidiens.

Dans sa synthèse sur les concepts de pédagogie du changement, Aline Cusson (2010) voit le changement comme une dynamique d’équilibration articulant des forces en tension. On retrouve l’idée de Kourilsky (2008) selon laquelle le changement est un processus paradoxal articulant en permanence « deux tendances fondamentales, l’une allant vers l’évolution, l’autre  vers l’homéostasie ou "stabilité dynamique" » (p. 42). Dans ce livre sur le coaching du changement (2008), Kourilsky rapporte les travaux de Bateson (un des fondateurs de l’école de Palo Alto) qui théorise, dans une approche systémique, l’articulation entre changement et apprentissage, à l’aide d’une gradation des catégories de changement qu’un système peut opérer. Tout d’abord, deux grandes catégories de changements rappellent les deux tendances fondamentales : le changement d’ordre 1, assez proche de l’assimilation de Piaget, permet au système de se maintenir par petits ajustements successifs dans son état d’équilibre (homéostasie) ; le changement d’ordre 2 est porteur d’évolution car le système est poussé en bordure de son déséquilibre. Des transformations majeures sont nécessaires pour qu’il puisse retrouver un fonctionnement optimal dans un nouvel équilibre.

… les expériences de changement de paradigme

Dans la littérature, la notion de paradigme renvoie généralement à Kuhn et son ouvrage de 1963 : « La structuration des révolutions scientifiques ». Masterman (1970), qui a étudié en détail ce livre, y a dénombré pas moins de 21 définitions différentes du mot paradigme. S’il est donc difficile de se revendiquer d’une définition stable donnée par Kuhn, Masterman considère que le sens le plus abouti qui en est fait est celui d’ordre sociologique. Le paradigme serait ainsi un ensemble d’habitudes scientifiques s’appuyant sur des accomplissements scientifiques antérieurs suffisamment novateurs pour attirer la réflexion scientifique et suffisamment inachevés pour laisser un champ d’exploration à la science. Il définit avec lui une communauté de pensée qui se reconnaît dans les dites habitudes scientifiques, pour former que ce Kuhn nomme la science normale (Masterman, 1970 ; Kuhn, 1983).

En posant ainsi l’existence d’un modèle de pensée dominant, le paradigme est par nature préfigurateur d’un changement vers une science post-normale, vers un autre modèle. Le passage se fait par une rupture radicale de pensée, car deux paradigmes ne peuvent cohabiter, dans ce sens qu’un même scientifique ne peut pas voir le monde par deux lorgnettes différentes en même temps : considérer que le monde tourne autour de la terre et en même temps que la terre tourne autour du soleil, pour citer l’exemple le plus souvent mentionné par Kuhn.

On comprend que c’est aujourd’hui l’acception sociologique du mot paradigme qui est la plus communément admise, et dont Wikipédia donne une belle illustration : « (c’est) une représentation du monde, une manière de voir les choses, un modèle cohérent de vision du monde qui repose sur une base définie. C’est une forme de rail de la pensée dont les lois ne doivent pas être confondues avec celles d’un autre paradigme et qui, le cas échéant, peuvent aussi faire obstacle à l’introduction de nouvelles solutions mieux adaptées. » On est loin d’une définition qui ne s’imposerait qu’au monde de la connaissance et de la production scientifique. Cette généralisation sociétale du mot est confortée par l’usage qui en est fait en sciences sociales «  pour décrire l’ensemble d’expériences, de croyances et de valeurs qui influencent la façon dont un individu perçoit la réalité et réagit à cette perception » (Wikipédia).

Je m’intéresse pour ma part à ce qui se passe autour de ce phénomène de passage, de changement de paradigme, de coexistence de plusieurs modèles de pensée. Lorsqu’une société mute, ce sont les individus qui la composent qui changent et qui se frottent longuement à leurs propres résistances avant de se rendre à l’évidence. C’est à l’expérience de ces individus que je m’intéresse. Comment sont-ils passés de la résistance à l’évidence, avant que la société entière ne les suivent ? Qu’ont-ils essuyé comme difficultés ?

Ce passage, essentiellement expérientiel, est rarement décrit. Quelques propos de chercheurs rapportent en anecdotes des moments difficiles, de confrontations épistémologiques accompagnées de sensations de perte de référentiel ou de repère, de sensations de ne plus rien savoir ou ne plus rien comprendre, d’une période de « néant », de flottement inconfortable, voire d’incompétence, parfois même d’une mise en question de valeurs jusque-là indiscutables, … (Feldman, Planck, Poincaré, Bachelard). Autant d’expressions qui, pour romanesques qu’elles puissent apparaître, n’en sont pas moins récurrentes et sans référencement les unes aux autres. Bachelard associe cela au processus de mise en suspension des savoirs antérieurs, une sorte d’épochè nécessaire à l’avènement de la connaissance « nouvelle », que constituent les savoirs nouvellement appropriés, et qui offre une réponse inédite au problème scientifique qui se pose.

Les praticiens-chercheurs que j’ai interviewés pour ma recherche témoignent de difficultés avec des descriptions qui ressemblent beaucoup à ces expressions (sentiment de se perdre, de ne pas se reconnaître, sentiment d’incompétence, de difficulté insurmontable). Ils disent parfois même qu’ils ont le sentiment d’être entrés dans un univers totalement nouveau dont ils n’imaginaient pas l’existence avant, dont ils ont du mal à comprendre le fonctionnement et qui transforme leur pensée. J’ai aussi souligné à quel point je partageais nombre d’entre ces sensations alors que ma posture d’origine est plus celle d’un chercheur que d’un praticien.

J’ai classé ces difficultés dans quatre catégories de contenus.

Les valeurs professionnelles sont alimentées par des représentations, croyances et visions du monde, par des référentiels souvent implicites dans les rapports aux savoirs internes et à l’expertise, par des gestes et outils qui donnent un contenu aux compétences et aux savoir-faire. Un des pôles qui conditionne la recherche est l’exigence de structuration ou d’affinement d’une sorte de réseau conceptuel, qui pousse l’apprenant à sortir de ces mécanismes implicites et habitus de faire et de pensée, c’est-à-dire d’automatismes quotidiens qui ne participent pas d’une démarche réflexive. Arnaud dit trouver la voie d’une structuration de ces nouvelles pensées qui se forment en lui par l’introspection sensorielle, notamment à la suite de la lecture d’un texte de la littérature scientifique.

Du côté de la recherche, il y a également la discipline de l’écriture qui s’associe, chez Arnaud, à la découverte d’une « sémantique de la recherche », c’est-à-dire de l’articulation intelligible des significations selon le plan de consistance de la démarche de recherche elle-même. Pour ma part, la difficulté a été d’intégrer une posture de recherche en première personne, de parvenir à écrire en première personne, de dépasser la peur de l’écrit « gravé dans le marbre », de trouver la bonne relation entre les formes argumentatives attendues et celles qui me venaient de l’habitude d’une autre pratique de la recherche. Les formes familières d’écriture constituent un référentiel personnel structurant qui doit évoluer. Dans une écriture émergente, le filtre des formes habituelles est un obstacle autant cognitif qu’émotionnel (rapport au beau dans l’écrit, même scientifique). Dans une écriture immanente, au sens où elle émerge de l’intériorité de soi dans un mouvement de création au contact du Sensible, ce filtre n’existe plus.

Lorsque Arnaud évoque son utilisation de l’introspection sensorielle pour mettre en forme sa pensée suite à une lecture de texte, il parle d’un écrit qui en émerge en une pensée jaillissante et structurée (voir plus loin dans le chapitre sur les voies de passage).

Quoi qu’il en soit, l’apprentissage de niveau 2 de Bateson qui semble se donner dans cette expérience, engage une évolution et parfois une transformation de la personne, qui est le plan souvent souterrain de cette expérience et échappe au champ de la volonté.

Je rejoins ici Van der Maren (2009) dans son hypothèse d’un paradigme professionnel, qui existerait au même titre qu’il existe un paradigme scientifique, ce dernier n’étant « autre, en fait, que le paradigme de ceux dont le métier est la recherche scientifique ». Il propose quatre familles de contenus permettant de caractériser tout « paradigme » : les valeurs et vision du monde, les règles de l’art ou normes faisant référence, les outils méthodes ou savoir-faire, et la sémantique ou la mise en mots. Sous cette hypothèse, on peut envisager que le praticien, dans son processus de formation à la recherche, change de vision du monde, de valeurs, de référentiels de savoir, voit son savoir-faire se transformer, et ses mots pour déployer son argumentation changent. Il effectue, en quelque sorte, un changement de paradigme en passant du paradigme professionnel au paradigme scientifique.

Représentations, savoirs, valeurs et identité

Les valeurs mettent en jeu des convictions, des croyances, tout un registre de représentations qui prennent facilement une dimension identitaire.

Les représentations impliquant l’image de soi ont également une force identitaire. On le reconnaît dans les propos d’Arnaud, lorsqu’il exprime par exemple son malaise de se sentir incompétent dans la situation d’apprentissage de et par la recherche. Compétence enveloppant une image de soi, statut professionnel et social, support de la confiance en soi : la personne se trouve questionnée dans ses références identitaires. La fragilisation est d’autant plus délicate que l’étude est faite par soi et sur soi.

Concernant les représentations liées aux idées, je souhaite proposer l’illustration de mon cas personnel, puisque j’ai eu l’occasion à cette époque de prendre conscience de la façon dont j’étais « collée », identifiée, à ma pensée, de la façon dont ma pensée avait valeur d’identité dans mon fonctionnement. Faire évoluer et même changer ma pensée, c’était évoluer et changer moi-même.

On comprend aisément que les représentations liées à l’image de soi et aux valeurs ou aux croyances aient un caractère identitaire. J’ajoute à cela que les représentations liées aux idées sont elles aussi, en puissance, identitaires. Je crois même que l’enjeu de valeur et de croyance associé à ces représentations-là, lorsqu’il existe, vient renforcer davantage leur caractère identitaire, et ce d’autant plus que l’enjeu est implicite ou inconscient.

Ce sont donc les relations entre représentations, savoirs, valeurs et identité qui gouvernent l’aptitude à accueillir des savoirs nouveaux et à les transformer en savoirs internes.

Le rapport à la connaissance est gouverné par la protection de convictions qui régissent les mécanismes de validation de ces connaissances. Tant qu’il n’a pas été confronté au problème de l’accueil des savoirs externes, ce rapport semble s’organiser par oppositions et en défense. On comprend, dans la description qu’Arnaud donne de son ancien système d’acquisition des savoirs internes, que son appropriation des savoirs externes passe par le savoir expérientiel pour qu’une actualisation de ses savoirs internes soit possible. Et c’est ce mécanisme qui lui assure sa capacité d’adaptation.

L’adhésion aux savoirs internes, le pouvoir identitaire dont ils sont porteurs, alimentent un système de valeurs qui sert aussi de filtre. Dès lors, le savoir externe non expérimenté n’est pas reconnu et n’est pas validé. Même plus, il est rejeté. Et dans ce processus de filtre, une forme du rapport identitaire de la personne à elle-même s’élabore et se renforce, parce que ce qui caractérise un filtre est sa porosité, à la différence d’une muraille défensive, d’une barricade ou d’un barrage. Il est d’ailleurs intéressant de noter que porosité et expérience sont apparentés étymologiquement (l’autre préfixe « ex » signale le mouvement par lequel l’expérience – ici celle de la relation entre l’expérience intime et l’expérience de la recherche – porte et déporte au-delà de soi-même).

Pour que les savoirs internes se transforment et intègrent des savoirs externes, les représentations doivent se transformer. C’est alors tout le système de la personne, la structure d’accueil dans son ensemble, qui va se transformer, entraînant dans son sillage la transformation des valeurs et référentiels identitaires.

Les solutions et voies de passage

Pour faire face aux difficultés qu’il a rencontrées, Arnaud s’est avant tout appuyé sur ses qualités personnelles, en particulier ses qualités de ténacité, de persévérance, de solidité et de confiance en soi. Il lui a fallu reconnaître que le Sensible ne se suffit pas à lui-même et qu’un effort personnel de lecture est nécessaire. Mais la fréquentation du Sensible lui a donné une solidité intérieure qui lui a permis de trouver des solutions. Arnaud a cherché à prendre appui sur ses compétences dans son rapport au Sensible : « Dans la recherche, avec le Sensible, je me suis toujours posé la question : "comment puis-je m’appuyer, parce que personnellement je me sens pas très doué pour ça (…), comment je fais interagir le discours des autres, le discours de la méthode et ma propre sensibilité ?" » (Lieutaud, 2008, p. 78). Notamment, il trouve dans l’introspection sensorielle la ressource pertinente pour synthétiser et intégrer la théorie : « Le travail sur le corps comme moments d’intégration de la théorie (…), comment utiliser l’introspection, donc la réflexion intérieure au contact du Sensible, comme un prolongement de la réflexion du chercheur(…), que ce ne soient pas des moments coupés de la recherche mais des moments où on peut synthétiser et faire appel à, revisiter ce qu’on a écrit, essayer de voir comment ça résonne (…), quand je lis, le lendemain quand je fais une introspection, ce que je lis se synthétise en moi. ». Et l’écriture en devient le révélateur : « [L’écriture] c’est la partie où je me suis appuyé sur le Sensible. » (ibid.).

Trouver le sens de cette expérience a été un levier majeur dans la gestion des difficultés. Les solutions sont passées par la découverte du sens global de la recherche, de sa cohérence d’ensemble : « Le plus important pour moi ça a été plutôt le sens de la recherche (…), le plus important (…) c’est quand j’ai compris la cohérence, que toutes les parties devaient être cohérentes les unes avec les autres, que chaque partie était en fait quelque chose qui faisait tenir le tout » (ibid., p. 79). Mais aussi : « Il n’y a pas de vraie recherche sans transformation sans difficulté (…), s’il n’y avait pas eu ce processus de transformation qu’il y a pour le chercheur dans la recherche, ça ne m’aurait pas intéressé. Parce que là il y a un sens pratique pour moi en tant que … C’est une expérience pour moi, ça c’est clair, une expérience de moi dans cette situation-là. » (ibid., p. 80).

D’autres appuis lui ont été proposés : l’opportunité de présenter l’avancement de son travail en public, stimulant un autre registre de sa confiance, grâce au regard des autres, la rencontre avec des spécialistes extérieurs à l’école doctorale qui a permis des compréhensions originales. Il s’est aussi autorisé des phases de colère car il sait qu’elles participent de son processus de remobilisation. Il a aussi accepté de se laisser modeler par l’évolution de la question de recherche et donc de s’abandonner à l’inconnu : « Cette épreuve-là m’a montré que ce processus-là, il était quelque part producteur de quelque chose. C’était pas des erreurs. C’était un processus qui était en train de se faire » (ibid., p. 106).

Enfin, face à la difficulté de la gestion du temps, il a fait le choix d’utiliser sa pratique de formateur en mettant en discours et en discussion ce qu’il lisait. Ce point me paraît important car c’est par le partage de ces nouveaux savoirs, qu’Arnaud s’ouvre à eux : en les portant au sein de sa réalité à lui, de son terrain, ses étudiants, il en fait l’expérience. L’expérience est la voie de sa compréhension, de son appropriation. Elle permet qu’un sens peu à peu se dévoile, une cohérence se révèle : « Aller trop dans la théorie et se perdre et sentir ce que ça fait au niveau du Sensible. C’est pas forcément enivrant. Jusqu’au moment où la jubilation elle vient quand je lis. Vraiment à un moment donné j’arrive à comprendre le sens de cette feuille, et ça prend du sens pour moi » (ibid., p. 90). C’est une nouvelle vision, une nouvelle compréhension qui se fait jour. Tandis que dans la phase de confrontation l’écriture était bridée voire bloquée, avec l’apparition de ce sens elle devient fluide et facile : « Là, à partir de ce moment là, je suis capable d’écrire » (ibid.).

Pour que le savoir intellectuel véhiculé par la recherche puisse accéder au rang de connaissance que l’on s’est appropriée, il doit passer par le cap de l’expérience. Il se produit alors une sorte de réorganisation de l’expérience et des représentations que l’on en a. On découvre  que l’on peut faire l’expérience en soi d’un savoir intellectuel, ressentir en soi les effets portés par le sens d’un savoir intellectuel qui vient du dehors et qui n’est pas expérientiel en lui-même. C’est ce qu’Arnaud a mis en pratique par ses introspections sensorielles et ses mises en situation professionnelles. Et le savoir externe ainsi « expérientié » devient expérientiel et intègre la boucle de transformation possible en savoir interne, c’est-à-dire qu’il devient assimilable (figure 1).

Figure 1 : Schématisation du processus de transformation du statut du savoir "intellectuel"

Figure 1 : Schématisation du processus de transformation du statut du savoir "intellectuel"

Les vécus corporels ne sont plus prisonniers des représentations, lesquelles se transforment au contact des savoirs expérientiels ainsi renouvelés. L’actualisation des savoirs internes qui en découle affecte également les représentations. Dans ce processus, le mécanisme d’alimentation des valeurs est transformé et le système des valeurs et du référentiel identitaire s’en trouve considérablement modifié.

Dans cette métamorphose de sa structure d’accueil, le sujet change aussi son positionnement face au monde : il sort d’une logique défensive qui l’inscrivait dans un système bipolaire l’opposant à ce qui n’est pas lui, pour accéder à la pluralité des points de vue, à la diversité du monde, ce que j’ai appelé un système multipolaire. À l’issue de ce processus de transformation, Arnaud constate d’ailleurs que son écoute et sa capacité d’écoute se sont complètement transformées. Mais quand les fondements personnels et professionnels de la personne se mettent ainsi à évoluer, c’est toute son adaptation et son adaptabilité qui sont en jeu. Il est indispensable de respecter le tempo d’un tel processus et de l’accompagner. Par exemple les ressources mobilisées par Arnaud se fondent sur la recherche de la confiance, pour aller ensuite chercher dans ses qualités personnelles des appuis supplémentaires. Enfin et surtout, s’appuyer sur le Sensible, qui est son référentiel de confiance fondamental, pour l’articuler avec l’expérience de recherche a été transformateur.

Proposition de modèles du changement au contact de la recherche

Relations entre pensée, représentations et perceptions

En préalable, précisons ici que la pensée emporte selon moi une dynamique, un processus, alors que les représentations sont plutôt des images fixes, des idées saisissables.

La recherche permet une structuration de la pensée. Les exercices imposés par le cursus de formation invitent à une mise en expérience qui va articuler le monde des valeurs et de l’image de soi au monde des pensées qui se transforment. Dans la pratique de la recherche sur le Sensible, l’expérience émerge du vécu corporel et des perceptions depuis le lieu du Sensible en soi, qui offre une nouvelle articulation, celle de la pensée avec les perceptions : on se perçoit pensant, on sent en soi l’effet du sens cognitif d’un savoir théorique. Dans cette articulation, les représentations sont le lieu de la négociation de l’apprentissage, le lieu de l’interface entre la pensée déployée par la recherche et le référentiel identitaire de la personne. On a vu dans la figure 1 qu’au contact de la recherche, le vécu corporel intérieur et les informations externes viennent transformer les représentations. Lorsque la pensée bouge, les représentations tendent à bouger. La figure 2 propose une schématisation de ce processus, qui met en relation le système pensée-représentations-perceptions au sein du fonctionnement de la personne dans son rapport à l’expérience de la recherche.

Figure 2 : Schématisation des rapports du système pensée-représentation-perception de la personne, à ses propres dynamiques identitaires et aux dynamiques cognitives mobilisées par la recherche scientifique

Figure 2 : Schématisation des rapports du système pensée-représentation-perception de la personne, à ses propres dynamiques identitaires et aux dynamiques cognitives mobilisées par la recherche scientifique

Les perceptions, qu’elles soient conscientes comme dans le cas de l’apprentissage de l’expérience du Sensible, ou moins conscientes chez une personne non avertie, sont toujours liées à une expérience. Elles apparaissent ici déterminantes dans la construction du rapport identitaire. Dès lors, c’est la modification des perceptions ou du rapport aux perceptions qui permet la transformation des réflexions et donc de la pensée. Alors que ma recherche ne portait pas cet objectif, ce résultat rejoint, et donc d’une certaine façon conforte, les principes proposés dans le concept de la modifiabilité perceptivo-cognitive (Bois, 2007).

Transformation de la pensée par la recherche

L’expérience de formation à la recherche qualitative « dans » et « sur » le Sensible semble produire un processus de transformation de la pensée qui s’organise chez la personne selon les mêmes étapes que celles du concept de la modifiabilité perceptivo-cognitive évoqué (Bois, 2007). Je résume ici le parallèle entre ces deux processus, élaboré dans ma recherche de master (Lieutaud, 2008).  Il est synthétisé par une schématisation présentée en figure 3.

Figure 3 : Schématisation du processus de transformation de la pensée à la lumière du modèle de la modifiabilité perceptivo-cognitive de Bois (2007)

Figure 3 : Schématisation du processus de transformation de la pensée à la lumière du modèle de la modifiabilité perceptivo-cognitive de Bois (2007)

Dans l’expérience de la recherche, le praticien du Sensible entre en contact avec des savoirs qui lui sont extérieurs, dont il peut maintenant faire l’expérience, les découvrir et les confronter à ses systèmes de représentations et de valeurs. Son image de lui-même et sa vision du monde se transforment en même temps que ses représentations et ses valeurs, et avec elles son système identitaire. C’est bien de cela qu’il s’agit lorsque Arnaud témoigne d’une transformation de ses certitudes sur la notion de point de vue et de posture de parole qui entraîne une reconfiguration de ses représentations. Il constate qu’il se sent plus ouvert, à la fois moins campé dans ses convictions et plus solide dans ses savoirs. Ce paradoxe est particulièrement intéressant, car il souligne qu’en même temps que s’amenuisent ses croyances, sa compétence professionnelle s’est sans doute accrue.

Conclusions et perspectives de recherche

Comme pour Josso (1991, p. 197), l’apprentissage de la recherche qualitative a été autant pour Arnaud que pour moi, une expérience existentielle, une expérience qui nous a profondément transformés. Les expériences décrites dans la présente étude décrivent une transformation des représentations et de la pensée, induisant une transformation des postures et des savoir-faire personnels et professionnels.

J’ai également eu la sensation de vivre de façon très minutieuse, la transformation de ma personne en tant que chercheur. Cela s’est passé par le biais d’une réforme profonde de mon référentiel de connaissances, de ma représentation de la science et de ce que j’y faisais en tant que chercheur. Pour autant, dans ma découverte des approches qualitatives de la science, mes compétences quantitatives ne sont ni écartées ni oubliées. Elles conservent une pertinence et une place, qui n’est simplement plus exclusive ou dominante. Je parlerais volontiers d’élargissement paradigmatique ou épistémique, car j’y pressens un enjeu d’élargissement de l’horizon intellectuel et réflexif, d’ouverture à un monde plus vaste, et au final, de grandissement de la personne du chercheur.

Ce que je ne sais pas, c’est si cette expérience est partagée par d’autres chercheurs et dans quelles conditions. La transformation qu’expérimente le praticien chercheur est évoquée dans la littérature, mais qu’en est-il d’une façon plus générale du changement ou de l’élargissement paradigmatique ? Est-il le plus souvent source de conflits intérieurs ? Quand et comment rencontre-t-on ces situations de transformation ? Les formations ouvertes aux réorientations professionnelles recèlent de nombreux cas de personnes déstabilisées par la nouveauté des apprentissages. La recherche a elle aussi ses zones frontières, notamment dans l’inter-, la trans-disciplinarité, où les témoignages d’échecs et de difficultés sont légion. J’en ai moi-même expérimenté une toute petite partie en assurant l’animation de programmes de recherche sollicitant l’interdisciplinarité. Les analyses et réflexions foisonnent et l’idée dominante postule que certaines frontières sont difficiles, voire par nature impossibles à franchir. Il y a dans l’appartenance paradigmatique, un système de valeurs et de croyances qui réduit ce que le champ scientifique s’autorise à questionner et qui, ce faisant, entretient une ambiguïté de posture vis-à-vis des enjeux revendiqués – objectivité et distance, subjectivité et d’implication, … L’explicitation de la posture devrait pouvoir jouer un rôle significatif de clarification et d’ouverture.

Pour poursuivre et approfondir cette réflexion, je me suis lancée dans une recherche doctorale dans laquelle j’interroge des chercheurs ayant franchi des frontières paradigmatiques, sur les conflits existentiels ou identitaires qu’ils ont vécus, la place de la nouveauté dans leur pratique, la façon dont leurs pratiques se sont transformées. Je regarderai dans toute la mesure du possible les spécificités de la recherche sur le Sensible et celles de la recherche dans le domaine de l’environnement, porteuse d’approche spécifiques de l’interdisciplinarité et des franchissements paradigmatiques. J’en profiterai pour approfondir les aspects de l’interdisciplinarité comme lieu d’expression de ces tensions et échanges, comme vecteur d’un paradoxe intrinsèque de positionnement exigeant de rester à la croisée des chemins (ne rien perdre des compétences disciplinaires), tout en intégrant d’autres dimensions d’intelligibilité.

 

[1] Centre d’Etude et de Recherche Appliquée sur la Psychopédagogie perceptive – Université Fernando Pessoa, Porto, Portugal

[2] Le « Sensible » est un concept mis au point et défini par Danis Bois à travers de nombreuses publications : « La dimension du Sensible telle que je la définis naît d’un contact direct, intime et conscient d’un sujet avec son corps. […] Lorsque j’aborde la dimension du Sensible, je l’inscris dans un rapport à certaines manifestations de l’intériorité du corps. Je ne parle plus alors de perception sensible, dévouée à la saisie du monde, mais de perception du Sensible, émergeant d’une relation de soi à soi » (Bois, 2007, p. 18). « Dans la perception d’un objet, l’objet est déjà là, extérieur et à distance, alors que dans la perception du Sensible, il s’agit de la perception du sujet lui-même, par lui-même, le Sensible n’existant que sous ce rapport d’immédiateté et d’intimité du sujet avec lui-même » (Bois & Austry, 2007, p. 12). « Faire l’expérience du Sensible n’est plus percevoir le monde, ce n’est plus non plus percevoir son corps, c’est se percevoir percevant » (ibid, p. 9). « Cette "relation de soi à soi", inédite et particulièrement féconde, se prolonge dans l’ouverture à une relation à l’autre » (Humpich & Bois, 2007, p. 14). « Le Sensible est au moins autant affaire de rapport entre un sujet et son expérience que de contenu de l’expérience elle-même » (Bois & Austry, 2007, p. 10).

Anne Lieutaud

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La revue "Réciprocités"

Cet article est issu de notre revue :

Numéro 06 - Recherches doctorales au sein du CERAP

Ce numéro de la revue Réciprocités est le premier à être entièrement consacré aux recherches doctorales en cours au sein du CERAP. Tous les articles présentés ont été soumis au comité de lecture international récemment mis en place.

Quatre articles ont été sélectionnés, couvrant des champs aussi différents et importants que l’évolution du métier de fasciathérapeute (article de Christian Courraud), les liens entre soin et formation (article de Doris Cencig), le concept de joie ontologique et le processus d’enrichissement personnel (article de Jean-Philippe Gauthier), ou encore l'expérience de mutation de paradigme chez le praticien qui devient chercheur (article de Anne Lieutaud).

Elles mettent en oeuvre des méthodologies de recherche différentes, comme la recherche et l’analyse qualitative (Doris Cencig et Anne Lieutaud), dont le Cerap s’est fait jusqu’ici une spécialité, mais aussi la recherche sociologique de terrain (Christian Courraud) ou la recherche heuristique radicalement à la première personne (Jean-Philippe Gauthier)