En interrogeant comment « la place du vécu corporel s'édifie à partir de la question du sens », notamment dans le domaine du changement et de l'accompagnement, ce colloque se fait l'écho d'une problématique actuellement en plein déve- loppement. C. Delory-Momberger le soulignait à sa manière en ouverture d'un tout récent numéro de la revue Pratiques de formation : « Le corps est devenu maintenant un objet de recherche d'actualité en sciences humaines. [...] Le corps suscite aujourd'hui de nouvelles interrogations : quelle part prend-il dans les processus d'apprentissage formels et informels ? Qu'est-ce que signifie ap- prendre au niveau du corps ? Comment les expé- riences du corps participent-elles à la formation de soi ? » (Delory-Momberger, 2005, p. 7)
Dans cette contribution, nous souhaitons présenter quelques aspects du cadre théorique dans lequel s'inscrivent nos travaux autour du thème expérience du corps sensible et création de sens. Ce thème organise l'ensemble des recherches que nous menons au sein du Centre d'Études et de Recherches Appliquées en Pédagogie Perceptive à l'Université Moderne de Lisbonne1 ; il est égale- ment au coeur de travaux de certains membres de notre équipe dans d'autres institutions universitaires2. Cette direction de recherche accompagne l'enseignement d'une discipline émergeante, la somato-psychopédagogie, dont les fondements théoriques et pratiques font l'objet à l'Université Moderne de Lisbonne de cursus de troisième cycle (mestrado et post-graduation3), s'adressant aux professionnels des domaines de la santé, de l'édu- cation et des arts. Comme nous le verrons, la di- mension sensible du corps que nous étudions trouve son sens et sa définition au sein de cette pratique spécifique.
Si l'originalité de notre pratique formatrice se situe tout d'abord dans le type d'expérience corpo- relle sollicitée et les moyens de la convoquer pour le sujet, elle se trouve aussi dans l'accompagne- ment d'une « connaissance immanente »4 émergeant du rapport à cette expérience (Bois, 2006 ; Berger, 2006 ; Bois, 2007). Au cours des vingt- cinq dernières années, les témoignages des pro- fessionnels en formation ont en effet convergé avec nos propres observations pour faire appa- raître progressivement le lien existant entre le dé- veloppement de la relation au corps sensible - le sien propre et celui d'autrui - et la saisie de nou- velles catégories d'intelligibilité émanant de ce champ d'expérience.
C'est à la lumière de ce constat que se comprend notre questionnement : dans l'expérience corporelle spécifique qu'est le vécu du corps sen- sible, quel processus particulier guide les émer- gences de sens que nous constatons ? Par quel cheminement passe-t-on d'un vécu perceptif corporel de l'ordre d'un « mouvement in- terne » (Courraud, 1999 ; Leão, 2002 ; Courraud- Bourhis, 2005 ; Bois, 2006 ; Berger, 2006 ; Eschalier, 2005) à une information signifiante, interro- geante, interpellante, assez claire pour enclencher un processus de réflexion à sa suite et transformer certaines représentations du sujet ? Peut-on préci- ser la nature et l'organisation des processus formateurs à l'œuvre dans ce processus ?
Après avoir précisé le contexte socioprofessionnel et disciplinaire de cette recherche, nous donnerons quelques axes de définition de « l'expérience du sensible » au sens où nous l'entendons, en montrant comment cette expérience corporelle ouvre à la saisie de sens nouveau, existentiellement formateurs.
Contexte socioprofessionnel : entre soin et formation
En quelques mots introductifs, disons que la somato-psychopédagogie est une méthodologie d'accompagnement des personnes ou des groupes qui repose sur l'établissement d'un rap- port au corps éminemment conscient, source d'un équilibre physique et psychologique optimisé. Ce rapport particulier au corps vivant est obtenu à partir de mises en situation pratiques spécifique- ment mises au point pour permettre au sujet de percevoir, dans une intimité nouvelle, les diffé- rents mouvements gestuels et internes de son corps.
Le projet thérapeutique et formatif est de favoriser l'enrichissement de la dimension perceptive, mais aussi cognitive et comportementale, des interactions que la personne déploie avec elle-même, avec les autres et avec le monde qui l'entoure. (Bois, Humpich, 2006) Il est intéressant de noter que le conseil scientifique de l'Université Moderne de Lisbonne a jugé bon d'ouvrir un domaine croi- sé - « psychopédagogie et sciences de la santé » - pour que des formateurs et chercheurs œuvrent au carrefour des actions de formation et de soin, carrefour fécond mais encore peu balisé (Honoré, 2003).
Par l'ensemble de nos recherches, nous cherchons à apporter des éléments supplémentaires à la compréhension des mécanismes d'installation et de maintien de l'équilibre somato-psychique d'un sujet. Cette question peut intéresser tous les acteurs sociaux des enjeux de santé mais elle re- lève aussi d'un enjeu plus existentiel, dans la me- sure où il s'agit d'œuvrer au développement d'une meilleure gestion individuelle des processus de transformation de soi : une recherche centrée sur l'expérience du corps sensible interroge forcément les ressources dont dispose un être humain et les outils dont il peut se doter pour continuer à grandir en conscience tout au long de sa vie, pour ne pas s'arrêter de 'devenir'. Dans ce domaine précisé- ment, la somato-psychopédagogie a quelque chose à dire quant à la possibilité d'un rapport renouvelé au sens par le biais du rapport au corps, et quant aux moyens pédagogiques de construire ce rapport.
Contexte disciplinaire : quelle place pour le corps sensible en sciences humaines ?
S'interroger sur la dimension sensible du corps en sciences humaines nous place dans un champ de recherche dont les axes théoriques nous pa- raissent pouvoir être élargis à la lumière de notre expérience et de sa formalisation.
L'idée qu'il existe un lien entre corps et pensée, entre les sens et l'entendement, est présente aux sources de la pédagogie moderne, quand Rous- seau affirme par exemple la place d'une « raison sensitive. Aujourd'hui, à une époque où « le souci du corps occupe désormais une place importante de l'éducation » (Rauch, 1998, p. 228), les points de vue possibles sur le corps paraissent presque infinis, les approches théoriques très diverses et les orientations de recherche qu'ils peuvent en- gendrer, éminemment variées ; comme le relève S. Ouaknine, « Il n'y a pas de corps en soi. Il y a au- tant de manifestations possibles du corps qu'il y aurait de perceptions du monde, de modèles sociaux, de représentations. » (Ouaknine, 1975, p. 105)
Cependant, si cette diversité d'approches est bien réelle - visible par exemple dans les nom- breuses techniques corporelles à vocation éduca- tive et thérapeutique - reste que le contexte théo- rique et épistémologique de la recherche actuelle fait peu de place à l'exploration du corps vivant et ressenti, se révélant dans un contact 'de l'inté- rieur' qui n'exclut pas la prise de connaissance mais au contraire la provoque d'une manière spé- cifique et renouvelée. Les impacts d'une telle rela- tion au corps, consciente et impliquée, la nature de connaissance qui peut en émerger, les implica- tions théoriques de la possibilité même de ce rap- port au corps, sont autant de thématiques qui, à notre sens, attendent encore d'être réellement explorées, tant dans les pratiques universitaires de formation que dans les orientations académiques de la recherche. Sans doute ceci s'explique-t-il en partie par le caractère nécessairement impliqué de telles recherches, qui réclament une exigence toute particulière sur le plan méthodologique et épistémologique, exigence que nous nous em- ployons à mettre en œuvre dans nos programmes de formation-recherche.
De quel sensible parle-t-on ?
Pour situer la nature du « Sensible5 » dont nous faisons l'expérience dans la pratique corporelle de la somato-psychopédagogie, nous choisirons de nous situer en contraste par rapport aux deux grandes acceptions du terme « sensible » que l'on rencontre en sciences humaines : l'une s'appuyant sur la définition neurophysiologique et l'autre ayant trait à une dimension affective, émotionnelle et intuitive.
Le sensible comme ce qui est perçu par les sens
L'orientation neurophysiologique définit classi- quement la dimension sensible du corps ou, plus largement, de l'expérience humaine, relativement à ce qui est perceptible par les sens : au minimum les cinq sens les plus connus que sont les sens extéroceptifs (la vue, l'ouïe, le toucher, le goût et l'odorat) ; et, pour les auteurs les plus informés sur le sujet ou dans les disciplines spécialisées, en y adjoignant le sens proprioceptif, sens de la pos- ture et du mouvement reconnu aujourd'hui par de nombreux auteurs comme participant de manière cruciale à la constitution du « sentiment de soi » (Berthoz, 1997 ; Damasio, 1999 ; Lécuyer et al., 1994 ; Roll, 1993).
Un domaine où la dimension sensorielle se trouve étudiée en tant que telle est celui des Sciences et techniques des activités physiques et sportives (STAPS). La sensorialité y est surtout entrevue comme ensemble de mécanismes et de fonctions au carrefour du perceptif et du cognitif, et sous-tendant apprentissages gestuels et perfor- mances sportives selon des processus qui échap- pent structurellement à la conscience du sujet. Dans ce contexte, elle n'est donc pas mise en rap- port avec la production d'une 'connaissance' au sens où nous l'entendons, c'est-à-dire comme ac- cès à des significations éclairantes pour mener sa vie avec un sentiment accru d'intelligibilité et de cohérence. Cette vision restreinte, fondée sur la physiologie neurologique pure, ne peut suffire à soutenir notre approche du Sensible.
Les rares exemples dépassant ce cadre sont quasiment toujours le fait de praticiens-chercheurs d'approches dites corporelles ou psycho- corporelles, rompus à saisir sur le terrain les mani- festations parfois surprenantes de ce que l'on pourrait nommer 'l'intelligence du corps'. Ainsi par exemple, J. Gaillard, praticien de la méthode Alexander, plaide-t-il pour une réhabilitation de la dimension sensorielle comme source de connais- sance : « Les informations sensorielles deviennent source de connaissance ; la conscience qui s'en dégage est une conscience de soi engagé dans l'action ». (Gaillard, 2000a, p. 12) Mais entrer plus profondément dans une expérience perceptive conscientisée amène rapidement, comme nous l'avons fait nous-mêmes, à déborder les contours d'une sensorialité strictement neurophysiologique pour ouvrir à l'univers du sens et de la cons- cience : « L'apprenant s'autorise à tourner le re- gard en lui, à se voir, se dire, se reconnaître, dé- ployant les différents gestes de la prise de cons- cience, sous la direction de l'attention qui induit une capture du sens et de la compréhension » (Gaillard, 2000b, p. 13).
La dimension sensorielle de l'expérience a également fait parfois l'objet de réflexions méthodologiques, où elle est alors reconnue comme outil de recherche à part entière et doit à ce titre être interrogée comme faisant partie du processus même de la recherche. Par exemple, R. Barbier introduit le concept d'« écoute sensible », qui « s'étaye sur la totalité complexe de la personne » (Barbier, 1997, p. 296), ouvrant ainsi à une dimension holistique du sujet qui dépasse largement les sens de la neurophysiologie. Dans cette même volonté de cerner les ressources d'un rapport plus conscient aux sens, R. Kohn (1991, 1998) étudie l'observation (donc la vision) comme pratique de recherche, en montrant comment le modèle d'observation hérité des sciences exactes du 19ème siècle peut se compléter d'une prise en compte de l'expérience de l'observateur. Une telle conception de l'observa- tion suggère un mode de 'présence à soi' dans lequel le chercheur se trouve sensibilisé à lui-même. Autre exemple d'inscription de la sensorialité dans une réflexion méthodologique, la dé- marche d'explicitation de P. Vermersch (1994), quand elle est utilisée à des fins de recherche, inclut l'interrogation des modalités sensorielles du rapport à l'expérience dans la mise en œuvre d'une posture de recherche en première personne.
Dans ces exemples, la dimension sensorielle physiologique est rapidement dépassée pour ou- vrir à l'exploration du mode d'implication du sujet dans ses actes perceptifs ; c'est dès lors ce mode d'implication qui offre l'accès à une connaissance créatrice parce que nouvelle, et non plus en premier lieu la modalité sensorielle elle-même. Nos propres travaux oeuvrent clairement dans cette direction tout en la débordant encore davantage : tout d'abord parce que le type de perceptions que nous explorons fait intervenir un univers sensoriel spécifique et inédit pour le sujet, que nous développerons tout à l'heure et qui permet d'engager la saisie du sens sur des bases perceptives elles-mêmes déjà différentes du fonctionnement habituel du sujet. Ensuite parce que notre expérience du corps sensible montre qu'aller à la rencontre de ses propres actes perceptifs de manière plus cons- ciente amène rapidement à une conception du corps comme porteur d'une capacité à saisir le monde et soi-même, au sens profond d'attraper et de refléter une intelligibilité qui s'y dévoile.
Le sensible comme dimension affective et émotionnelle du sujet
La seconde orientation de définition rencontrée en sciences humaines place la dimension sensible de l'expérience dans un registre davantage affectif et émotionnel, où est prise en compte la manière dont un chercheur, en tant que personne, est af- fecté par la recherche qu'il mène6. Une synthèse de différents aspects de cette 'sensibilité' est réalisée par R. Barbier dans son article « Le retour du sensible en sciences humaines » (1994). L'auteur y distingue ainsi, en puisant chez divers auteurs7 : la « chaleur humaine », la « sensibilité » (ici au sens de se laissant toucher) ; la proximité, l'accessibilité (« le sociologue ne peut plus se tenir à distance », il veut pouvoir « être lu par le non-spécialiste ») ; une forme de militantisme, être « impliqué par son ob- jet » ; « l'oubli de soi », « l'amour intellectuel » (les termes sont de Bourdieu) ; « la réciprocité », la transformation du chercheur, le fait de « devenir autre » à l'occasion de sa recherche ; une sensibili- té qui « accepte d'être non armée et surtout pré- sente aux choses de la vie » ; globalement, « l'affectivité humaine », « l'émotion », « l'implication » du chercheur, voire son empathie8 ; l'imaginaire, la mémoire
Cette forme de sensibilité - consistant, en résumé, à se laisser toucher et transformer par son objet de recherche et par sa propre démarche - est censée offrir l'accès à d'autres informations, au sein de la recherche, que les seules sources soi-disant 'objectives'. Mais il est remarquable de noter à quel point toute prise en compte du corps reste absente des conceptions de cette sensibilité et des manières de s'y ouvrir, alors même que le corps est reconnu aujourd'hui comme le lieu où se jouent toute émotion et toute résonance affective. Dans notre propre conception du Sensible, comme nous le verrons tout à l'heure, le corps est le média primordial de la résonance de l'expérience. Mais la résonance dont il se fait l'écho n'est pas de l'ordre de cette affectivité personnalisée décrite plus haut. Le Sensible est avant tout une 'expérience commune' organisée autour d'inva- riants universels que tout chercheur, tout individu, peut percevoir s'il y est formé ; cette expérience commune offre alors un socle stable à une réso- nance certes singulière, mais dont les conditions d'installation sont aujourd'hui, dans notre pratique, réglées et reproductibles.
L'expérience du « corps sensible » en somato-psychopédagogie : une faculté perceptive au-delà des sens
Nos travaux, tout en incluant l'aspect sensoriel de l'expérience humaine et son prolongement vers l'avènement d'une présence à soi et au monde profondément signifiante, y apportent une dimen- sion supplémentaire et totalement spécifique en l'abordant depuis une modalité perceptive que nous identifions et postulons comme telle (au sens où il s'agit bien d'une modalité d'accès à des infor- mations de soi et du monde) mais qui ne relève pas de la sensorialité limitée aux six sens physiolo- giquement reconnus. Cette modalité, qui est en propre ce que nous avons nommé « le » Sensible, repose sur l'existence, au sein des matériaux dont est fait notre corps (musculaire, osseux, vascu- laire, viscéral), d'une mouvance nommée dans un premier temps « dynamique vitale » (Bois, 1989 ; Bois, Berger, 1990) puis dans un deuxième temps « mouvement interne ». Cette mouvance, mise à jour par nos observations dès le début des années 80, anime l'ensemble des tissus de notre corps en répondant à une organisation précise, spatiale et temporelle, formalisée progressivement au cours de ces dernières vingt cinq années à par- tir de notre ressenti des manifestations du corps vivant, dans des conditions attentionnelles tout à fait particulières et exigeantes. Ainsi la relation au Sensible telle que nous l'entrevoyons est-elle née d'un contact direct avec le corps, dans le cadre d'une pratique experte de l'accompagnement thérapeutique par le toucher.
Dans ce contexte profondément expérientiel, nous postulons que le mouvement interne joue dans la matière corporelle le rôle d'un véritable 'organe de perception' donnant au corps la capacité de recevoir l'expérience perceptive, affective ou cognitive d'un sujet et également d'y répondre, d'y réagir, d'y participer, sous la forme de modifications des paramètres spatiaux ou temporels de son animation. Ainsi, ralentissements de rythmes, modifications d'orientations ou d'amplitudes de certains trajets du mouvement interne sont signifi- catifs de la manière dont le corps et le sujet sont affectés par l'expérience en cours. Ils peuvent même devenir, à la condition de se former à leur 'lecture', de véritables informations intelligibles, voire des 'réponses' que le corps fournit face à une situation, au-delà ou en amont d'une réflexion volontaire menée par la personne à propos de cette même situation. De là, un rapport conscient à ces manifestations intérieures du corps vivant peut fournir une somme d'informations supplémentaires à ajouter à celles habituellement recrutées pour faire un choix, prendre une décision, mener une réflexion ou encore s'orienter dans les chemins de l'existence.
Pris comme adjectif - comme dans l'expression « le corps sensible » - le terme « sensible » désigne donc pour nous en premier lieu une certaine caractéristique du fonctionnement corporel qui lui permet, via le mouvement interne qui anime sa matière, de se faire la chambre d'écho de toute expérience du sujet. Pris comme substantif - « le » Sensible - il s'agit de la modalité perceptive elle-même, par laquelle le sujet peut accéder aux messages ainsi délivrés dans et par son corps.
Cette modalité, comme nous l'avons dit, ne peut se comprendre uniquement à partir du fonc- tionnement connu des organes sensoriels classiquement recensés. La reconnaître et l'identifier sur un plan expérientiel suppose donc, sur le plan théorique, d'élargir les conceptions même de la perception pour y inclure d'autres modes d'entrée en relation du corps avec le monde qui l'entoure et dans lequel existe le sujet. D'autres expériences que celle du mouvement interne nécessitent d'ailleurs un tel effort de renouvellement des conceptions : ainsi, par exemple, la manière dont on est affecté par les ultrasons, la capacité d'être au courant qu'on est observé, alors même qu'on ne sait pas que l'on est observé ni qui nous observe (exemple de Sheldrake), les états de bien-être ou de malaise qui nous envahissent dans certains lieux, ou encore les différentes formes d'empathie par lesquelles il nous est possible de connaître précisément les besoins ou états d'autrui, sont autant de situations qui mettent en évidence d'autres voies de diffusion de l'information que celles passant par les voies sensorielles classiques.
E. Gendlin9, prolongeant certains thèmes de la pensée de C. Rogers, va dans ce sens en affirmant que le corps reflète en totalité ce qui affecte le sujet, d'une manière qui dépasse largement ce qu'en captent les sens. Dans cette conception, le « corps » dont il parle « n'est pas restreint au fonc- tionnement physiologique. Il implique, de même que la théorie organismique de Rogers, la totalité de la personne en situation. » (Lamboy, 2003, p. 169). Ses travaux philosophiques ont le mérite d'avoir opéré une nécessaire remise en cause des théories traditionnelles de la perception, qui ne peuvent rendre compte de la totalité des liens et interactions entre un sujet et son milieu. Cepen- dant, il reste à définir comment fonctionne cette totalité, et selon quelle modalités le corps est ainsi capable d'une part de refléter davantage que ne le font les sens et, d'autre part, de fournir du sens plus largement que ne le fait la pensée réflexive. Gendlin, bien qu'il affirme cette possibilité comme une capacité du corps, et qu'il en propose une pratique de formation, ne formalise pas de cadre théorique propre à rendre compte des modalités de saisie des informations par le corps. Nos obser- vations nous permettent, nous semble-t-il, d'aller plus loin.
Dans notre expérience et notre conception, le « mouvement interne » joue un rôle crucial dans la manière dont le sujet, à travers son corps, entre en relation avec lui-même, avec son milieu et avec autrui. L'exploration du champ d'expériences asso- cié à la perception du mouvement interne nous amène à distinguer entre « corps » et « matière » du corps, cette dernière constituant un niveau et un 'style' d'existence corporelle dont le mode d'orga- nisation et de fonctionnement ne peut être réduit aux lois anatomiques et physiologiques du corps considéré comme organisme10.
Le sensible : une conscience témoin de l'expérience et de soi dans l'expérience
La matière, en tant qu'elle est animée du « mouvement interne », constitue pour nous à la fois l'organe de saisie et le lieu où saisir une con- naissance de soi, du monde et des autres autre que la connaissance rationnelle, et même intuitive, que l'on peut en avoir. La matière nous semble ainsi dépasser la « chair » de Merleau-Ponty, « qui n'est pas le corps objectif, qui n'est pas non plus le corps pensé par l'âme (Descartes) comme sien, qui est le sensible au double sens de ce qu'on sent et ce qui sent. » (Ibid., p. 307) Car à ce double statut, somme toute assez évident, s'en ajoute un autre : quand la personne est entraînée à perce- voir la finesse de l'expérience du Sensible, elle se reconnaît du même coup elle-même au sein de cette expérience. Elle est alors présente à la fois à son expérience et à sa propre présence perce- vante, à la fois à elle-même comme observatrice de son expérience et à elle comme lieu de manifestation de l'expérience observée.
Ainsi, par une extension issue de la nature même de l'expérience consciente de la matière, le Sensible désigne aussi le 'lieu de soi' qui se dé- ploie, se révèle, se manifeste, quand est mise en œuvre la modalité perceptive particulière dont nous parlons, et pour qu'elle soit mise en œuvre. Dire « je suis dans mon Sensible » ou « je suis en relation avec mon Sensible » signifie dès lors : je suis actuellement en contact conscient avec ma matière comme 'part de moi' qui capte et perçoit les mouvements internes dont elle est animée, ce qui me permet de m'en saisir comme formes ou comme catégories identifiables, nommables, signifiantes.
Mais le 'lieu' dont nous parlons ici n'est pas à proprement parler géographique : la 'part de moi' qui est en jeu n'est pas anatomiquement située, le sensible est partout à la fois en moi, et je peux dire tout autant que j'y suis contenu tout entier, il apparaît comme provenant, de manière uniformément répartie, de l'ensemble du matériau du corps, d'un 'tout de soi'. C'est plutôt une 'couche' de profondeur de mon être, une forme de 'substance' de moi qui fonctionne, au cœur de mon corps, à la manière d'un papier photo, modifiable, transfor- mable, imprimable par les impressions de diverses natures qui m'affectent. Le 'lieu' désigne aussi, du même coup, un critère qualitatif de ma situation intérieure : je reconnais quand 'j'y suis' et quand 'je n'y suis pas', je le reconnais à des critères ex- périentiels qui peuvent être nommés, recensés, étudiés, et cela participe à me situer dans mon existence intérieure à un instant donné. Le contact avec cette part de soi se reconnaît et s'identifie en effet à un état particulier, que l'on pourrait nom- mer un état « d'arrière-plan »11 en ce qu'il paraît légèrement en retrait par rapport aux états psycho- logiques, émotionnels ou affectifs, eux-mêmes plus directement accessibles, et dont il semble protégé. Cet état, en quelque sorte plus discret, demande une attention particulière pour être repéré dans le paysage corporel intérieur. Une fois identifié, il devient, par ses variations subtiles, une source d'information précieuse : nous y rencontrons différents degrés de malléabilité ou de densi- té intérieure, différents états et changements d'états, différents degrés de présence à soi et à son expérience, passages de la tension au relâche- ment, de l'agitation à l'apaisement, d'un sentiment à un autre
Les conditions d'accès à l'expérience du corps sensible
S'interroger sur le corps comme lieu d'accès à un tel vécu signifiant réclame de définir des condi- tions d'accès à l'expérience corporelle qui peut faire naître une telle connaissance. En effet, si riche que puisse être l'expérience du mouvement interne, cette expérience n'est pas 'donnée', au sens où elle n'est pas accessible si nous sommes dans l'attention machinale qui caractérise nos actions de tous les jours. Il faut au contraire une présence à soi, une attitude d'écoute, une disponi- bilité, tout à fait spécifiques pour y avoir accès. Les mises en situation pratiques de la somato- psychopédagogie - qui reposent essentiellement sur l'association entre toucher, mouvement et pa- role dans une attitude attentionnelle relevant de « l'introspection sensorielle » (Bois, 2006 ; Berger, 2006) - sont conçues pour réaliser des conditions dites « extra-quotidiennes » d'expérience de son propre corps, c'est-à-dire qui échappent aux habi- tudes perceptives, motrices et même conceptuelles qui enferment le rapport usuel au corps.
La mise en situation extra-quotidienne est ainsi nommée par opposition à (ou en complément de) l'expérience quotidienne, cette dernière se compo- sant à la fois d'un cadre habituel et d'une attitude naturelle en ce qui concerne le rapport à l'expé- rience. Par contraste, une situation extra- quotidienne implique qu'elle se déroule dans des conditions non usuelles. Par exemple, en ce qui concerne l'expérience du mouvement gestuel, l'ex- périence de tous les jours est celle d'un mouvement rapide (la vitesse habituelle d'exécution), avec un but à atteindre, un résultat à obtenir et
peu de conscience de ce qui se passe au cours du geste, entre le début et la fin du trajet. Par con- traste, la mise en situation extraquotidienne de mouvement gestuel en somato-psychopédagogie va permettre d'expérimenter le mouvement dans de toutes autres conditions : lentement, de ma- nière relâchée, en prenant en compte consciem- ment la composante linéaire du geste, sans but fonctionnel à atteindre, avec une sollicitation attentionnelle centrée sur le déroulement du trajet et les effets du geste.
En résumé, l'extra-quotidienneté place le sujet dans un rapport à son expérience qui le sort de l'expérience dite première, à propos de laquelle Bachelard soulignait qu'elle ne peut être productrice de connaissance. Les conditions extraquotidiennes servent à produire des perceptions iné- dites qui créent l'étonnement, qui font qu'un intérêt va se dessiner de la part de la personne pour des aspects d'elle-même et de son expérience qu'elle ne connaissait pas jusque-là et, donc, qu'un sens nouveau va pouvoir apparaître. Ces conditions sont productrices de nouveauté, mais cette nouveauté ne relève pas de 'l'accident', de l'imprévu, mais bien d'un choix, d'une série de contraintes installées par le praticien-chercheur. En quelque sorte, la nouveauté formatrice est 'provoquée' en ce qui concerne ses conditions d'émergence.
Le sensible comme processus, du vécu au sens
Si l'on associe, dans notre définition du Sensible, la modalité perceptive que nous avons dé- crite, propre à la matière corporelle, le 'lieu de soi' qui s'y incarne et l'état de conscience qui l'accompagne, ce que l'on voit apparaître, c'est aussi et surtout un processus : processus d'accès à un vécu spécifique et de déploiement de ce vécu, processus d'accès à un sens spécifique et de dé- ploiement de ce sens. Le corps sensible devient alors, en lui-même, un lieu d'articulation entre perception et pensée, au sens où l'expérience sen- sible dévoile une signification qui peut être saisie en temps réel et intégrée ensuite aux schèmes d'accueil cognitifs existants, souvent dans une nécessaire transformation de leurs contours. Il s'agit véritablement d'une expérience de création, où le senti et le pensé s'entrelacent sans qu'il y ait prédominance de l'un sur l'autre, où la pensée s'éprouve de la même façon que le ressenti se pense.
La formalisation de notre pratique met en évidence sept étapes qui jalonnent le processus de création de sens tel que nous l'expérimentons, la première étape étant représentée par la constitution du cadre d'expérience extra-quotidien que nous avons abordé. Ce modèle en sept étapes, établi à partir des expériences de centaines de sujets ayant fait l'expérience du Sensible, se situe à une échelle temporelle large : il nomme de grandes étapes au sein d'une expérience d'accès au sens qui se décline aussi, à l'échelle de l'expé- rience individuelle, en micro-temporalités singu- lières. Ces grandes étapes correspondent à des classes de phénomènes vécus régulièrement et ordonnés globalement, dont on sait qu'ils se pré- senteront forcément en structure, sans préjuger de leur contenu précis.
Nous ne pouvons détailler ici chacune de ces classes de phénomènes12. Nous souhaitons seulement souligner insister sur le fait suivant : quand l'expérience du corps sensible est profondément et consciemment 'vécue', au-delà de ce qu'elle donne à ressentir se livrent également son sens profond, la valeur qu'elle peut prendre pour la personne qui la vit ou, plus exactement, la valeur qu'elle offre à la personne qui la vit.
Ce processus passe nécessairement par l'identification, par le sujet qui fait l'expérience, des contenus de vécu affiliés aux manifestations du mou- vement interne au sein de la matière corporelle (par exemple sensations de détente, de chaleur, perception du silence, d'une luminosité, d'orienta- tions ou d'amplitudes dans la mouvance des tissus ou de la globalité de la matière). Ces vécus sont accompagnés d'émotions souvent douces (tonalités, saveur, goût de soi, sentiment d'existence, bien-être émouvant) et sont appelés, en se plaçant du point de vue du sujet qui les vit et les saisit, des faits de conscience. Cette appella- tion souligne plusieurs caractéristiques que nous n'abordons ici que rapidement : d'une part, ce sont des faits au sens où ils sont conscientisés par le sujet avec la force de l'évidence : on ne peut les remettre en question. Le mot 'fait' renvoie égale- ment à l'idée que, dans l'expérience somato- psychopédagogique, nous visons la perception consciente de réalités physiologiques13 du mouve- ment interne ou gestuel et non le produits d'actes imaginaires éventuels. Cette remarque n'induit pas une quelconque hiérarchie de valeur dans notre esprit, d'autres approches privilégiant avec efficacité un mode de rapport au corps où l'imaginaire domine. Mais le choix de la somato- psychopédagogie se situe ailleurs, dans un pari sur la connaissance immanente qui peut naître d'un rapport à une physiologie corporelle interne. Le fait de conscience est donc un fait au sens où il révèle un aspect tangible et perceptible de la physiologie corporelle. Enfin, on parle de faits de conscience parce qu'ils ne peuvent se manifester en dehors d'une conscience qui se pose sur eux : ils n'acquièrent leur existence dans le rapport d'attention que quelqu'un établit avec eux, dans une relation subjective singulière.
Depuis l'identification de ces contenus de vécu se déploie l'émergence de sens que nous consta- tons chez nos apprenants : au contact du vécu du Sensible apparaît une compréhension nouvelle, une transmutation d'une tonalité corporelle en une pensée intelligible pour le sujet qui la capte. Cette pensée, que nous nommons « fait de connaissance », constitue pour nous le sens profond de l'expérience pour le sujet qui la vit. C'est un sens qui se donne spontanément, à condition bien sûr que l'on s'en saisisse, ce qui suppose que l'on ait au moins une partie de son attention tournée vers cette possibilité. Ici la question n'est plus : « qu'est -ce que je vis ? » mais : « qu'est-ce que j'apprends de ce que je vis ? ». L'une des caractéristiques majeures d'un fait de connaissance, outre le fait qu'il se donne sans être soumis à une recherche réflexive de sens, est qu'il apparaît au sujet comme étant une vraie nouveauté : c'est un sens profondément éclairant pour sa vie, un angle de vue qu'il n'avait jamais envisagé. En ce sens, il représente une sorte d'à-coup dans la pensée, une interpellation forte, où l'on réalise que les choses ne sont peut-être pas comme on le pensait. On le 'réalise' au sens plein du terme, puisque le fait de connaissance met des mots sur un vécu que l'on est en train d'expérimenter ou que l'on vient tout juste d'expérimenter. C'est cette interpellation qui fait la force du fait de connaissance : quelque chose s'arrête en soi, il y a comme un point d'ap- pui qui invite à la réflexion, qui appelle une réflexion, qui impose une réflexion.
Les étapes suivantes du processus englobent tout apport de sens qui naîtra d'un déploiement du fait de connaissance dans le temps et avec l'aide d'un processus réflexif sous différentes formes (entretien, journal de bord), ainsi que les prises de décision et changements de stratégies d'action qui en découleront sur le plan comportemental.
Conclusion
Nous avons voulu exposer quelques aspects d'une expérience corporelle spécifique dont l'étude invite, nous semble-t-il, à élargir les con- ceptions existantes de l'accès au sens. Dans le rapport intime et singulier à l'expérience du Sen- sible se dévoilent en effet des significations pro- fondément transformatrices pour la personne qui les saisit. Au-delà des significations elles-mêmes, c'est le processus de donation et de saisie de ces informations qui attire notre attention, en ce qu'il peut renouveler certaines visions de la 'construction de sens' chère aux sciences humaines.
Dans l'expérience du Sensible dont nous parlons, les sensations internes qui naissent du rap- port au corps, la perception de ces sensations et les significations qui naissent de cette perception, émergent toutes ensemble du phénomène expé- rientiel, se fondant en une sorte de 'geste perceptivo-cognitif fondateur. C'est là que se situe le sens profond de la « modifiabilité perceptivo-cognitive » (Bois, 2006, 2007), notion centrale du modèle somato-psychopédagogique : permettre à un sujet d'apprendre à tirer du sens de son expé- rience vécue de manière inédite, en sollicitant chez lui la capacité, qui demande en conséquence à être développée, d'enrichir son champ de représentations 'à partir' de données corporelles sen- sibles. Il s'agit, ni plus ni moins, que d'apprendre à laisser représentations et manières habituelles de faire, de dire et de penser, être interrogées de l'intérieur par une expérience qui, de plein droit, prend valeur d'accès au savoir.
Autour de ce thème global de la création de sens à partir de l'expérience du corps sensible, plusieurs axes de recherche ont été menés ces dernières années ou sont actuellement en cours.
En voici quelques exemples :
- Le corps sensible et la transformation des représentations chez l'adulte. (Bois, 2007)
- Psychopédagogie perceptive et motivation immanente - Étude du rapport à la motivation imma- nente dans un accompagnement à médiation cor- porelle d'adultes en quête de sens. (Bouchet, 2006)
- Histoire de vie, mémoire du corps. (Heusdens, 2006)
- La quête du sens dans l'enseignement supérieur. (Dagot, 2007)
- Expérience du sensible et création de sens - Analyse du processus d'émergence du sens de l'expérience corporelle en somatopsychopédagogie.
Pour avoir choisi de mener ce type de recherche, nous sommes conscients des problèmes épistémologiques et méthodologiques que soulève la prise en compte du Sensible corporel dans toute sa subjectivité. Mais nous pensons profondément que les sciences humaines ont à gagner dans cette prise en compte. À travers nos travaux, nous plaidons pour une science lucide de l'humain, capable d'aborder des questions cruciales pour l'être
que nous souhaitons former et accompagner dans son devenir. C'est à une telle ambition que sous- crit le développement du paradigme du Sensible, afin que puisse émerger un réel enrichissement mutuel entre pratiques de soi, pratiques de formation et pratiques de recherche.
Notes
- Le CERAP, dirigé par le P. D. Bois.
- Université de Séville, de Paris 8, de Tours, de Rouen
- Équivalents DEA et DESS français
- Le terme « immanent » renvoie ici au fait que cette connaissance est directement issue d'un rapport vécu et conscient avec les manifestations du mouvement interne, rapport dont le sujet est la 'cause' première par l'implication qu'il met en œuvre pour que le Sensible se donne en lui et à lui.
- Dans la suite du texte, nous écrirons le terme Sensible avec une majuscule à chaque fois que nous souhaiterons désigner la nature d'expérience perceptive issue spécifiquement de nos travaux pratiques et théoriques en somatopsychopédagogie.
- Cette prise en compte est l'une des caractéristiques par lesquelles se définit l'ensemble des démarches dites qualitatives, dans lesquelles nous nous reconnaissons particulièrement: « le principal outil méthodologique [en recherche qualitative] demeure le chercheur lui-même, à toutes les étapes de sa recherche » (Paillé, pp. 226-228).
- Nous ne rendons pas compte ici des auteurs et des textes où R. Barbier puise ses exemples, mais uniquement des aspects du sensible qu'il invoque, afin de ne pas quitter la tentative de cerner les contours du sensible. Ce faisant, nous déconstruisons en partie l'article et assumons une classification que l'auteur n'a pas conçue comme telle.
- L'auteur n'emploie pas ce terme, mais c'est ainsi que nous le comprenons.
- La pratique qu'il a fondée, le focusing, (Gendlin, 1984) invite le sujet à se référer à un ressenti corporel global pour contacter le monde et son rapport au monde.
- La place disponible ici ne nous permet pas de développer en profondeur les lois d'organisation de la matière corporelle que nous avons pu mettre en évidence. Pour cela, le lecteur peut se rapporter à Courraud-Bourhis, 2005; Bois, 2006; Berger, 2006.
- Nous empruntons ce terme à A. R. Damasio.
- Le lecteur intéressé pourra se référer à nos derniers ouvrages respectifs (Bois, 2006; Berger, 2006).
- Le mot « physiologique » est pris ici au sens de: respectant le fonctionnement naturel de l'organisme.